Le
Roi se meurt : Eugène
Ionesco, première représentation, 15 décembre 1962,
théâtre de l'Alliance française
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Pièce en un acte, Le Roi se meurt, met en scène l'agonie de son personnage principal, le roi Bérenger Ier. Le mot "agonie" renouant ici avec son origine grecque, agôn = combat. Sujet âpre et douloureux où Ionesco réussit un pari difficile, faire rire et émouvoir dans le même temps, mettre la dérision au service de la réflexion, exalter la vie dans ses bonheurs minuscules (les couleurs d'un marché aux légumes), dans ses plaisirs, pour conduire le spectateur à accepter, comme le roi, la vieillesse, l'impuissance, la solitude et la fin. Marguerite, ici, conduit ce Faust, qui ne trouve pas de diable avec qui faire un pacte, vers une fin ("Enfin, il n'y a plus que cette lumière grise") renouant d'une certaine manière avec le lieu commun du "theatrum mundi" : l'homme n'est qu'un acteur sur une scène qu'il lui faut quitter à la fin du spectacle, sans que rien soit jamais suggéré d'un ailleurs ou d'un au-delà possible, nudité de la condition humaine, sans aucune transcendance. |
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La rédactionLa pièce, selon les dires de son auteur, été rédigée en deux fois dix jours, entre le 15 octobre et le 15 novembre 1962. L'interruption étant due à une maladie. Si la rédaction est relativement rapide, la gestation de la pièce a été bien plus longue. Jacques Mauclair assure que Ionesco songe à une pièce "sur la mort" à laquelle il travaille sporadiquement depuis 1955. Elle a d'abord eu pour titre "Les Rois" et se déroulait dans un asile de vieillards.Lorsque Ionesco s'attelle vraiment à la rédaction, pendant un certain temps, il donne à sa pièce le titre de "La Cérémonie". Ce titre permet de souligner l'ambivalence de la pièce puisqu'il évoque la tragédie, dont nombre de critiques ont fait une "cérémonie", tout autant que l'apparat, le caractère solennel d'un événement mais cette fois-ci connoté péjorativement comme relevant essentiellement de l'apparence, de la monstration, du spectacle, et se prétant par là à la moquerie. |
Page du manuscrit du Roi se meurt,
BnF. (Les dessins des rois correspondent aux premières idées de Ionesco
relatives à une pièce sur la mort.)
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Dans un entretien accordé au
Figaro en 1976, l'auteur évoque le rôle qu'ont joué le Livre des morts
tibétain (Bardo Thödol)
et le folklore roumain dans l'élaboration de sa pièce. |
Juliette Carré (Marguerite), Michel Bouquet (Bérenger), Jacques Echantillon (le médecin), Théâtre Hébertot, Paris, mise en scène de Georges Werler, 2004. |
Une tragédieComme dans une tragédie classique, la pièce respecte la règle des trois unités, aussi sévèrement qu'a pu le faire Racine. Le petit nombre de personnages ne quitte pas le lieu unique de l'intrigue, la salle du trône, que Juliette, la femme de ménage, appelle "living room", dénomination burlesque à la fois par son anachronisme et son caractère antithétique, ce n'est pas une salle à "vivre" mais à "mourir" ; l'action est bien unique aussi puisqu'elle est l'agonie du roi ; enfin la durée, annoncée par la reine Marguerite, dès le début, ne s'étend que sur "une heure et demie", c'est dire qu'elle coïncide parfaitement avec la durée du spectacle.Comme dans la tragédie classique encore, les personnages principaux sont un roi et deux reines ; un roi que les premiers échanges caractérisent comme ayant été tout puissant : le soleil apparaissait par son ordre, le chauffage lui obéissait, comme les nuages ou la pluie. Maintenant son pouvoir sur le monde, à l'instar de son pouvoir sur lui-même, s'amenuise comme son royaume se rétrécit, déjà réduit aux dimensions d'un jardin au début de la pièce, il finit par se borner à la salle où se tiennent les personnages. Un rétrécissement du monde au pouvoir du roi qui manifeste la progression de la vieillesse et la progression vers la fin qu'elle implique. La reine Marguerite incarne le devoir, les obligations, la loi en quelque sorte ou le principe de réalité (si l'on fait de tous les personnages des instances du "moi" royal, ce qui est une possibilité), alors que la jeune reine Marie est, elle, du côté de la jouissance, de l'insouciance, de la pitié aussi et du chagrin, et par là même de l'aveuglement. Comme dans la tragédie aussi, la mort est le thème essentiel, et la fin est donnée dès le commencement, par le titre lui-même "Le roi se meurt" qui rappelle aussitôt une des plus célèbres oraisons funèbres de Bossuet, celle d'Henriette d'Angleterre (21 août 1670) "Madame se meurt, Madame est morte !" (déclaration que reprend à son compte le garde), puis par les mots de la reine Marguerite annonçant au roi "Tu vas mourir dans une heure et demie à la fin du spectacle." |
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Le roi, dont le nom de Bérenger rappelle celui du héros de Rhinocéros (et celui d'autres personnages du théâtre de Ionesco) est l'homme confronté à sa propre finitude, à la nécessité de mourir, non de manière abstraite, mais précise et concrète, annonce qui lui est faite au début de la pièce. Il va passer par toutes les étapes des réactions possibles à cet événement : la dénégation "Mais je le sais bien sûr. Nous le savons tous. Vous me le rappellerez quand il sera temps." ; la révolte "Un enfant ! un enfant ! Alors je recommence ! je veux recommencer." ; et enfin une relative résignation, se manifestant par un renoncement progressif et par les mots "Je meurs", qui permet à la reine Marguerite de le guider vers la disparition. | ||||
Le burlesque
Une tragédie, selon la théorie d'Aristote dans la Poétique,
doit provoquer chez les spectateurs, des sentiments concomittants de
terreur et de pitié. Sur ce plan-là, la pièce de Ionesco ne peut être
définie comme tragédie. Si le roi suscite souvent la pitié, celle qu'éprouvent les
deux personnages féminins que sont Juliette (femme de ménage d'abord,
puis infirmière) et Marie (le jeune reine), celle du spectateur, à aucun moment la pièce
ne provoque de terreur, parce que le tragique de son sujet, mourir, est
continûment contrebalancé par le burlesque. |
L'actualisation scénique :la pièce est montée au théâtre de l'Alliance française, à Paris, que dirige alors Jacques Mauclair, et qu'il décrit ainsi :
Ces conditions, peu favorables aux idées de Ionesco, vont demander beaucoup d'ingéniosité pour en sauvegarder l'esprit dans les limites du "possible", explique Jacques Mauclair, c'est ainsi que le dénouement sera résolu par Jacques Noël :
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Jean-Paul Roussillon, Bérenger dans Le Roi se meurt. Mise en scène, Ghislaine Dumont, Nouveau Théâtre Mouffetard, 1993. |
A regarder et écouter : Eugène Ionesco parlant de sa pièce sur le site de l'INA.
A lire : une critique sur la reprise de la mise en scène de Werler, en 2012 (Armelle Heliot) et une autre de Philippe Oualid. |