La Lettre écarlate, Nathaniel Hawthorne, 1850/1946

coquillage


La Lettre écarlate est le deuxième roman de Hawthorne qui écrit plus volontiers des contes ; c'est aussi son premier succès, et celui qui restera considéré par la postérité comme son chef-d'oeuvre. Il n'est traduit, en français, que tardivement, en 1946,  par Marie Canavaggia (1896-1976). C'est sa traduction que choisit l'édition GF, 1982.






Hawthorne

Nathaniel Hawthorne, daguerréotype, 1848

L'écrivain

      Il est à Salem (Massachusetts), le 4 juillet 1804, Nathaniel Hathorne ; il ajoutera un w à son nom, à l'adolescence, le rapprochant ainsi du mot anglais signifiant aubépine (Hawthorn) pour se détacher d'une histoire familiale pesante. il donnera ce nom à l'un de ses personnages, M. de L'Aubépine, dans l’introduction de son conte La Fille de Rappaccini (Rappaccini's Daughter, 1844) dont il fait l'écrivain français à l'origine de l'oeuvre qu'il se contente de traduire.
Parmi ses ancêtres, des Hathorne avaient participé à la fois à la persécution des Quakers et au procès de sorcellerie de Salem, en 1692/93, qui s'achève par l'exécution de 19 personnes. A l'époque de sa naissance, Salem est une petite ville relativement prospère grâce au commerce maritime. Son père, capitaine dans la marine marchande, meurt en 1808, autant dire que son fils l'a peu connu.  Sa veuve et ses trois enfants (Nathaniel a deux soeurs) vont vivre dans la famille maternelle. En 1813, l'enfant a un accident, il se blesse au pied, et restera immobilisé pendant un an, et affligé d'une boiterie pour un temps plus long.
En décembre 1821, cependant, il entre au Bowdoin College (Brunschwig, Maine) où il poursuit des études classiques et rencontre Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882); qui sera son ami. Il en sort en 1825. Ses études terminées, il n'envisage qu'un avenir : l'écriture. Il revient à Salem et écrit force contes (d'inspiration gothique, pourrait-on dire) qu'il publie dans revues et journaux, mais sans vraiment attirer l'attention sur lui. En 1828, il publie un premier roman, à compte d'auteur et anonymement, Fanshawe. Bien que la critique ait plutôt été favorable, le livre s'est peu vendu. Ses contes seront rassemblés en 1837 sous le titre de Contes racontés deux fois (Twice-Told Tales). Le recueil, augmenté, est republié en 1842. Il est traduit en français en 1888.
La littérature ne nourrissant décidément pas son homme, en 1839, il obtient un poste d'inspecteur dans les douanes de Boston où il travaille jusqu'en 1840. Il sera de nouveau inspecteur des douanes, à Salem, entre 1846 et 1849.
Entre temps, il se marie, en 1842, avec Sophie Peabody, qu'il a connue en 1838. Avant cela, il avait participé un temps (en 1841) à l'expérience de Brook Farm, une entreprise communautaire, dont il s'inspirera pour The Blithedale Romance (1852), Valjoie en français . Avec Sophie, ils s'installent dans une vieille maison (un presbytère), à Concord, appartenant à Ralph Waldo Emerson (1803-1882). Le couple aura trois enfants, Una née en 1844, Julian en 1846 et Rose, 1851. Ce séjour est aussi occupé par la rédaction de nouvelles, réunies plus tard, en 1846 (puis une édition augmentée en 1854), sous le titre de Les Mousses d'un vieux presbytère (Mosses from an Old Manse) qui déclencheront l'admiration de Melville. A Concord, il fréquente aussi Henry David Thoreau.
Si Hawthorne appréciait la solitude, il n'en était pas pour autant un homme solitaire. Ses amitiés sont nombreuses et solides. Ainsi de celle de Franklin Pierce, élu président des Etats-Unis en 1852.
En 1850, il publie La Lettre écarlate (The Scarlet Letter) , son premier vrai succès ; en 1851, La Maison aux sept pignons (The House of the Seven Gables), son troisième roman, traduit en français en 1865.


L'inspiration de Hawthorne est souvent sombre, mais il est aussi capable d'enjouement et de légèreté, ainsi des Livres des merveilles, premier et second, (A Wonder-Book for Boys and Girls, 1852, et Tanglewood Tales for Boys and Girls, 1853) où il conte avec beaucoup d'humour et de tendresse quelques mythes grecs parmi les plus connus. Ce sont des livres pour enfants mais où le talent de l'écrivain s'épanouit dans un registre qui lui était cher, le bonheur d'un imaginaire gracieux.
En 1852, le nouveau président, Franklin Pierce, le nomme consul à Bristol, en Grande Bretagne. Hawthorne occupera son poste de 1853 à 1857, puis il fera un long séjour à Rome et Florence (1858-1860) après être passé par la France. La famille est de retour aux Etats-Unis en 1860. Hawthorne publie alors Le Faune de marbre (The Marble Faun). Il est déjà fort malade et diminué, mais en 1864, il insiste pour accompagner son ami Pierce dans un voyage au cours duquel il meurt, dans son sommeil, le 19 mai 1864.






Salem

Gravure représentant le port de Salem au milieu du XVIIIe siècle. Le commentaire est écrit en allemand (gauche) et en français (à droite) : "Salem. Une ville de l'Amérique anglaise, dans le comté d'Essex. Elle a été bâtie par les Anglais en 1629 et a deux ports, l'un pour l'été et l'autre pour l'hiver".

Le roman

     Il est organisé en deux parties distinctes, d'abord "Les Bureaux de la douane. Pour servir de prologue à La Lettre écarlate" et le texte correspondant à ce dernier titre, distribué en 23 chapitres (tous titrés) et une conclusion. Le prologue et la conclusion sont assumés par un narrateur racontant, au présent, d'une part, la découverte du manuscrit, dans les douanes de Salem, dont il va faire un roman et, d'autre part, les diverses interprétations des événements racontés s'étant déroulés plus d'un siècle auparavant dans la ville de Boston et la destinée de son personnage principal.
"Les Bureaux de la douane" (The Custom-House) se présente ouvertement comme un texte autobiographique : "voici qu'aujourd'hui je saisis [...] le lecteur par le bouton de sa veste pour lui parler des trois ans que j'ai passés dans les bureaux d'une douane" (GF, p. 23). De fait, Hawthorne a travaillé aux douanes de Salem entre 1846 et 1849. Mais cette indiscrétion biographique se justifie par la nécessité d'expliquer "comment une bonne partie des pages qu'on va lire sont tombées" en sa possession. La fiction d'un manuscrit découvert a souvent été utilisée en littérature mais Hawthorne va en jouer d'une manière bien particulière.
Avant d'en arriver au sujet qui est le but de ce prologue, le narrateur donne au lecteur un brillant aperçu de ses qualités d'observateur critique tant à l'égard des choses que des hommes, dont il dessine, à travers trois exemples, les silhouettes morales, l'homme du désir (le vieux gourmand), l'homme du devoir (le vieux général chef du bureau) et le fonctionnaire impeccable. Mais il l'introduit, en même temps, toujours par le biais autobiographique, dans ce qui va être un des thèmes essentiels du roman : la culpabilité. Le premier Hathorne, arrivé à Salem, en 1630, a persécuté les Quakers et son fils "hérita de cet esprit de persécution", juge dans le grand procès en sorcellerie  des années 1690. Le narrateur sent peser sur lui le poids de ce passé, "En tous cas, je prends, moi, l'écrivain actuel, leur honte à ma charge" (GF, p. 30) tout en ajoutant qu'ils doivent se sentir bien punis d'avoir "pour rejeton, un propre à rien" comme lui, puisqu'aux yeux de ces puritains d'autrefois, la littérature est une activité futile et, surtout, inutile.


Le narrateur constate avec humour que c'est assez vrai jusqu'au jour où, fouillant de vieux papiers abandonnés dans une pièce tout aussi abandonnée du deuxième étage du bâtiment des douanes, il découvre LE manuscrit. En vérité, l'objet est complexe : une première feuille, enveloppant le tout, identifie l'auteur, l'inspecteur Pue, mort depuis plus de 80 ans ; elle recouvre une liasse de feuillets contenant des "recherches sur l'histoire locale" et un bout de tissu rouge, en très mauvais état et fort intriguant, mais dont l'histoire s'éclaircit dans les quelques douze feuillets où elle est rapportée.
Cette multiplication des narrateurs construit le récit sur trois niveaux temporels : celui du narrateur (contemporain du lecteur, vers 1850) qui s'est "accordé autant de liberté que si les faits avaient été entièrement de [son] invention" à partir du manuscrit de l'inspecteur Pue ; celui-ci remonte à presque un siècle en arrière, et il est lui-même construit sur une  utlime couche temporelle, celle des témoignages de vieilles gens qui se souvenaient d'en avoir connu l'héroïne, Hester Prynne, dans leur jeunesse, alors qu'elle était "une femme très vieille mais non décrépite" (GF, p. 52) ; si bien qu'à partir de la date d'édition du roman, 1850, il faut situer les événements racontés dans les premières années de l'implantation de la Nouvelle Angleterre, vers 1630-1640.
La curiosité éveillée ne suffit pourtant pas à ressuciter ce passé car comment stimuler une fantaisie en tous points contraire à la vie de bureau. Le monde du réel et celui de l'imaginaire ne parviennent pas à se rejoindre. La politique se charge de régler la question, puisque le narrateur perd son emploi, ce qui vaut au lecteur quelques pages sarcastiques (et fort drôles) sur les "lois" des disputes électorales étasuniennes. Cela ne l'empêche pas de terminer sur l'espoir qu'il sera lu un jour, dans ce temps où la "pompe municipale" sera devenue monument historique. Ainsi de même que le récit se construit entre passé et futur, sa lecture (donc son appréciation, peut-être sa compréhension) s'inscrit entre présent (de l'écriture), brassant toutes les écritures passées  et futur (des lecteurs), ce qui, peut-être, dans ces deux textes où la mort est particulièrement présente, est une manière de la voiler, sinon de l'éliminer. La littérature transcende le temps imparti aux vivants.



La Lettre écarlate.

      Le récit qui doit son existence à deux "auteurs", l'inspecteur Pue qui a rassemblé les témoignages, le narrateur qui tisse d'imaginaire et de rêves ces informations, se déroule chronologiquement sur 7 années, de la sortie de prison d'Hester Prynne, à sa disparition de Boston alors que son enfant a 7 ans. Le lecteur découvre Hester au moment où elle quitte la prison pour le pilori, condamnée à porter l'infamante lettre "A" signalant la faute de l'adultère (prouvée par l'existence de l'enfant qui a, alors, 3 mois) ; le lecteur apprend très vite qu'Hester est mariée, venue à Boston deux ans auparavant sans son mari dont on n'a plus de nouvelles, d'où l'accusation d'adultère. 
     Il met en jeu quatre personnages principaux : Hester Prynne, le révérend Arthur Dimmesdale, l'enfant d'Hester, Pearl, et le vieux savant qui se fait appeler Roger Chillingworth. Très vite, il est clair que ces personnages sont liés de près. Le vieux Chillingworth est le mari d'Hester qui refuse de se reconnaître comme tel. Et le pasteur est, évidemment, l'amant inconnu de la jeune femme, le père donc de l'enfant.
Le roman tout entier est sous le signe du paradoxe que souligne le premier chapitre dans ses oppositions : nouveau monde (promesse de bonheur), vieilles habitudes qui font de la prison et du cimetière les deux premières entreprises d'une installation, à Boston, comme ailleurs. La prison, laide, vieille dès l'origine, voit pousser à sa porte un buisson de roses sauvages, et sur ce buisson de roses, les légendes vont bon train.
Ainsi l'univers qui se met en place est-il celui des paradoxes entre la beauté, la liberté (le rosier est sauvage tout comme la petite Pearl qui affirmera avoir été trouvée dans un buisson de roses), et toutes les pressions sociales qui tendent à les détruire.
Le moindre de ces paradoxes n'étant pas celui d'un monde profondément masculin, rigide, pour ne pas dire sinistre, le plus souvent d'ailleurs caractérisé par la vieillesse, où l'interdit cerne les individus de toute part, dont il semble que toute joie et toute vie soit exclue (même les jeux des enfants sont tristes), un monde sans couleur, opposé à un seul personnage féminin à la fois "belle par la beauté" (dirait Segalen) et affichant le flamboiement de sa broderie d'or et d'écarlate qui devrait la flétrir, la lettre A indiquant le crime d'adultère, et l'enfant que la communauté voudrait voir comme stigmate et qui explose de vie et d'allégresse. Hester Prynne qui accepte d'endosser sa culpabilité refusera toujours de dénoncer son complice que le lecteur identifie fort vite, par ailleurs, contrairement aux concitoyens de la jeune femme qui voient sans voir, et finiront par voir ce qui, sans doute, n'existe pas (cf. les commentaires du narrateur dans la "conclusion" du roman).
Le personnage d'Hester Prynne, tel que l'imagine le narrateur, est celui d'une femme forte, intelligente, déjà cultivée lorsqu'elle arrive en Nouvelle Angleterre, mais qui va continuer à lire et apprendre dans ses années de mise à l'écart, années où la petite Pearl va grandir, se révéler fort différente (et pour cause) de la communauté qui finit par admirer dans la réprouvée sa bonté, son dévouement aux malheureux, au point de réinterpréter le sens du "A" comme la première lettre du mot "active" (traduction Marie Canavaggia ), "They said that it meant Able ; so strong was Hester Prynne, with a woman's strengh", le terme "able" renvoyant davantage au pouvoir, à la capacité d'agir, mais il fallait trouver un terme commençant par A pour rester dans la tonalité des interprétations.

GF

première de couverture, éd. GF-Flammarion 1982, photogramme extrait du film de Victor Sjöström, 1926, Lilian Gish dans le rôle de Hester Prynne à sa sortie de prison.


Hester transforme sa culpabilité (elle ne met jamais en doute le fait qu'elle a commis une faute) en force alors que le malheureux Arthur Dimmesdale se torture à l'infini, pris dans tant de contradictions qu'il ressemble fort à une mouche dans une toile d'araignée où le vieux Roger Chillingworth (dont le patronyme est bien prometteur de souffrance) paraît l'araignée embusquée, avivant une souffrance dont il devine l'existence sans parvenir à en obtenir l'aveu.
Dans cet univers où chacun fait son malheur (et celui des autres), il y a toutefois la liberté et la promesse de l'enfance. Le narrateur s'émerveille (et nous émerveille) devant la petite Pearl, feu, flamme, imagination (cf. chapitre 6, chap. 15, les jeux de l'enfant sur la plage). Et Hester sauvera son enfant de la malédiction.
La grande force du roman réside dans les divers niveaux de narration : celui des faits, celui des interprétations de l'époque (et le diable, homme noir ou satan, est partout) et la distance que prend le narrateur contemporain vis-à-vis de ces interprétations suggérant que le sentiment de culpabilté est moins important que l'amour. Amour d'Hester pour le jeune pasteur, amour d'Arthur pour Hester qui le ronge bien plus sûrement que sa culpabilité, amour d'Hester pour l'enfant et même, ne lui laisse-t-il pas tous ses biens à sa mort, amour de Roger Chillingworth pour l'enfant "du péché" qui n'est, sans doute, que la conséquence de son amour pour Hester.
L'amour que se sont portés Hester et Arthur s'inscrit dans l'unique pierre tombale armoriée recouvrant leur deux corps dans le cimetière, nouveaux Tristan et Iseult.
Le roman en devient une méditation sur les ambiguités des êtres humains en même temps qu'un hymne profond à la beauté et à la poésie. Les pouvoirs de la littérature sont bien de transfigurer le réel, d'y faire voir ce que l'on s'obstine à ignorer, la beauté des êtres et du monde, nonobstant leurs faiblesses et, même, parfois leur sottise. Le monde et les êtres sont une énigme, et la lettre "A" brodée par toutes les ressources du talent d'Hester, en rouge et or, en est le signe patent, autant pour les contemporains d'Hester que pour le lecteur qui ne peut s'empêcher de penser en même temps au "A" de "author" (auteur) et il y a entre le narrateur et son personnage bien des connivences, par exemple, dans le rapport qu'ils entretiennent avec leurs deux villes, Salem (The Custom'House) et Boston, lieux de déplaisir et de malheur dont il est impossible de s'extraire vraiment, et le narrateur revient toujours à Salem comme Hester reviendra finir sa vie à Boston ; au "A" de Arthur, le prénom de l'amant dont l'héroïne reste marquée pour la vie ; voire au "A" de "Angel' (Ange) que quelques-uns finissent par voir dans la bonté inlassable de Hester.

Hugh Tomson

Illustration de Hugh Thomson : Hester sortant de prison pour aller au pilori (1920).




A consulter
: le texte original disponible sur archives.org.



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