Knock, Jules Romains. Première représentation le 15 décembre 1923, à la Comédie des Champs-Elysées

coquillage



A propos de Jules Romains, ce site contient aussi
: 1. Une biographie de l'auteur - 2. Une présentation de Mort de quelqu'un (1911)





Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent.
Knock attribuant la formule à Claude Bernard (Acte I, scène 1)




Contextes

 La pièce que nous connaissons sous le titre de Knock a pour titre complet Knock ou le Triomphe de la médecine. Elle est la quatrième pièce portée à la scène de Jules Romains.
Même si le théâtre semble n'avoir occupé qu'une phase dans l'oeuvre de l'auteur, il s'agit d'une phase non négligeable puisqu'elle se développe sur toute une décennie, les années 1920, et elle l'est d'autant moins que c'est le théâtre qui va vraiment faire connaître l'auteur à un large public. Par ailleurs, le théâtre forme comme une sorte d'horizon dans l'ensemble de l'oeuvre. Les premiers essais du dramaturge remontent à ses années de lycée (il y écrit une comédie en vers), et en 1911, sa première pièce est montée à l'Odéon, que dirige Antoine ; il s'agit d'un drame en 5 actes et en vers, L'Armée dans la ville, qu'Apollinaire massacrera dans les pages de la NRF. La pièce n'eut pas vraiment de succès, ce qui explique peut-être que Jules Romains attende quelques années avant de réitérer. Et la dernière pièce qu'il écrit, Grâce encore pour la terre !, l'est en 1939 (publiée en 1941) et ne sera jouée qu'en 1946. Une autre pièce, écrite durant son séjour à Mexico, L'An mil, est montée par Dullin, en 1947. Après cette date, Jules Romains ne fait plus d'incursion dans le théâtre. Mais le sens du dialogue, le goût de la formule heureuse et mémorable, sont présents dans toute l'oeuvre romanesque.
Presque dix ans après l'échec de l'Odéon, en 1920, il donne à Jacques Copeau une pièce, Cromedeyre-le-Vieil, dont la première a lieu le 26 mai au théâtre du Vieux-Colombier; les relations entre les deux hommes doivent être très bonnes puisque Copeau confie à Romains la direction de son école entre 1921 et 1922. Jouvet, quant à lui, fait partie de la troupe du Vieux-Colombier, depuis sa constitution en 1913, mais il va s'en séparer en 1922 pour rejoindre la Comédie des Champs Elysées que dirige Jacques Hebertot dont il prendra la succession en 1924.
Et c'est à Jouvet que Romains confie sa pièce suivante, M. Le Trouhadec saisi par la débauche, dont la première a lieu le 14 mai 1923. La pièce est un succès. Celui de Knock le surpassera encore. Jouvet en a assuré la mise en scène aussi bien que la scénographie et joue le rôle principal, un rôle qu'il va marquer profondément, puisqu'on retrouve les inflexions qu'il lui a données jusque dans les plus récentes mises en scène.
Le texte en est publié en 1924, par la NRF (Gallimard), dédié à Louis Jouvet.
Jouvet dira de cette pièce : "J'ai pour Knock une reconnaissance inaltérable. Il réaimante les comédiens, réjouit le public, exorcise les huissiers et met en fuite le spectre de la faillite qui hante particulièrement les édifices dramatiques... le succès est un argument." (cité par Jacques Crépineau, Grandes heures de théâtre de Paris, Perrin, 1964).





affiche, 1936

Affiche de Bernard Becan pour une reprise de la pièce en 1936.






illustration

Edition Jacques-Petit, Angers, 1948. Ilustrations de Jacques Touchet (1887-1949), didascalie initiale : "L'action se passe à l'intérieur et autour d'une automobile très ancienne, type 1900-1902..."

Construction

Elle est relativement classique, obéissant à une distribution en trois actes, ce qui fut un temps la règle pour les comédies. Les 16 scènes qui composent l'ensemble concourent, par leur répartition entre les actes, à son rythme enlevé. L'unique scène de l'acte I joue son rôle attendu d'exposition, à la fois pour définir le genre, une comédie, les personnages et la situation :  le docteur Knock vient d'acheter la clientèle du docteur Parpalaid, médecin d'une petite bourgade de montagne (3500 habitants), Saint-Maurice. Au cours du dialogue, il devient clair, pour le spectateur comme pour le personnage, qu'il s'est fait escroquer, la clientèle du médecin étant inexistante. Qu'à cela ne tienne, Knock se fait fort de répandre la bonne parole médicale même en un lieu aussi visiblement rebelle.
Le deuxième acte à travers une succession de six scènes, en crescendo, permet à Knock d'établir son empire sur le village. Ces scènes relèvent, d'une certaine manière, de l'"agôn" des tragédies grecques, puisqu'il s'agit de face à face conflictuels entre Knock et un interlocuteur qui change à chaque scène, dans lesquels Knock doit s'imposer autant à ceux qu'il juge ses "alliés naturels" (lesquels n'y ont jamais songé), le tambour du village, chargé des annonces à la population, l'instituteur, le pharmacien, qu'à sa future clientèle représentée par "la dame en noir", riche fermière, "la dame en violet", aristocrate du village qui se croit encore sous l'ancien régime ("Je connais mes gens." dit-elle), et les deux ivrognes,  plaisantins venus, avec visiblement l'accord des autres patients de la salle d'attente, "se payer la tête" du nouveau docteur.
L'acte III, à travers ses neuf scènes très brèves, à l'exception de la dernière, fournit le dénouement. Les entrées et sorties des personnages se succédant très rapidement mettent en évidence l'activité nouvelle et collective de la ville. Knock n'apparaît qu'à la cinquième scène. Trois mois se sont passés et le docteur Parpalaid (ainsi qu'ils en étaient convenus) se retrouve en présence de Knock et doit constater ce que la première scène annonçait: "le triomphe de la médecine".
L'ensemble se présentant un peu comme une démonstration : situation initiale (la plus défavorable possible), techniques d'intervention (publicité, diffusion de l'information, construction d'un "ethos"), résultats.

Les personnages

Le personnage principal (12 scènes / 16) est le personnage éponyme, Knock, les autres n'étant essentiellement que des faire-valoir et n'apparaissant, pour la plupart, que dans une scène.
Le dialogue de la première scène lui permet de se présenter : il a quarante ans, vient d'être reçu médecin, vocation pourtant ancienne (enfant, il lisait toutes les bulles des remèdes), confirmée par une pratique de médecin de marine alors qu'il n'était nanti que du baccalauréat de lettres. S'il apparaît sympathique dans la première scène, il le doit à sa franchise que l'on peut confondre avec l'honnêteté, par rapport à Parpalaid, lequel est un hypocrite au mieux, un escroc au pire. Knock est aussi un "beau parleur", ce que le spectateur aura l'occasion de confirmer, mû par une "obsession" qui paraît d'abord être celle de faire fortune, avant de se révéler plus inquiétante dans le dénouement.


illustration

Illustration de Jean Dratz (1903-1977), imaginant une continuité que la pièce ne présente pas. Dans la scène 1 de l'acte II, Knock se contentant de donner ses ordres au tambour de la ville dont le spectateur ne voit pas l'activité.

Le docteur Parpalaid (8/16), que les habitants de Saint-Maurice ont surnommé Ravachol, sans doute par antiphrase car le rapport est lointain entre l'anarchiste poseur de bombes et le docteur que semble plutôt caractériser la mollesse et le goût du statu quo. Il lui a fallu trente ans pour se décider à aller exercer en ville et son activité médicale dans le village, qualifiée d' "apostolat silencieux" par Knock dans le dernier acte, est jugée par tous comme inexistante.
Mme Parpalaid (1/16), épouse du précédent, n'apparaît que dans la première scène. Caricature de l'épouse secondant son mari dans la tentative de vendre la vieille auto à Knock, appuyant tous ses dires, faisant étalage de sa sensiblité (le paysage, la culture, Zénaïde Fleuriot étant son écrivain de référence) mais aussi reprochant à son époux son incompétence, : "Ne t'ai-je pas souvent dit que..."
Jean (1/16): chauffeur de M. et Mme Parpalaid, n'est présent que dans la première scène. La voiture et lui formant le contrepoint comique de la première scène.
Le tambour de la ville (1/16) : sa fonction est de propager les nouvelles. Knock va donc l'utiliser, non seulement pour lire l'annonce qu'il veut faire (une consultation gratuite, le lundi) mais pour diffuser l'image qu'il veut donner de lui, celle d'un "docteur", sans familiarité aucune, celle d'un homme lié aux plus hautes autorités (histoire du préfet) mais discret, celle d'un médecin soucieux des hommes "[...] ce que je veux, avant tout, c'est que les gens se soignent.", d'un scientifique précis ("Est-ce que ça vous gratouille ou est-ce que ça vous chatouille ?"), sérieux (ce qui se manifeste par les interdits), "capable" (ce qui signifie pour le tambour et, par voie de conséquence, pour les autres, qu'il trouve les maladies que Parpalaid ne savait pas trouver).
M. Bernard, l'instituteur (1/16) : personnage un peu falot, sur lequel Knock fait pression en utilisant, de manière plus subtile, les deux leviers déjà employés avec le tambour, la flatterie et la peur. Le rire naît ici du décalage entre l'exaltation de Knock décrivant la typhoïde ou la conférence sur les "porteurs de germe" et la terreur que ressent l'instituteur à ces évocations. Mais le personnage y prend aussi une allure inquiétante se laissant aller à dire, après l'aveu de l'instituteur "[...] je n'en dormirai plus. — Voilà justement ce qu'il faut." quoique se reprenant aussitôt. Comme le tambour est employé dans sa fonction même, l'instituteur aussi, puisqu'il s'agit de lui faire mettre sa fonction, enseigner, au service de la prévention "l'enseignement populaire de l'hygiène, l'oeuvre de propagande dans les familles."
Mousquet, le pharmacien (5/16) : le personnage, qui porte un nom d'arme à feu ancienne, est d'ailleurs assimilé par Knock à l'artillerie nécessaire à un général partant à la bataille. La tactique ici, change, il ne s'agit ni de flatter, ni de faire peur, mais de jouer cartes sur table en parlant finances et revenus. C'est au pharmacien que Knock expose sa théorie : " «Tomber malade», vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle. La santé n'est qu'un mot, qu'il n'y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide."




Louis Jouvet et la dame en noir

Acte II, scène I : Knock (Louis Jouvet) et la dame en noir (mise en scène de Jouvet, 1933)

La dame en noir (1/16), définie par la didascalie "Elle a quarante-cinq ans et respire l'avarice paysanne et la constipation". Knock au travail, lequel consiste d'abord à s'assurer des revenus du patient, puis à "trouver" sa maladie, ici un problème de colonne vertébrale dû à une chute ancienne. Trois aspects doivent frapper l'imagination de la patiente, le coût élevé des soins futurs, le vocabulaire médical (faisceau de Türck, colonne de Clarke, multipolaires) avec schéma explicatif, la nécessité de rentrer en voiture et de se mettre au lit aussitôt. Knock transforme une réalité banale et quotidienne, la fatigue, en "maladie" nécessitant des soins.
La dame en violet (1/16), "Elle a soixante ans ; toutes les pièces de son costume sont de la même nuance de violet ; elle s'appuie assez royalement sur un alpenstock". Le personnage se présente aussi à travers ses revenus, qu'elle minimise mais qui la préoccupent au point de lui ôter le sommeil. Pour elle aussi, une expérience banale se transforme en inquiétante perspective en raison du vocabulaire  incompréhensible auquel l'image choisie par Knock confère une réalité horrible "Représentez-vous un crabe, ou un poulpe, ou une gigantesque araignée en train de vous grignoter, de vous suçoter et de vous déchiqueter doucement la cervelle.", débouchant sur le rire puisque la dame est persuadée d'avoir affaire à "une araignée", ce qui appelle aussitôt chez le spectateur "l'araignée au plafond", formule populaire décrivant la folie.  Après l'instillation de la peur, vient le réconfort. Et l'ordonnance qui paraît à la patiente un début de guérison.
Premier gars (1/16)
Deuxième gars (1/16) les deux compères sont éméchés, bien décidés à s'amuser et à ridiculiser le médecin. La brutalité de Knock et les cartons  illustrés (familiers dans les écoles des années 1920) représentant les organes d'alcooliques vont les calmer et convaincre leurs concitoyens que le "temps de la rigolade" est passé.
Mme Rémy (3/16) : propriétaire de l'hôtel de la Clef, ardente partisane du docteur Knock en qui elle voit un bienfaiteur de l'humanité, en particulier —mais si le spectateur en est conscient, le personnage ne l'est pas— parce que son hôtel ne désemplit pas et qu'elle va devoir l'agrandir.
Scipion (1/16) : domestique de l'hôtel, passé au statut d'infirmier.
La bonne (1/16) : n'apparaît que dans la scène 2 de l'acte III.



Une farce et un apologue

La pièce s'inscrit dans une longue lignée de comédies se moquant des médecins et de leur prétention à régenter la vie et la mort, parce qu'ils détiendraient un savoir sur le corps échappant aux autres, parce qu'ils pourraient inférer du visible à l'invisible.
Molière s'étant particulièrement illustré dans ce domaine, du Médecin malgré lui (1666) au Malade imaginaire (1673), en passant par Dom Juan (1665) où le personnage éponyme interroge son valet Sganarelle, déguisé en médecin (acte III, scène 1) auquel on a demandé des consultations. Sganarelle fait l'éloge de l'habit et de la médecine en démontrant sa vertu par la mort d'un patient : "Comment ? Il y avait six jours entiers qu'il ne pouvait mourir et cela le fit mourir tout d'un coup. Voulez-vous rien de plus efficace ?"
La pièce emprunte beaucoup à la farce. Les personnages, simplifiés, caricaturés par leur langage, ouverts à tous les comiques de gestes et aux mimiques, ne sont en rien des caractères, pas même Knock qui est davantage un symbole qu'un individu.
Cette simplification renforce la satire sociale. Les paysans sont avares, les riches pleurent misère quels que soient leurs revenus (la dame en violet), pharmaciens et médecins s'enrichissent du malheur d'autrui.
Le spectateur retrouve chez Knock certaines des caractéristiques données aux médecins des comédies, importance du titre, solidarité de caste (Knock ne dit jamais un mot contre Parpalaid directement, bien au contraire), attitude dominatrice à l'égard du malade, utilisation d'un jargon (ici, vraiment médical), incompréhensible de ses auditeurs et d'autant plus inquiétant qu'il met en jeu le fonctionnement ignoré du corps qu'intensifie l'usage de schémas ou de planches anatomiques pas plus compréhensibles mais tout aussi inquiétantes.
La farce se fonde aussi sur la répétition. Répétition de mots ("A la saint-Michel" de la première scène, par exemple), répétition de situations: les pannes de moteur de la voiture, les quatre consultations de Knock.




photogramme 1951

Photogramme, Knock (Louis Jouvet) arrivant à l'hôtel-hôpital pour la visite du soir, dans le film de Guy Lefranc, 1951, reçu par ses troupes comme un général.


Le grossissement du trait fait aussi partie des conventions de la farce, et il en est des situations comme des personnages, elles frisent la caricature : l'hôtel transformé en hôpital en est un exemple, nous rappelant par la même occasion que les deux mots ont la même origine (hospitalis) ou le défilé final prévu dans la dernière didascalie : "Scipion, la bonne, Mme Rémy paraissent, porteurs d'instruments rituels, et défilent, au sein de la lumière médicale."
Mais cette farce "grince" de plus en plus au fil des scènes. Des idées proposées dans la première scène, au triomphe final, celui de "l'âge médical"  auquel ne pourra pas même résister Parpalaid, autrement dit un homme "du métier", un confrère, elle conduit le spectateur à progresser vers une autre réflexion, celle des prétentions de la science à tout légiférer, pour peu qu'on lui en donne l'occasion, et la propension des humains à "croire" plutôt qu'à raisonner. Elle va même plus loin, puisque les progrès de la domination de Knock sur la région, s'ils font rire, font aussi peur et, au moins pour les spectateurs du XXIe siècle invitent à s'interroger sur le totalitarisme. Le village entier voue un culte à Knock, lequel voue un culte à la médecine. Ce n'est plus un simple escroc, abusant du pouvoir médical pour vivre dans le luxe, c'est un fanatique affirmant "qu'il y a un intérêt supérieur" à l'intérêt du malade ou du médecin "Celui de la médecine" (III, 6).
Knock a assis son pouvoir sur la peur, mais aussi sur une très ambiguë vision du progrès et de la "modernité". Le tambour fait remarquer : "On ne se soigne pas assez. On ne veut pas s'écouter, et on se mène trop rudement. Quand le mal vous tient, on se force. Autant vaudrait-il être des animaux. (II, 1), ce que reprend Mme Rémy, au dénouement (III, 3) " Il y en a qui s'imaginent que dans nos campagnes nous sommes encore des sauvages, que nous n'avons aucun souci de notre personne, que nous attendons que notre heure soit venue de crever comme les animaux, et que les remèdes, les régimes, les appareils et tous les progrès, c'est pour les grandes villes. Erreur [...] Les choses ont changé, Dieu merci." Ainsi se soumettre aux diktats de Knock, c'est entrer en quelque sorte dans la civilisation, dans l'humanité.
Le pouvoir de Knock est absolu, comme le montrent les réactions des villageois à l'annonce de son possible départ, mais comme il l'éprouve lui-même et l'explique à Parpalaid, en regardant de sa fenêtre les lumières témoignant de l'existence des malades "Le canton fait place [la nuit] à une sorte de firmament dont je suis le créateur continuel." (III, 6)
A travers ses marionnettes, Jules Romains contraint son spectateur à réfléchir aux raisons qui font justement abdiquer la raison, qui poussent les hommes à se jeter dans les bras d'un sauveur, à s'en remettre à lui en renonçant à toute liberté, tout jugement ("soumise comme un petit chien" dit la dame en violet), à accepter des "régimes" (avec tous les jeux de mots que l'on veut) dont la clé est toujours "suppression du plaisir" (et on retrouve cette tyrannie dans 1984 d'Orwell). Knock lui-même fournit une de ces raisons : "[...] Il y a deux cent cinquante chambres où quelqu'un confesse la médecine, deux cent cinquante lits où un corps étendu témoigne que la vie a un sens, et grâce à moi un sens médical." Il convient d'entendre "sens" dans  son ambiguïté, à la fois signification et direction. Cette confusion conduit souvent à prendre une orientation (le malade a une direction, la guérison, en principe.) pour une signification, et ce d'autant plus que la médecine est présentée dans toute la pièce comme une religion fondée sur l'implicite croyance qu'elle peut tenir indéfiniment la mort à distance.
Et, pour le spectateur du XXIe siècle, bien plus sans doute que pour celui de 1923, le rire est un peu jaune dans la mesure où il vit dans un univers puissamment médicalisé où la plus infime difficulté se résoud à grands coups de pilules, gélules, et autres granulés, problèmes scolaires, difficultés dans le travail, troubles sentimentaux, etc. Peut-être le rire peut-il lui être salutaire, jouer son rôle cathartique et le faire réfléchir à ce si grand souci des autorités à propos de notre santé.



Prolongement

Dans le volume 21 des Hommes de bonne volonté, Journées dans la montagne, publié à New York, en raison de la guerre, en 1941, un des personnages essentiels de ce roman fleuve, parce que le plus récurrent de la fresque, Jean Jerphanion, est en tournée électorale dans le Massif central. Sa femme, Odette, est restée à Paris où ses parents sont venus lui rendre visite.
Elle écrit à son mari en lui relatant parmi ses activités, une soirée au théâtre :



L'autre soir, il [le père d'Odette] nous a menés voir Knock, qui s'annonce comme un succès extraordinaire. Il avait eu toutes les peines du monde à nous procurer une loge mal placée, où l'on avait mis des chaises de supplément et que nous partagions avec d'autres. J'aime beaucoup la pièce à cause de son mordant, de son comique terrible et pourtant si joyeux pour l'esprit ; à cause aussi du style, qui a la précision et l'éclat d'un moteur d'exposition. Jouvet est merveilleux. Les gens dans les couloirs s'extasiaient, et parlaient beaucoup de Molière. Je vois ce qu'ils veulent dire. Pourtant, il n'y a aucune ressemblance extérieure. Il faudra que nous allions revoir la pièce ensemble et que tu me donnes ton avis.


L'intérêt de cette insertion est multiple. D'une part, elle fonctionne comme marqueur temporel dans le roman, le succès de Knock "s'annonce extraordinaire", ce qui situe la lettre dans les dernières semaines de décembre 1923 ; d'autre part, il peut, à la fin des années trente, lorsque Jules Romains rédige ce 21e épisode, rappeler un temps encore heureux où les menaces futures sont encore voilées dans l'avenir, la montée du fascisme en Italie n'est pas encore perçue comme vraiment préoccupante par les personnages ; enfin, au moment de la publication, le "dictateur médical" peut apparaître comme la métaphore d'autres dictatures, Franco en Espagne, Salazar au Portugal, Hitler en Allemagne, Mussolini en Italie. Le parcours de Knock permettant de mieux réfléchir à comment un peuple peut en arriver à se dessaisir de sa liberté pour s'en remettre à un "chef", "guide".  Il est bon de méditer cette formule de Benjamin Franklin : "They who can give up essential liberty to obtain a little temporary safety, deserve neither liberty nor safety." (Ceux qui peuvent renoncer à la liberté essentielle pour obtenir une petite sécurité temporaire, ne méritent ni la liberté, ni la sécurité.)




Dubout, illustration de Knock

L'une des 36 llustrations de Dubout pour le Knock, publié par les éditions du Valois, en 1953.




A voir
: l'adaptation cinématographique de Guy Lefranc, 1951, avec un Jouvet au mieux de sa forme. Les deux autres adaptations (René Hervil, 1925 et Roger Goupillières, 1933) sont inaccessibles. Pour la découvrir, un extrait (III, 6) sur daylimotion.



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