8 juin 1903 : Marguerite Yourcenar

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     Parler de la vie de Yourcenar, c'est un peu la prendre à contre-pied ;  elle estimait, en effet, qu' "Un écrivain vaut par ses livres. C'est là qu'il faut le chercher — ou plutôt  car il ne s'agit pas de le chercher — chercher les idées qu'il a à donner." (formulation que l'on trouve dans la biographie que lui a consacrée Josyane Savigneau, p. 374)  et elle le reformule pour Mathieu Galey : "Le public qui cherche des confidences personnelles dans le livre d'un écrivain est un public qui ne sait pas lire." (p. 218)
La conviction en est si grande, chez elle, que l'édition de ses oeuvres dans la Pléiade n'est accompagnée d'aucune note. Seul exemple sans doute dans cette bibliothèque qui constitue la "référence" littéraire en France.
Mais quelques dates permettent de construire un contexte, nécessaire au moins pour éviter la "sur-interprétation" qui guette toujours le lecteur.
Elle est donc née Marguerite, Antoinette, Jeanne, Marie, Ghislaine de Crayencour le 8 juin 1903. Sa mère meurt dix jours après l'accouchement. Du premier mariage de son père, elle a un frère, de 18 ans son aîné, avec lequel elle ne s'entendra guère.
Son enfance sera atypique : libre et vagabonde, d'abord avec sa grand-mère paternelle (qu'elle n'a guère aimée et qu'elle nomme dans Archives du Nord: "cet abîme mesquin : Noémi."), puis avec son père, éternel voyageur, dont elle aime à citer la phrase favorite : "On s'en fout, on n'est pas d'ici, on s'en va demain.", réécrite parfois "On s'en fiche", parfois "ça n'a pas d'importance." Dans tous les cas, la phrase semble l'avoir accompagnée toute sa vie.  Elle ne va pas à l'école, mais bénéficie d'un environnement culturel exceptionnel (à 8 ans, elle lit Racine) et très tôt se familiarise avec le grec et le latin : "Je connus bientôt grâce à mon père de nombreux «classiques» ; j'allais effleurer toute la littérature française et une partie au moins de la littérature anglaise entre sept et dix-huit ans. J'allais aussi apprendre assez de latin et de grec pour remonter plus haut. Les sceptiques diront que les lectures précoces sont inutiles, puisque l'enfant lit sans comprendre, au moins durant ses premières années ; j'atteste au contraire qu'il comprend certaines choses, sait vaguement qu'il en comprendra d'autres plus tard, et que les instructions reçues de la sorte sont indélébiles" (Quoi ? L'éternité). Très tôt aussi, semble-t-il, elle sait qu'elle écrira. Sa curiosité de lectrice est immense et elle découvre la littérature asiatique, japonaise, en particulier, vers vingt ans, dans des traductions anglaises.
Yourcenar, anagramme de Crayencour, est un cadeau paternel, au moment où il finance la publication ses premiers recueils,  Le Jardin des Chimères en 1921 et Les Dieux ne sont pas morts, l'année suivante, en 1922. Elle en refusera la réédition, et ces textes ne font pas partie de ses oeuvres complètes. Elle les jugeait pour ce qu'ils étaient : les brouillons d'un créateur.
En 1947, lorsqu'elle prend la nationalité américaine, ce nom devient son nom officiel.
Dans les années trente, elle voyage beaucoup (Grèce, Italie, Autriche...), et c'est en 1937 qu'elle rencontre Grace Frick, une jeune universitaire américaine, qui deviendra sa compagne jusqu'à sa mort. Lorsqu'elle la rejoint, aux Etats-Unis, en 1939, elle pense que ce séjour n'excèdera pas six mois, et c'est pourtant là qu'elle va vivre toute sa vie.




Yourcenar dans les années trente

Marguerite  Yourcenar (sans doute à la fin des années vingt, au début des années trente).

Sa véritable entrée en littérature date de 1929 avec la publication d' Alexis ou le traité du vain combat. C'est aussi l'année de la mort de son père.
En 1936, paraît Feux, un recueil de nouvelles dans lesquelles Yourcenar "réécrit" des mythes.
En 1938, les Nouvelles orientales.
Elle écrit beaucoup quoique pas toujours pour une publication (des articles, des nouvelles, des textes difficiles à classer); elle traduit (Virginia Woolf, Henry James, des Gospels) et c'est en 1951 que se produit le choc, avec Mémoires d'Hadrien, un somptueux récit pseudo-autobiographique puisqu'il s'agit d'une longue lettre écrite par l'empereur romain Hadrien (76-138) à celui qui lui succèdera: Marc-Aurèle.
Marguerite Yourcenar devient ce qu'elle est : un des écrivains majeurs du XXe siècle.
En 1968, sort L'Oeuvre au noir, autre chef-d'oeuvre dont le cadre est cette fois-ci le XVIe siècle. Elle en dira ceci à Mathieu Galley,  "l'empereur est naturellement solaire, et Zénon naturellement nocturne. Ce sont les deux pôles complémentaires de la sphère humaine telle que je l'ai contemplée." (Les Yeux ouverts, 1980, p. 192)
Les années 70 voient la sortie de ses "mémoires" : Souvenirs pieux et Archives du Nord, que complètera la publication posthume de Quoi? L'éternité. Mais c'est aussi une décennie douloureuse. Grace est atteinte d'un cancer et meurt en 1979.
En 1981, elle est la première femme accueillie à l'Académie française (une révolution dans cette institution strictement masculine depuis sa fondation par Richelieu en 1635): elle occupe le fauteuil laissé vacant par Roger Caillois ; son discours se lit ICI. Et la réponse qu'y fait Jean d'Ormesson, qui avait beaucoup oeuvré pour cette élection,  ICI.
Elle meurt en 1987. Son oeuvre se compose de romans, d'essais, de pièces de théâtre aussi, sans oublier les traductions, du Grec aussi bien que de l'Anglais.

Pour en savoir plus :
Josyane SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar, Gallimard, 1990.
Mathieu GALEY, Les Yeux ouverts, entretiens avec Mathieu Galey, Le Centurion, 1980.
Le Magazine Littéraire, n° 283, décembre 1990.
Quelques pistes de lecture et des extraits d'interviews dans Concordance des temps, France culture, 24 avril 2021, "Yourcenar, décidément"


Yourcenar dans les années 70

Marguerite Yourcenar  dans les années soixante-dix du XX
e siècle.

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