Knock,
Jules Romains. Première représentation le
15 décembre 1923, à la Comédie des Champs-Elysées
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A propos de Jules Romains, ce site contient aussi : 1. Une biographie de l'auteur - 2. Une présentation de Mort de quelqu'un (1911) |
Les gens bien
portants sont des malades qui s'ignorent. Knock attribuant la formule à Claude Bernard (Acte I, scène 1)
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Contextes La pièce que nous connaissons sous le titre de Knock a pour titre complet Knock ou le Triomphe de la médecine.
Elle est la quatrième pièce portée à la scène de Jules Romains. |
Affiche de Bernard Becan pour une reprise de la pièce en 1936. |
Edition Jacques-Petit, Angers, 1948. Ilustrations de Jacques Touchet (1887-1949), didascalie initiale : "L'action se passe à l'intérieur et autour d'une automobile très ancienne, type 1900-1902..." |
ConstructionElle est relativement classique, obéissant à une distribution en trois actes, ce qui fut un temps la règle pour les comédies. Les 16 scènes qui composent l'ensemble concourent, par leur répartition entre les actes, à son rythme enlevé. L'unique scène de l'acte I joue son rôle attendu d'exposition, à la fois pour définir le genre, une comédie, les personnages et la situation : le docteur Knock vient d'acheter la clientèle du docteur Parpalaid, médecin d'une petite bourgade de montagne (3500 habitants), Saint-Maurice. Au cours du dialogue, il devient clair, pour le spectateur comme pour le personnage, qu'il s'est fait escroquer, la clientèle du médecin étant inexistante. Qu'à cela ne tienne, Knock se fait fort de répandre la bonne parole médicale même en un lieu aussi visiblement rebelle.Le deuxième acte à travers une succession de six scènes, en crescendo, permet à Knock d'établir son empire sur le village. Ces scènes relèvent, d'une certaine manière, de l'"agôn" des tragédies grecques, puisqu'il s'agit de face à face conflictuels entre Knock et un interlocuteur qui change à chaque scène, dans lesquels Knock doit s'imposer autant à ceux qu'il juge ses "alliés naturels" (lesquels n'y ont jamais songé), le tambour du village, chargé des annonces à la population, l'instituteur, le pharmacien, qu'à sa future clientèle représentée par "la dame en noir", riche fermière, "la dame en violet", aristocrate du village qui se croit encore sous l'ancien régime ("Je connais mes gens." dit-elle), et les deux ivrognes, plaisantins venus, avec visiblement l'accord des autres patients de la salle d'attente, "se payer la tête" du nouveau docteur. L'acte III, à travers ses neuf scènes très brèves, à l'exception de la dernière, fournit le dénouement. Les entrées et sorties des personnages se succédant très rapidement mettent en évidence l'activité nouvelle et collective de la ville. Knock n'apparaît qu'à la cinquième scène. Trois mois se sont passés et le docteur Parpalaid (ainsi qu'ils en étaient convenus) se retrouve en présence de Knock et doit constater ce que la première scène annonçait: "le triomphe de la médecine". L'ensemble se présentant un peu comme une démonstration : situation initiale (la plus défavorable possible), techniques d'intervention (publicité, diffusion de l'information, construction d'un "ethos"), résultats. Les personnagesLe personnage principal (12 scènes / 16) est le personnage éponyme, Knock, les autres n'étant essentiellement que des faire-valoir et n'apparaissant, pour la plupart, que dans une scène.Le dialogue de la première scène lui permet de se présenter : il a quarante ans, vient d'être reçu médecin, vocation pourtant ancienne (enfant, il lisait toutes les bulles des remèdes), confirmée par une pratique de médecin de marine alors qu'il n'était nanti que du baccalauréat de lettres. S'il apparaît sympathique dans la première scène, il le doit à sa franchise que l'on peut confondre avec l'honnêteté, par rapport à Parpalaid, lequel est un hypocrite au mieux, un escroc au pire. Knock est aussi un "beau parleur", ce que le spectateur aura l'occasion de confirmer, mû par une "obsession" qui paraît d'abord être celle de faire fortune, avant de se révéler plus inquiétante dans le dénouement. |
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Illustration de Jean Dratz (1903-1977), imaginant une continuité que la pièce ne présente pas. Dans la scène 1 de l'acte II, Knock se contentant de donner ses ordres au tambour de la ville dont le spectateur ne voit pas l'activité. |
Le docteur Parpalaid
(8/16), que les habitants de Saint-Maurice ont surnommé Ravachol,
sans doute par antiphrase car le rapport est lointain entre
l'anarchiste poseur de bombes et le docteur que semble plutôt
caractériser la mollesse et le goût du statu quo. Il lui a fallu trente
ans pour se décider à aller exercer en ville et son activité médicale
dans le village, qualifiée d' "apostolat silencieux" par Knock dans le
dernier acte, est jugée par tous comme inexistante. Mme Parpalaid (1/16), épouse du précédent, n'apparaît que dans la première scène. Caricature de l'épouse secondant son mari dans la tentative de vendre la vieille auto à Knock, appuyant tous ses dires, faisant étalage de sa sensiblité (le paysage, la culture, Zénaïde Fleuriot étant son écrivain de référence) mais aussi reprochant à son époux son incompétence, : "Ne t'ai-je pas souvent dit que..." Jean (1/16): chauffeur de M. et Mme Parpalaid, n'est présent que dans la première scène. La voiture et lui formant le contrepoint comique de la première scène. Le tambour de la ville (1/16) : sa fonction est de propager les nouvelles. Knock va donc l'utiliser, non seulement pour lire l'annonce qu'il veut faire (une consultation gratuite, le lundi) mais pour diffuser l'image qu'il veut donner de lui, celle d'un "docteur", sans familiarité aucune, celle d'un homme lié aux plus hautes autorités (histoire du préfet) mais discret, celle d'un médecin soucieux des hommes "[...] ce que je veux, avant tout, c'est que les gens se soignent.", d'un scientifique précis ("Est-ce que ça vous gratouille ou est-ce que ça vous chatouille ?"), sérieux (ce qui se manifeste par les interdits), "capable" (ce qui signifie pour le tambour et, par voie de conséquence, pour les autres, qu'il trouve les maladies que Parpalaid ne savait pas trouver). M. Bernard, l'instituteur (1/16) : personnage un peu falot, sur lequel Knock fait pression en utilisant, de manière plus subtile, les deux leviers déjà employés avec le tambour, la flatterie et la peur. Le rire naît ici du décalage entre l'exaltation de Knock décrivant la typhoïde ou la conférence sur les "porteurs de germe" et la terreur que ressent l'instituteur à ces évocations. Mais le personnage y prend aussi une allure inquiétante se laissant aller à dire, après l'aveu de l'instituteur "[...] je n'en dormirai plus. — Voilà justement ce qu'il faut." quoique se reprenant aussitôt. Comme le tambour est employé dans sa fonction même, l'instituteur aussi, puisqu'il s'agit de lui faire mettre sa fonction, enseigner, au service de la prévention "l'enseignement populaire de l'hygiène, l'oeuvre de propagande dans les familles." Mousquet, le pharmacien (5/16) : le personnage, qui porte un nom d'arme à feu ancienne, est d'ailleurs assimilé par Knock à l'artillerie nécessaire à un général partant à la bataille. La tactique ici, change, il ne s'agit ni de flatter, ni de faire peur, mais de jouer cartes sur table en parlant finances et revenus. C'est au pharmacien que Knock expose sa théorie : " «Tomber malade», vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle. La santé n'est qu'un mot, qu'il n'y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide." |
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Acte II, scène I : Knock (Louis Jouvet) et la dame en noir (mise en scène de Jouvet, 1933) |
La dame en noir (1/16),
définie par la didascalie "Elle a quarante-cinq ans et respire
l'avarice paysanne et la constipation". Knock au travail, lequel
consiste d'abord à s'assurer des revenus du patient, puis à "trouver"
sa maladie, ici un problème de colonne vertébrale dû à une chute
ancienne. Trois aspects doivent frapper l'imagination de la patiente,
le coût élevé des soins futurs, le vocabulaire médical (faisceau de
Türck, colonne de Clarke, multipolaires) avec schéma explicatif, la
nécessité de rentrer en voiture et de se mettre au lit aussitôt. Knock
transforme une réalité banale et quotidienne, la fatigue, en "maladie"
nécessitant des soins. La dame en violet (1/16), "Elle a soixante ans ; toutes les pièces de son costume sont de la même nuance de violet ; elle s'appuie assez royalement sur un alpenstock". Le personnage se présente aussi à travers ses revenus, qu'elle minimise mais qui la préoccupent au point de lui ôter le sommeil. Pour elle aussi, une expérience banale se transforme en inquiétante perspective en raison du vocabulaire incompréhensible auquel l'image choisie par Knock confère une réalité horrible "Représentez-vous un crabe, ou un poulpe, ou une gigantesque araignée en train de vous grignoter, de vous suçoter et de vous déchiqueter doucement la cervelle.", débouchant sur le rire puisque la dame est persuadée d'avoir affaire à "une araignée", ce qui appelle aussitôt chez le spectateur "l'araignée au plafond", formule populaire décrivant la folie. Après l'instillation de la peur, vient le réconfort. Et l'ordonnance qui paraît à la patiente un début de guérison. Premier gars (1/16) Deuxième gars (1/16) les deux compères sont éméchés, bien décidés à s'amuser et à ridiculiser le médecin. La brutalité de Knock et les cartons illustrés (familiers dans les écoles des années 1920) représentant les organes d'alcooliques vont les calmer et convaincre leurs concitoyens que le "temps de la rigolade" est passé. Mme Rémy (3/16) : propriétaire de l'hôtel de la Clef, ardente partisane du docteur Knock en qui elle voit un bienfaiteur de l'humanité, en particulier —mais si le spectateur en est conscient, le personnage ne l'est pas— parce que son hôtel ne désemplit pas et qu'elle va devoir l'agrandir. Scipion (1/16) : domestique de l'hôtel, passé au statut d'infirmier. La bonne (1/16) : n'apparaît que dans la scène 2 de l'acte III. |
Une farce et un apologue
La pièce s'inscrit dans une longue lignée de comédies se moquant des
médecins et de leur prétention à régenter la vie et la mort, parce
qu'ils détiendraient un savoir sur le corps échappant aux autres, parce
qu'ils pourraient inférer du visible à l'invisible. |
Photogramme, Knock (Louis Jouvet) arrivant à l'hôtel-hôpital pour la visite du soir, dans le film de Guy Lefranc, 1951, reçu par ses troupes comme un général. |
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Le grossissement du trait
fait aussi partie des conventions de la
farce, et il en est des situations comme des personnages, elles frisent
la caricature : l'hôtel transformé en hôpital en est un exemple, nous
rappelant par la même occasion que les deux mots ont la même origine
(hospitalis) ou le défilé
final prévu dans la dernière didascalie :
"Scipion, la bonne, Mme Rémy paraissent, porteurs d'instruments
rituels, et défilent, au sein de la lumière médicale." Mais cette farce "grince" de plus en plus au fil des scènes. Des idées proposées dans la première scène, au triomphe final, celui de "l'âge médical" auquel ne pourra pas même résister Parpalaid, autrement dit un homme "du métier", un confrère, elle conduit le spectateur à progresser vers une autre réflexion, celle des prétentions de la science à tout légiférer, pour peu qu'on lui en donne l'occasion, et la propension des humains à "croire" plutôt qu'à raisonner. Elle va même plus loin, puisque les progrès de la domination de Knock sur la région, s'ils font rire, font aussi peur et, au moins pour les spectateurs du XXIe siècle invitent à s'interroger sur le totalitarisme. Le village entier voue un culte à Knock, lequel voue un culte à la médecine. Ce n'est plus un simple escroc, abusant du pouvoir médical pour vivre dans le luxe, c'est un fanatique affirmant "qu'il y a un intérêt supérieur" à l'intérêt du malade ou du médecin "Celui de la médecine" (III, 6). Knock a assis son pouvoir sur la peur, mais aussi sur une très ambiguë vision du progrès et de la "modernité". Le tambour fait remarquer : "On ne se soigne pas assez. On ne veut pas s'écouter, et on se mène trop rudement. Quand le mal vous tient, on se force. Autant vaudrait-il être des animaux. (II, 1), ce que reprend Mme Rémy, au dénouement (III, 3) " Il y en a qui s'imaginent que dans nos campagnes nous sommes encore des sauvages, que nous n'avons aucun souci de notre personne, que nous attendons que notre heure soit venue de crever comme les animaux, et que les remèdes, les régimes, les appareils et tous les progrès, c'est pour les grandes villes. Erreur [...] Les choses ont changé, Dieu merci." Ainsi se soumettre aux diktats de Knock, c'est entrer en quelque sorte dans la civilisation, dans l'humanité. Le pouvoir de Knock est absolu, comme le montrent les réactions des villageois à l'annonce de son possible départ, mais comme il l'éprouve lui-même et l'explique à Parpalaid, en regardant de sa fenêtre les lumières témoignant de l'existence des malades "Le canton fait place [la nuit] à une sorte de firmament dont je suis le créateur continuel." (III, 6) A travers ses marionnettes, Jules Romains contraint son spectateur à réfléchir aux raisons qui font justement abdiquer la raison, qui poussent les hommes à se jeter dans les bras d'un sauveur, à s'en remettre à lui en renonçant à toute liberté, tout jugement ("soumise comme un petit chien" dit la dame en violet), à accepter des "régimes" (avec tous les jeux de mots que l'on veut) dont la clé est toujours "suppression du plaisir" (et on retrouve cette tyrannie dans 1984 d'Orwell). Knock lui-même fournit une de ces raisons : "[...] Il y a deux cent cinquante chambres où quelqu'un confesse la médecine, deux cent cinquante lits où un corps étendu témoigne que la vie a un sens, et grâce à moi un sens médical." Il convient d'entendre "sens" dans son ambiguïté, à la fois signification et direction. Cette confusion conduit souvent à prendre une orientation (le malade a une direction, la guérison, en principe.) pour une signification, et ce d'autant plus que la médecine est présentée dans toute la pièce comme une religion fondée sur l'implicite croyance qu'elle peut tenir indéfiniment la mort à distance. Et, pour le spectateur du XXIe siècle, bien plus sans doute que pour celui de 1923, le rire est un peu jaune dans la mesure où il vit dans un univers puissamment médicalisé où la plus infime difficulté se résoud à grands coups de pilules, gélules, et autres granulés, problèmes scolaires, difficultés dans le travail, troubles sentimentaux, etc. Peut-être le rire peut-il lui être salutaire, jouer son rôle cathartique et le faire réfléchir à ce si grand souci des autorités à propos de notre santé. |
Prolongement
Dans le volume 21 des Hommes de
bonne volonté, Journées dans
la
montagne, publié à New York, en raison de la guerre, en 1941, un
des
personnages essentiels de ce roman fleuve, parce que le plus récurrent
de la fresque, Jean Jerphanion, est en tournée électorale dans le
Massif central. Sa
femme, Odette, est restée à Paris où ses parents sont venus lui rendre
visite. |
L'autre soir, il [le père d'Odette] nous a menés voir Knock, qui s'annonce comme un succès extraordinaire. Il avait eu toutes les peines du monde à nous procurer une loge mal placée, où l'on avait mis des chaises de supplément et que nous partagions avec d'autres. J'aime beaucoup la pièce à cause de son mordant, de son comique terrible et pourtant si joyeux pour l'esprit ; à cause aussi du style, qui a la précision et l'éclat d'un moteur d'exposition. Jouvet est merveilleux. Les gens dans les couloirs s'extasiaient, et parlaient beaucoup de Molière. Je vois ce qu'ils veulent dire. Pourtant, il n'y a aucune ressemblance extérieure. Il faudra que nous allions revoir la pièce ensemble et que tu me donnes ton avis. |
A voir : l'adaptation cinématographique de Guy Lefranc, 1951, avec un Jouvet au mieux de sa forme. Les deux autres adaptations (René Hervil, 1925 et Roger Goupillières, 1933) sont inaccessibles. Pour la découvrir, un extrait (III, 6) sur daylimotion. |