Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier, 1913

coquillage



     Alain-Fournier appartient à la génération de ces jeunes hommes que la première guerre mondiale (1914-18) a emporté en masse. Pas loin d'un million cinq cents mille soldats rien que pour la France. Alain-Fournier est mort sur le champ de bataille (le 22 septembre 1914), comme Pergaud (le 7 août 1915), comme Jean de La Ville de Mirmont (le 29 novembre 1914) et tant d'autres.
Il n'a laissé qu'un seul roman.

L'auteur

     Alain-Fournier est le pseudonyme d'Henri-Alban Fournier, né le 3 octobre 1886 à La Chapelle-d'Angillon dans le département du Cher.
L'écrivain choisit ce pseudonyme en décembre 1907 pour signer son premier article, "Le corps de la femme", dédié à Maurice Denis. Si l'on en croit le Larousse, il s'agissait de ne pas être confondu avec Henri Fournier (1871-1919), sportif alors fort célèbre.
Ses parents sont instituteurs, et il va passer son enfance à la campagne, dans cette région du Berry chère à George Sand, d'abord dans le village de Marçais (où les vacances le ramèneront régulièrement), ensuite à Epineuil-le-Fleuriel, un bourg, à 30 km de là, où ils sont nommés. Une soeur, Isabelle, est née en 1889 dont il sera toujours très proche. C'est à elle qu'est dédié, sobrement, "A ma soeur Isabelle", Le Grand Maulnes (éditions Emile-Paul Frères).
A 12 ans, il est envoyé en pension à Paris, pour entrer au lycée Voltaire. Il y commence ses études secondaires qu'il poursuivra ensuite à Brest, s'étant pris de passion pour la vie de marin et voulant préparer le concours d'entrée à l'Ecole navale, sans résultat. Il retourne un temps à Paris, puis va passer son baccalauréat à Bourges, se rapprochant ainsi de sa famille.
Finalement, il prépare le concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure au lycée Lakanal, à Sceaux, près de Paris. C'est là (en novembre 1903) qu'il connaît Jacques Rivière auquel va le lier une amitié très forte. Rivière vient de Bordeaux et ils sont dans la même classe. Dans leur correspondance, Rivière rappelle comment les a rapprochés l'écoute d'un poème d'Henri de Régnier lu par leur professeur.
Il échoue au concours, fait son service militaire et, au retour, en mai 1910, entre comme chroniqueur littéraire au Paris Journal. Il commence à publier, fréquente les milieux littéraires. Son ami Jacques Rivière et sa soeur Isabelle se sont mariés en 1909.
D'abord attiré par le symbolisme (comme tout un chacun à la même époque), il admire Francis Jammes, Maurice Maeterlinck, Jules Laforgue, surtout Laforgue, il se forge progressivement sa propre vision des choses. Il fait la connaissance de Péguy en septembre 1910 et une amitié se noue entre les deux hommes. Il est aussi très proche de Marguerite Audoux qui le considère comme son fils spirituel.
En 1912, présenté par Péguy,  il devient le secrétaire de Claude Casimir-Perier. Il fait la connaissance de sa femme, née Pauline Benda (cousine de Julien Benda), qui est actrice sous le nom de madame Simone. Ils deviennent amants en 1913. C'est aussi l'année où est publié Le Grand Meaulnes.  L'avenir sourit. Cela ne va pas durer. Le 2 août 1914, Alain-Fournier est mobilisé. Il est tué le 22 septembre.
il laisse deux manuscrits inachevés : celui d'une pièce de théâtre, La Maison dans la forêt, celui d'un roman, Blanche Colombet.
Isabelle et Jacques Rivière publieront ses premiers écrits, poèmes et articles, en 1924, sous le titre Miracles, précédés d'une longue préface de Jacques Rivière.





Alain-Fournier

Alain-Fournier en 1913





Beata Beatrix

Dante Gabriel Rossetti, Beata Beatrix, 1864-1870.
Alain-Fournier reconnaissait, dans cette peinture, la jeune fille de ses rêves, doublement littéraire puisque cette Beatrice est celle de Dante sous les traits de l'épouse de Rossetti, alors décédée (elle est morte en 1862), elle-même peintre et poète. (Tate Britain / National Gallery, Londres)

Le roman

     Il est tentant d'en faire remonter l'origine à une rencontre de 1905. Cette année-là, le 1er juin, jour de l'Ascension, Alain-Fournier croise une jeune fille dont la beauté le séduit au point qu'il la suit jusqu'à sa demeure. Ils auront ensemble une conversation quelques jours après et c'est tout. La jeune fille est fiancée, elle va se marier. Il ne la reverra que 7 ans plus tard, pour quelques heures. Mais la rencontre compte tant qu'il en a soigneusement consigné tous les détails dans un carnet ; que l'image fugitive de cette passante, comme dans un poème de Baudelaire, ressurgit régulièrement, dans la correspondance, dans les poèmes. Tous s'accordent à voir dans Yvonne de Quiévrecourt le modèle de l'héroïne du Grand Meaulnes, Yvonne de Galais.
Ceci noté pour la petite histoire, reste la grande, celle du roman. Car comme d'habitude, la biographie n'explique pas grand chose ; n'écrit-il pas d'ailleurs, en 1910, qu'il s'agit d' "une histoire assez simple qui pourrait être la mienne." Le conditionnel avisant qu'elle ne l'est donc pas.
En fait, il est probable que le véritable travail de l'écriture ne commence que vers 1910, lorsqu'est imaginé le personnage d'Augustin Meaulnes qui va cristalliser les multiples thématiques du roman.
Mais c'est un long travail dont témoignent les titres successifs qu'envisage l'auteur : "Un roman de province", "Un roman d'autrefois", "Les gens du domaine", "Le pays sans nom", "Le jour des noces" ; chacun de ces titres mettant l'accent sur l'une des composantes du roman alors qu'il s'agissait de les  entrelacer toutes sans laisser l'une dominer l'autre. Sa correspondance témoigne de ses difficultés à trouver le "ton" juste dans lequel raconter une histoire qu'il désire aussi simple que possible, et néanmoins, dans le même temps, aussi suggestive que possible. Les leçons du symbolisme ne sont jamais oubliées. Le titre choisi, finalement, Le Grand Meaulnes, semble en désigner le héros par le sobriquet que ses collègues de classe lui donnent, avec les diverses connotations qui s'attachent à l'adjectif "grand", en même temps caractéristique physique du personnage et qualifiant des qualités psychiques qui le mettent au-dessus des autres.
Le récit va rapporter les souvenirs du narrateur, entre enfance et âge adulte, relatifs à Augustin Meaulnes et à ses aventures. C'est l'histoire d'une amitié —ou d'une fascination —, mais aussi celle de la sortie inéluctable du monde des jeux ("on dirait que..."), du monde protégé des semblables (les garçons, le temps de l'école), et de l'entrée dans le monde des réalités (le travail, les responsabilités) et des autres (les femmes, en particulier).

Simple, au premier abord, le récit l'est. Et pourtant...

Le livre de la mémoire et de la perte




frontispice 1950

Fontispice du roman, éditions du livre, Monte Carlo, 1950.
Lithographie d'André Beaurepaire.

Dès l'incipit, le narrateur énonce la distance qui le sépare de ce qu'il va raconter : "Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189... / Je continue à dire "chez nous", bien que la maison ne nous appartienne plus. Nous avons quitté le pays depuis bientôt quinze ans et nous n'y reviendrons certainement jamais." Les verbes "rappeler" / "se rappeler" / "se souvenir", de même que les mots "souvenir" et "mémoire", viennent régulièrement souligner une entreprise de remémoration voire, peut-être, de reconstruction d'un passé mis sous le signe de la merveille et de la perte. L'explicit n'est-il pas "[...] je sentais bien qu'il était revenu pour me la prendre. Et déjà je l'imaginais..." La perte, réelle, celle de la petite fille, comme preuve tangible de ce qui a été vécu, rebondit sur l'imagination prêtant à Meaulnes, que tout le texte a hissé au niveau du héros de roman, la faculté de ne pas quitter le monde des aventures. Mais s'agit-il d'une réalité (dans le cadre de la fiction), d'une action qui va vraiment s'accomplir, ou d'un fantasme du narrateur ? Chaque lecteur en décidera à sa guise.
Car ce que découvre progressivement le lecteur, c'est que c'est moins de l'histoire de Meaulnes qu'il s'agit que de celle du narrateur. Car Meaulnes parti, ni ses lettres (rares), ni même son journal qu'il s'agit de reconstituer plus que de transcrire ne le rendent vraiment indépendant du désir que François Seurel projette sur celui qui a mis un terme à son enfance, en commençant par le sortir du cocon familial. Alors qu'il vivait replié sur lui-même et ses lectures, le grand Meaulnes l'entraîne vers l'extérieur, suscite pour lui les univers romanesques qu'il ne connaissait que dans les livres, lui révélant, par là même, son propre désir d'écrire dont témoigne le livre lui-même. A la fin du récit, François est devenu écrivain, peut-être parce qu'il n'y a pas d'autre manière de ne pas quitter l'enfance.
De ce caractère imaginaire d'un monde à la limite entre enfance et âge adulte, dans les eaux troubles de l'adolescence, témoigne la troisième partie qui réinscrit les événements, rapportés par les deux premières parties, dans un cadre géographique, socio-économique réaliste et sans mystère ; le narrateur s'y voit confronté à des personnages "extérieurs" à son imaginaire, pour lesquels il n'existe que des réalités sans aura magique, un vieux domaine, que l'on peut nommer, appartenant à un officier ruiné qui y vit avec sa fille, des chemins et des routes dont on peut dire le kilométrage, une jeune fille "idéale" qui fait ses courses à l'épicerie du village, des aventures qui se peuvent réduire à des comportements compréhensibles. Valentine fuit le jeune Frantz parce que sa pauvreté ne peut croire aux histoires, trop belles, qu'il lui raconte, selon le témoignage de la tante Moinel qui l'a recueillie un temps, avant qu'elle ne parte pour Paris, gagner sa vie comme couturière.
Mais qu'en est-il de ces aventures ainsi ramenées à des événements presque ordinaires ?





jacques Thevenet


Aquarelle de Jacques Thevenet (1891-1989) pour la couverture du livre de poche, en 1963, avec dédicace pour Isabelle Rivière.

Aventures

Le narrateur, François Seurel, devenu instituteur (comme ses parents) raconte une histoire en trois parties qui débute avec l'arrivée d'un adolescent dans le monde clos et protégé de son enfance et se termine par le retour de ce dernier, probablement provisoire, dans son univers adulte (il travaille, il a en charge un enfant).  Augustin Meaulnes, qui a 17 ans lorsque François le connaît, alors qu'il vient prendre pension dans sa famille pour poursuivre ses études, a beaucoup à voir avec Rimbaud : sa taille, sa détermination, son goût de la fuite (dès le jour de son arrivée sa mère s'inquiète déjà de cela "Il s'est peut-être sauvé...") ou de l'évasion, sa capacité de transformer l'ordinaire en extraordinaire, vertu de poète bien davantage que l'écriture. Sa première action, avant même que les garçons n'aient fait connaissance, ne consiste-t-elle pas à fouiller les greniers, à y dénicher de vieux feux d'artifice et à les faire partir ? magie de l'inattendu, de l'instant, journée morne d'hiver transformée en fête colorée et bruyante.
Le roman se déploie sur trois parties distribuées en chapitres titrés ; 17 pour la première, 12 pour la deuxième, 16 pour la troisième, augmentée d'un épilogue. Si les événements prennent place dans un lointain passé, ils se déroulent aussi sur plusieurs années. La première partie, dont l'essentiel est occupé par l'aventure de Meaulnes va de son arrivée, en novembre, à Sainte-Agathe, le bourg où vivent les Seurel, à son retour après sa disparition, en décembre. Elle est sous le signe du merveilleux, du  "conte bleu" comme le disait Gustave Lanson (Le Matin, 24 décembre 1913). La moitié de cette première partie (du chapitre 8 au chapitre 17) est consacrée au récit fait par Meaulnes à François et que celui-ci écrit des années plus tard,  "Mais aujourd'hui que tout est fini, maintenant qu'il ne reste plus que poussière / de tant de mal, de tant de bien, / je puis raconter son étrange aventure."
Parti sans autorisation chercher les grands parents de François à Vierzon, Meaulnes se perd et finit par aboutir dans une sorte de manoir en ruines décoré pour une fête, celle d'un mariage qui n'aura pas lieu, dont les enfants sont les maîtres, bien que de vieilles personnes fassent aussi partie des invités. Il y croise une jeune fille à la beauté bouleversante, Yvonne de Galais, et un jeune homme bouleversé, Frantz de Galais, le jeune frère de la première.





André dignimont

Illustration d'André Dignimont (1942)

     La deuxième partie oscille entre le monde de l'aventure, du merveilleux, et celui de la réalité qui s'impose avec sa météorologie (pas question de retrouver le domaine en plein hiver), sa géographie (nécessité de cartes, de repères), sa vie quotidienne (l'école, les rivalités entre garçons, les voleurs de poules). Le merveilleux, lui, s'affirme dans le ressassement de l'aventure, à la fois pour François et pour Meaulnes qui en perd le sommeil, et dans l'irruption des bohémiens. Ce qui est vécu par les garçons est transcrit par le narrateur à l'aide, souvent, de comparaisons ou de métaphores qui renvoient aux romans d'aventures, dont le modèle est Robinson Crusoë ; le plus souvent empruntées au monde marin (celui de la flibuste) ou au monde militaire ; il y faut du danger et de la bagarre pour faire preuve de courage et de virilité. Ce qui ne manque pas, en effet.
Si la première partie s'achevait sur une déception propre à faire rêver, avoir perdu le paradis n'est quand même pas rien, la deuxième s'achève sur des pertes plus modestes, donc plus déceptives : Frantz, le bohémien, seul lien qui restait avec le domaine perdu ("le pays sans nom") disparaît avec son complice, voleur de poules, et François perd Meaulnes qui décide de partir à Paris, tenter de retrouver Yvonne, en suivant la piste fournie par Frantz.
     La troisième partie est un adieu au passé, même si le narrateur n'en peut mais. De manière simple et réaliste (il suffisait de parler), avec l'aide de Jasmin, autrefois rival d'Augustin Meaulnes, le domaine est identifié, Yvonne de Galais retrouvée par là même, mais il ne saurait y avoir de "happy end" puisque le retour au monde réel signe le constat de la perte définitive des rêves et des aspirations à l'absolu. Et le lecteur ne s'étonne pas de voir de nouveau disparaître Meaulnes sur l'injonction d'un cri de ralliement, rappel du serment de tout quitter pour aider Frantz, mais qui ne touche pourtant pas le narrateur, qui, lui, reste.
A la fin, d'une certaine manière, tout "rentre dans l'ordre", y compris Frantz et Valentine qui habitent enfin la maison de Frantz dans le domaine, perdu vraiment puisque vendu et redevenu terrain de chasse pour sa plus grande partie.

Inventer l'enfance

     "Mon credo en art : l'enfance. Arriver à la rendre sans aucune puérilité, avec sa profondeur qui touche les mystères. Mon livre futur sera un perpétuel va-et-vient insensible du rêve à la réalité. Rêve entendu comme l'immense et imprécise vie enfantine planant au-dessus de l'autre et sans cesse mise en rumeur par les échos de l'autre." Alain-Fournier écrivait cela le 22 août 1906, le roman une fois écrit, est-ce bien cela qu'il a fait ?


Oui, sans doute, car que reste-t-il au bout de la dernière page sinon la nostalgie ? le narrateur a raconté une histoire dont les contradictions et les invraisemblances disent le caractère imaginaire ; par ex. dans l'école de Sainte-Agathe, il y a une institutrice, la mère, Millie, qui s'occupe des petits, mais pour aller voir le spectacle des bohémiens (Ganache et Frantz déguisé), il y a DES institutrices, ou Frantz supposé errer en Allemagne, qui revient avec Valentine, son ex-fiancée, celle qui avait fui devant le mariage, quelques années plus tôt, sans que le lecteur sache comment Meaulnes a pu le retrouver, comment le passé peut se faire présent sans plus ni moins, comme si rien ne s'était passé, suicide et fuite de Frantz, amitié amoureuse de Meaulnes et Valentine à Paris, mensonges divers de toutes parts.
Ce sont moins des souvenirs d'enfance dont il s'agit que de la reconstitution d'une enfance de "rêve", l'évocation d'un temps où, rétrospectivement, l'adulte dessine les territoires du "tout était possible", où les mots enchantaient le monde, où il suffisait de quelques lumières, de rires, de déguisements, pour qu'aussitôt la réalité se plie aux désirs de celui qui n'avait pas encore vraiment quitté l'enfance. La vétusté et l'abandon du domaine ont bien été vus, mais non retenus ; dans la nuit, dans le brouillard, dans les lumières des lanternes vénitiennes, c'est un monde de conte de fées qui hante le souvenir de Meaulnes, et peut-être plus encore de François.
Ce monde de l'enfance est aussi celui de la plénitude, un monde si compact qu'aucune fissure ne peut s'y produire, ou du moins est-ce ainsi que le souvenir le veut. Lorsque s'y introduit l'appel d'ailleurs, ce monde est à jamais perdu.
Les trois garçons du récit (François, Augustin, Frantz) apparaissent comme trois virtualités, trois imaginaires de l'adolescence ; François qui grandit, vieillit, travaille, devint instituteur à son tour, suivant les traces de ses parents, François qui va retrouver le domaine, lequel n'a rien de magique, mais qui voudrait que la réalité se conforme à ses désirs, qu'elle incarne le "roman" proposé par le récit de Meaulnes et qui s'y emploie ; mais la réalité est têtue et ne se laisse plus si aisément manipuler, ce que tente, sans doute vainement, de lui transmettre Yvonne de Galais. Frantz, quant à lui, préfère la mort à la perte de ses rêves et s'il n'en meurt pas, c'est pour partir courir les routes avec les bohémiens, autre rêverie enfantine sur la liberté, la magie du cirque et du spectacle ; pourtant, ceci n'aura qu'un temps et il reviendra, comme si la fête avait vraiment été celle de son mariage. Quant à Meaulnes, François lui prête la vertu de ne jamais changer, c'est-à-dire de fuir toujours, de s'évader des contraintes dès qu'elles se présentent. Dans le récit, il disparaît trois fois ; pendant trois jours, lorsqu'il découvre le "pays sans nom" et rencontre Yvonne : dans la deuxième partie, après la fuite de Frantz, lorsqu'il part à Paris, ne se manifestant que par trois lettres, puis plus tard par la découverte du journal ; enfin dans la troisième partie, lorsque tous ses voeux semblent comblés ( et peut-être en raison même de cela) pour se mettre en quête de Frantz et lui rendre sa fiancée.

Il est curieux de songer qu'un an avant, en 1912, Louis Pergaud, disparu lui aussi sur le champ de bataille en 1915 (mais dont, contrairement à Alain-Fournier, le corps ne fut jamais retrouvé), publiait La Guerre des boutons, autre récit d'enfance, rappelant le territoire de la liberté et des aventures, l'apprentissage du monde et des autres, adultes compris, qu'elle pouvait être pour des garçons à la campagne. Pergaud, c'était d'abord le monde des corps ; Alain-Fournier, celui de l'imaginaire.
Le Grand Meaulnes a certainement joué un grand rôle dans la fiction de l'enfance comme "paradis", comme de ce temps où réel et imaginaire pouvaient encore former une unité, où le monde s'inventait comme dans les livres (et les personnages du Grand Meaulnes lisent beaucoup si, seul, François finit par écrire). L'enfance inventée par Alain-Fournier contient "des choses délicates, [...] ce qui est secret, subtil et dont on ne parle bien que dans les livres", et comme les livres ne s'écrivent qu'après, l'enfance ne s'atteint que d'avoir été perdue. Le Grand Meaulnes est en même temps le récit de cette perte et cette assomption.




A écouter
: Henri Tachan, "J'ai relu Le Grand Meaulnes"
A lire : la correspondance entre Alain-Fournier et Jacques Rivière.
A découvrir : les illustrations d'Hermine David, gravées par Jean-Gabriel Daragnès (1886-1950) pour une édition d'Emile-Paul Frères, en 1930, sur le site du Musée national des Beaux Arts du Quebec



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