3 novembre 1901 : André Malraux

coquillage


     Comme bien des personnes, juste peut-être un peu plus qu'une autre, Malraux est une énigme. A la fois romancier prestigieux quoiqu'il ait écrit peu de romans, figure éminente du monde des arts  pour en avoir sondé les arcanes (Le Musée imaginaire, 1947 / La Création artistique, 1948) et en avoir été un acteur institutionnel (ministre des Affaires culturelles de 1959 à 1969, patron donc d'un ministère dont il est souvent dit que de Gaulle, revenant au pouvoir en 1958, l'avait créé pour lui mais qui perdure jusqu'à ce jour), et présence marquante de l'Histoire, tout court, du XXe siècle par ses engagements, ses actes, ses discours (Indochine, Guerre d'Espagne, Seconde Guerre mondiale, etc.), en somme toujours là où se passe quelque chose d'important.
Et dans le même temps, c'est toujours un personnage fuyant, évanescent, dont, au fond, on sait tout, sans rien savoir. Comme si l'individu, André Georges Malraux que cerne impitoyablement, comme pour tout un chacun, une trajectoire chronologique, de la naissance à la mort (3 novembre 1901 - 23 novembre 1976), avait projeté mille et une ombres à son entour, chatoyantes, fascinantes, mais à l'abri desquelles il reste caché. Sa première épouse, Clara Malraux, suivie en cela d'un de ses biographes (Olivier Todd), affirmait qu'il était en permanence "un escroc génial", mais de Gaulle, lui, s'il conservait l'adjectif "génial" pour le qualifier, parlait d' "ami", lui qui n'en avait guère et avait une haute idée de l'être humain. 
Qui était vraiment André Malraux ?





Malraux

André Malraux. Photographie Gisèle Freund, 1933.

C'est en avant qu'est la force tirante....

     Il est donc né le 3 novembre 1901. Ses parents se séparent en 1905 (il a 4 ans), il est élevé par sa grand mère maternelle ("grande, droite, comme une régente de Frans Hals" la décrit Clara Malraux), sa tante et sa mère, sans cesser de rencontrer, par ailleurs, son père. La grand mère gère une épicerie à Bondy, dans la banlieue nord-est de Paris.
Le jeune André voit régulièrement son père, même lorsque celui-ci vit avec une nouvelle compagne (qu'il épousera, après son divorce, en 1922, pour divorcer, de nouveau, quatre ans après). Le couple a deux fils, Roland né en 1912 et Claude, né en 1920.
De cette enfance, rien ne reste dans l'oeuvre de l'écrivain et il écrira, plus tard, dans les Antimémoires (1967) : "Presque tous les écrivains que je connais aiment leur enfance, je déteste la mienne. J'ai peu et mal appris à me créer moi-même, si se créer, c'est s'accommoder de cette auberge sans routes qui s'appelle la vie." ou  encore, cité par Biet, Brighelli, Rispail (Gallimard Découvertes, 1987 ) : "Je  n'aime pas ma jeunesse : la jeunesse est un sentiment qui vous tire en arrière. je n'ai pas eu d'enfance." C'est une manière de considérer, en somme, que l'enfance n'est pas aussi importante dans la construction d'un être que la doxa, depuis Rousseau, et encore plus après Freud, tend à le croire. En réalité, il donne l'impression d'avoir passé sa vie, dès qu'il a été en âge de s'affirmer, à effacer ces origines. La petite bourgeoisie n'est pas son fait, pas davantage que les routes toutes tracées.
A 17 ans, avant même de passer son baccalauréat, il abandonne ses études. En 1919, il travaille pour un libraire-éditeur, René-Louis Doyon. Il a tout d'un dandy baudelairien, ce dont témoignent ceux qui le connaissent alors. il met un point d'honneur a toujours être d'une parfaite élégance de mise et de manières. Le dandy l'est aussi au niveau de ses activités : lectures boulimiques (Nietzsche, Michelet, Baudelaire, Loti, Barrès, Tolstoï, Dostoievski...), dénicheur d'éditions rares,  fréquentant les musées, et les cours qui s'y donnent, par ex. au musée Guimet ou au Louvre, écriture.  Il publie son premier article, en 1920, "Des origines de la poésie cubiste", dans la revue Connaissance que vient de fonder Doyon. En 1921, Max Jacob le présente à Kahnweiler, marchand de tableaux et éditeur d'art, qui publie son premier ouvrage, Lunes en papier, illustré par Fernand Léger et dédié à Max Jacob.
Il fréquente le monde littéraire. Il fait la connaissance de Clara Goldschmidt. Il a 20 ans, elle en a 24. Elle est séduisante, cultivée, aussi énergique que lui. Ils se plaisent, ils s'épousent en 1921. Clara est riche, ce qui ne gâche rien.
Commencent alors deux années de vie facile, avec de fort nombreux voyages dans lesquels les visites de musée occupent une place importante. Mais en 1923, c'est la ruine. Les placements financiers que Malraux avait fait de la fortune de son épouse, se révèlent désastreux. Que faire ?
Malraux a réussi à se faire réformer (il ne fera pas son service militaire), ce qui contraste avec ce que les années suivantes verront de ses engagements militaires. En attendant, il faut trouver des solutions car il n'est évidemment pas question de "travailler", au sens de "gagner sa vie" comme tout un chacun, s'astreindre à une routine.





Clara et André Malraux

Clara et André Malraux chez Fernand Malraux (le père de l'écrivain), à Saint-Jean-le-Blanc, 1922

Malraux a alors cette brillante idée : trafiquer des oeuvres d'art. Il y un marché : les collectionneurs nord-américains ; il y a un gisement : l'Indochine. Et d'organiser une expédition.

L'Indochine

      Malraux monte un dossier destiné aux autorités, proposant son voyage comme ayant un objectif archéologique, découvrir de nouveaux sites de temples au Cambodge, dans les environs d'Angkor, au profit de l'Ecole française d'Extrême-Orient et du musée Guimet. Et ça marche. Clara et André s'embarquent à Marseille en octobre 1923 et sont rejoints à Saïgon par l'ami Louis Chevasson (une amitié qui date de l'école primaire de Bondy). Au début, tout a l'air de bien se passer, ils trouvent le petit ensemble de Banteai-Srey, dont Malraux avait appris l'existence dans un article de 1919 du bulletin publié par l'EFEO, et, sans beaucoup d'états d'âme, découpent un certain nombre de bas reliefs puis se mettent en route vers Phnom Penh où ils arrivent en décembre 1923. Malheureusement pour eux, les autorités ne trouvent pas cela de leur goût, ils sont arrêtés, les pièces confisquées, assignés à résidence et accusés de "pillage de ruines". Procès s'ensuit. Malraux est condamné à trois ans de prison (juillet 1924), Louis à un an et demi et Clara, laissée en liberté, considérée comme l'épouse, il est évident qu'elle n'a fait que suivre son mari. Clara rentre en France et rameute tout le beau monde des arts et de la littérature. En novembre 1924, Malraux et Chevasson sont jugés en appel et les condamnations  ramenées à un an avec sursis pour le premier, 8 mois avec sursis pour le second.
     Rentré à Paris, Malraux n'a de cesse de repartir, ce qu'il fait en janvier 1925, avec Clara et son avocat, Paul Monin. Objectif : fonder, à Saïgon, un journal "de rapprochement franco-annamite". Le quotidien commence à paraître en juin, est interdit en août et reparaît sous un nouveau nom en novembre 1925. Là encore, l'expérience doit cesser en février 1926. Mais elle a complété ce que le premier séjour avait fait découvrir : les ravages du colonialisme, elle a rendu Malraux attentif aux mouvements de révolte qui parcourent le continent, Chine comprise. Malraux n'attend pas le dernier naufrage, il est malade, il rentre en France en décembre 1925.
L'expérience aura donc peu duré, mais ce contact avec l'Asie, via le Cambodge et le Vietnam (pas du tout de Chine dans ce périple), n'en a pas moins été déterminant, pas seulement pour la raison déjà énoncée. Il y  aura toujours, chez Malraux, cette fascination pour les cultures d'extrême-orient, leurs arts et leurs philosophies. Il va, par ailleurs, en résulter la série de romans qui vont établir sa stature d'écrivain essentiel :
1926 : La Tentation de l'Occident
1928 : Les Conquérants



1930 : La Voie royale (premier prix Interallié, lequel est un prix fondé par des journalistes ;  ce prix est, en somme, le début du malentendu, certainement apprécié, peut-être même voulu par Malraux, qui fait de son oeuvre romanesque une sorte de grand reportage, un témoignage sur des réalités connues, vécues par leur auteur. Il faut dire que dans la notice biographique des Conquérants, Malraux n'avait pas lésiné sur ses états de service, vrais et faux)
1933 : La Condition humaine (prix Goncourt)
     Au cours de ces années, Clara et André continuent à voyager beaucoup, au point d'accomplir presque un vrai tour du monde qui inclut aussi la Chine, Pékin (Beijing), Shanghaï et Canton (Guangzhou). En 1932, la mère d'André Malraux décède, quelques mois avant qu'il ne rencontre Josette Clotis (1910-1944) alors journaliste à Marianne. La vie amoureuse se complique.
En 1928, il est entré au comité de lecture de Gallimard, et en 29 devient directeur des éditions artistiques de cette maison. En 1933, naît sa fille, Florence. Cette même année, d'évidence riche en émotions, il a une brève liaison avec l'étourdissante Louise de Vilmorin.
Durant la décade des années 1930, Malraux outre ses engagements anti fasciste est très présent dans le monde éditorial puisqu'il signe un certain nombre d'articles critiques, qu'il publie des éditions de luxe (textes et illustrations), qu'il dirige même avec l'ami Chevasson des éditions d'art.
En 1934, financé par L'Intransigeant qui attend, en retour, des articles, Malraux décide de partir en quête des ruines de la capitale de la reine de Saba. Il trouve un complice, un aviateur, Corniglion-Molinier. Bien sûr, ils ne trouvent rien hormis sans doute les fantasmes de l'écrivain. Mais quelle belle aventure!
Le combat contre les fascismes prend de plus en plus de place dans sa vie. Dès 1933, Malraux est convaincu qu'une guerre est inévitable, ce qui ne l'empêchera pas de mettre tous ses efforts à tenter de l'empêcher. En 1935, il publie Le Temps du mépris.
Comme bien d 'autres, l'Espagne l'inquiète.

L'Espagne

     Lorsque le 17 juillet 1936, Franco et ses troupes s'insurgent contre le gouvernement élu en février, le monde s'émeut, le monde, mais pas les politiques. Clara et André Malraux débarquent à Madrid où nul, en France, ne sait vraiment de qui se passe. Lorsqu'ils repartent, c'est chargés de mission, trouver une aviation pour le pays qui n'en a plus. Peut-être Malraux s'est-il souvenu de Beaumarchais, trafiquant d'armes pour la jeune république nord-américaine, ou plus près, de Dumas, trafiquant d'armes au profit de Garibaldi, en tous cas constituer une aviation ne manquait ni d'ambition, ni de panache. Le plus extraordinaire, c'est qu'il y parvient, il finit par obtenir une trentaine d'appareils, trafic sur lequel le gouvernement français ferme opportunément les yeux, avec lesquels il constitue une escadrille de combattants étrangers qu'il baptise "España". Inutile de dire qu'il ne sait pas piloter, ce qui ne l'empêchera pas avec le grade, octroyé par les Espagnols, de lieutenant-colonel, de mener ses hommes au combat jusqu'au début de 1937. Il part ensuite en mission pour tenter de récolter des fonds (tout le monde sachant que l'argent est le nerf de la guerre), aux Etats-Unis et au Canada, voyage qu'il fait avec Josette Clotis. En décembre 1937, il publie L'Espoir.






affiche républicaine

Affiche républicaine, 1936. "No pasarán!" (Ils ne passeront pas !) est une phrase tirée d'un discours de Dolores Ibárurri, "La Pasionaria", qui devient vite un mot d'ordre.


Au retour, le couple s'installe à Paris, mais pas pour longtemps, car Malraux a le projet de faire un film de L'Espoir, qu'il veut tourner en Espagne même. Et il le fera (avec la complicité de Corniglion-Molinier qui disposait de studios et donc de matériel et de personnel) dans des conditions défiant toute raison, comme d'évidence, dans un pays en guerre, dans le camp qui est, hélas, en train de la perdre. Avec trois bouts de rien du tout, Malraux et son équipe parviennent à filmer Sierra de Teruel (c'est le premier titre du film), malgré tout, jusqu'à ce que la chute de Bracelone, en janvier 1939, contraigne tout le monde à se replier sur Paris. Le film n'est pas vraiment terminé, ce qui complique le travail du montage. Lorsque celui-ci s'achève, la Seconde guerre mondiale a commencé. Il sera donc peu vu, mais lorsqu'il sortira en salle, sous le titre L'Espoir, en 1945, il obtiendra le prix Louis Delluc.


Les années de guerre

     Malraux s'engage dès le début de la guerre. Refusé dans l'aviation, il est incorporé dans les blindés pour une guerre aussi rapide qu'inefficace. Il est prisonnier le 16 juin 1940. Avec l'aide de son frère Roland, qui a déjà rejoint la résistance, il s'évade et se réfugie avec Josette et leur nouveau-né, en zone libre. Il recommence à écrire. Et curieusement, pour cet homme qui jusqu'alors se précipitait partout où, comme aurait dit Corneille, son honneur l'exigeait, il tergiverse. Ses deux jeunes frères sont déjà engagés (ils mourront tous deux tragiquement en 1945), mais Malraux temporise. Il écrit. Il ne va finalement rejoindre la résistance qu'en 1944, après que son frère Claude a été arrêté par les Allemands. Comme souvent, s'agissant de lui, les témoignages divergent du tout au rien. Entre ceux qui lui accordent un rôle essentiel de fédérateur des maquis du sud-ouest, et ceux qui haussent les épaules en y voyant surtout de la frime, il est difficile de trancher. La légende veut qu'il ait été, à son habitude, brillant, irrésistible, et marginal. Il est arrêté le 22 juillet 1944, emprisonné à Toulouse et libéré par la fuite subséquente des nazis qui abandonnent le terrain. Il n'en est pas moins vrai que se retrouvant à Paris, où résident Josette et leurs deux enfants (le second, né en 1943, dont le parrain a été, curieusement car enfin il était bel et bien au vu et au su de tous un collaborateur sans honte aucune, Drieu La Rochelle), il organise, avec d'autres, la brigade Alsace-Lorraine composée de maquisards voués à la libération de l'Alsace, un peu moquée sous l'appellation de "brigade très chrétienne du colonel Berger" pour ce qu'elle comptait de nombreux prêtres et pasteurs résistants. Nonobstant, La brigade sera vraiment active et efficace.
Mais cette fin de le guerre est aussi douloureuse sur le plan personnel. La mort frappe tout près, Josette Clotis est victime d'un accident mortel (elle tombe sous un train qui lui broie les jambes et en meurt) en novembre 1944 ; ses deux jeunes frères sont exécutés par les Allemands.

"Mongénéral" et "l'ami génial"

     C'est en janvier 1945 que Malraux est présenté au général de Gaulle qui n'est encore que le chef des Forces Françaises Libres qu'il a créées dès l'époque de l'armistice de Pétain (juin 1940). C'est un coup de foudre. Chacun reconnaît en l'autre son alter-ego. Quand de Gaulle forme son cabinet en novembre 1945, Malraux devient ministre de l'information. L'expérience sera brève puisque le gouvernement est dissous trois mois plus tard. Mais Malraux n'en restera pas moins jusqu'à la mort de son ami, son interlocuteur privilégié et son porte-parole.
Il va cependant avoir en quelque sorte près de dix ans de vacances, ce que lui-même a nommé "la traversée du désert" de de Gaulle. Le politique s'estompe au profit de l'oeuvre, laquelle se tourne résolument vers les questions esthétiques.
Entre 1947 et 1949, l'éditeur Skira, à Genève, publie Le Musée imaginaire ["J’appelle Musée imaginaire la totalité de ce que les gens peuvent connaître aujourd’hui même en n’étant pas dans un musée, c’est-à-dire ce qu’ils connaissent par les reproductions, […] les bibliothèques."), La Création artistique, La Monnaie de l'absolu formant les trois volumes de Psychologie de l'art. Revus et corrigés, ils sont de nouveau rassemblés en 1951 sous le titre Les Voix du silence.
En 1948, Malraux qui avait enfin obtenu le divorce d'avec Clara se remarie avec Madeleine Malraux, veuve de son frère Roland. En fait, ils vivaient ensemble, depuis la fin de la guerre, à Boulogne-Billancourt, dans la banlieue parisienne, avec les trois enfants, le fils de Madeleine, Alain, et les deux fils d'André. La rumeur assure que ce mariage a été vivement conseillé par Yvonne de Gaulle qui considérait cette cohabitation comme quelque peu contraire aux bonnes moeurs.
Son neveu Alain témoigne que ces années-là furent surtout de travail acharné "il écrivait, il lisait en vue de faire avancer son travail, ne s'accordait pas un instant de répit. Je crois qu'il est mort sans connaître le sens du mot vacances..."



Malraux

André Malraux, le "colonel Berger", en 1944, après la reprise du mont Sainte-Odile (Haut Rhin) par la brigade Alsace-Lorraine, avec son béret hérité de la guerre d'Espagne dont se moquait gentiment Pierre Viansson-Ponté, le jugeant un "étrange colonel", "le béret vissé sur la tête, allumant l'une à l'autre les cigarettes anglaises [...], il monologuait, gouailleur et piaffant..."





Saul Steinberg

Saül Steinberg (1914-1999), Malraux, dessin, 1954.

Il a beau vivre à l'écart, dans une sorte de retraite monacale, le monde extérieur n'en finit pas de se faire entendre. C'est le temps des guerres de décolonisation. Guerre d'Indochine (1946-54), soulèvements divers, répressions sévères, mais en 1954 la France est obligée de concéder son indépendance à la Tunisie, et en 1956 c'est le tour du Maroc. La guerre d'Algérie qui ne porte pas ce nom ne s'en déroule pas moins.
Malraux signe avec d'autres la lettre ouverte (publiée par L'Express, Le Monde, L'Humanité) qui s'insurge contre l'interdiction de La Question d'Henri Alleg, livre qui dénonce la torture en Algérie (avril 1958).
La situation est grave et le président de la République (René Coty) charge de Gaulle, le 29 mai 1958, de former un gouvernement ; ce dernier convoque son "ami génial"; ensemble, ils vont faire route pendant dix ans. D'abord chargé de l'information, puis chargé du "rayonnement de la culture française", enfin en janvier 1959, ministre d'Etat chargé des affaires culturelles, Malraux va être le commis-voyageur, en quelque sorte, de la Ve République, puisqu'en 1958, la France change de constitution et la République de numéro. Ainsi est né le ministère de la Culture.
Malraux s'active beaucoup avec un budget ridicule, il faut le dire. Mais son bilan est loin d'être négligeable ; à sa mort, en 1976, La Revue des deux Mondes, le rappelait : "[...] la politique culturelle de Malraux a connu de véritables réussites : les maisons de la culture inaugurées en 1969, le label « art et essai » pour certains cinémas, la sécurité sociale des artistes, le plafond de l’Opéra Garnier peint par Chagall… Surtout, les musées doivent beaucoup à Malraux : leur développement et l’ouverture au public a été favorisée par l’auteur de La Condition humaine : l’exposition « Trésors de Toutankhamon », impulsée par le ministre, fut une réussite, ainsi que l’envoi de la Joconde à New-York." (Margaud d'Adhémar, 24 novembre 1976)
En 1964, il lance un inventaire des "richesses artistiques" du pays. Il fait entreprendre les restaurations les plus urgentes, fait ravaler Paris, et la capitale y prend un nouveau visage de pierres blanches.
Activités qui ne l'empêchent ni de voyager, ni d'écrire. Ce qui a des conséquences sur la vie personnelle. Madeleine prend de plus en plus ses distances, même si la question du divorce ne se pose jamais. En 1967, Malraux renoue avec la toujours pétillante Louise de Vilmorin. Cette année-là, il publie les Antimémoires, que Michel Cazenave (Magazine littéraire, octobre 1986) caratérise ainsi :


"bousculant la chronologie, récupérant le farfelu, mêlant le destin du monde à la méditation sur la mort, le mal et les dieux, il recrée un univers qui échappe à l'Histoire, qui tend à l'intemporel et délaisse sans ambages le mode autobiographique pour chercher dans une vie quelles ont été les couleurs du rêve et les figures qui dénient la damnation du Temps : «Ce qui m'intéresse dans un homme quelconque, c'est la condition humaine ; dans un grand homme, ce sont les moyens et la nature de sa grandeur ; dans un saint, le caractère de sa sainteté. Et  quelques traits, qui expriment moins un caractère individuel, qu'une relation particulière avec le monde... J'appelle ce livre Antimémoires parce qu'il répond à une question que les Mémoires ne posent pas, et ne répond pas à celles qu'ils posent.»"
Quand le général de Gaulle quitte le pouvoir après le référendum de 1969 (avril), il se retire aussi à Verrières-le-Buisson, chez Louise de Vilmorin. Il ne leur reste que peu de temps à passer ensemble puisque Louise meurt en décembre de la même année.  Malraux habitera le "château" jusqu'à sa mort. Il continue à voyager et à écrire. Il publie en 1971, Les Chênes qu'on abat, sa dernière entrevue avec de Gaulle, La Tête d'obsidienne, en 1974, autour de l'oeuvre de Picasso. Il laisse une oeuvre inachevée, L'Homme précaire et la littérature, réflexion sur la création romanesque.




Louise de Vilmorin, Malraux

Louise de Vilmorin et Malraux dans le parc de Verrières




La vie de Malraux a donc été une succession d'aventures, d'une certaine manière. Il s'est inventé à la mesure de ses rêves, plus que de ses ambitions, car l'ambition est un certain rapport au monde qui implique la certitude qu'il a un sens, alors que pour Malraux il n'en a pas (le fond de l'existence humaine, c'est l'absurde), du moins avant que l'homme ne parvienne à lui en imposer un. Malraux n'ambitionne ni le pouvoir, ni la gloire ; il rêve plus haut, il veut conférer un sens à sa vie. Bien avant que Sartre ne le théorise, pour Malraux "l'existence précède l'essence". Tous ses personnages le répètent sur tous les tons, ils ne sont que ce qu'ils font, leurs actes les construisent.
Quoiqu'il soit toujours passionnant de chercher à départir le vrai du faux dans une construction aussi complexe que celle d'un personnage comme André Malraux, cela n'a peut-être guère d'importance réelle. C'est à son propos que l'on a envie de citer les derniers mots du journaliste de L'Homme qui tua Liberty Valance (John Ford, 1962) déchirant l'interview du sénateur, "When the legend become fact, print the legend !" (Quand la légende devient fait, publiez la légende).
Malraux a beauoup inventé, mais chacune de ses inventions a débouché sur des actes, des faits. Et la grande leçon à la fois de sa vie, et de toute son oeuvre, est bien ce qu'en disait Gide : "tandis que tant d'autres aujourd'hui s'ingénient à déprécier l'humanité, Malraux spontanément la magnifie..." (André Malraux, l'Aventure humaine, décembre 1944)







dessin de Malraux (série des "dyables"): "Ecœuré, le dyable s'en va"


dessin




A découvrir
: un site consacré à l'écrivain, géré par un groupe d'universitaires.
A écouter : une émission de France culture, Une vie, une oeuvre, 4 octobre 2014
Pour entendre Malraux lui-même, c'est sur Radioscopie (émission de France Inter, Jacques Chancel, 7 mars 1974)
A lire : une article de Sophie Doudet "Malraux en cinq notions", bon aperçu synthétique de la pensée de l'auteur.
Un article sur les critiques littéraires du jeune Malraux par Michel Halty
Un entretien avec Alexandre Duval-Stalla qui a écrit un livre sur les relations de Gaulle-Malraux (2008)



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