27 février 1902 : John Steinbeck

coquillage


Devenir écrivain

     John Ernst Steinbeck, troisième du nom, est né en Californie, à Salinas, la capitale du comté de Monterey, dans une famille relativement modeste, quoique sans véritables soucis financiers. Le père a occupé diverses fonctions et, lorsque naît son fils, il est comptable dans un service officiel du comté ; c'est, en somme, un fonctionnaire. Sa mère a été institutrice avant de se consacrer, comme il est habituel au début du XXe siècle, à son ménage et à sa famille. Le petit John naît dans une famille où deux filles l'ont précédé, Elizabeth (1894-1992) et Esther (1892-1986), avant qu'une troisième, Mary (1905-1965), vienne compléter la fratrie.
     La famille paternelle est d'origine allemande alors que du côté maternel les racines sont irlandaises. L'enfance de John semble avoir été heureuse, libre, entourée d'affection et de livres. Salinas est alors une ville de 5000 habitants environ, fondée 50 ans auparavant, et bénéficiant de sa riche vallée. L'agriculture y est particulièrement développée et durant la jeunesse de Steinbeck la vallée se tourne de plus en plus vers les cultures maraîchères, au point d'être surnommée "America's salad bowl" (le saladier de l'Amérique) en raison de son intense production de salades et autres verdures ; pendant sa scolarité et ses années d'étudiant, John Steinbeck travaillera souvent dans des fermes environnantes. Il y a sans doute développé à la fois son goût de la nature qui alimentera son lyrsime plus tard, et son sens de la solidarité et de la fraternité, sans compter une connaissance de première main des conditions de vie des ouvriers agricoles.
     Il semble aussi que, très tôt dans sa vie, le petit garçon plonge dans la littérature. Il raconte, bien des années après, comment une de ses tantes, pour son neuvième anniversiare lui fit cadeau d'un exemplaire de Le Morte d'Arthur de Thomas Malory dont il se délecta, selon ses propres mots cités dans sa biogaphie du National Steinbeck Center :  "When I first read it, I must have been already enamored of words because the old and obsolete words delighted me" [La première fois que je l'ai lu, je devais déjà être amoureux des mots parce que ces vieux mots obsolètes me délectèrent."]
     L'importance de cette découverte du monde de la Table ronde se lit dans la plupart de ses oeuvres comme dans la volonté d'adapter le texte de Malory en anglais comtemporain, projet auquel il travailla entre 1956 et 1959, mais qui reste inachevé et ne sera publié qu'après sa mort, en 1976, sous le titre The Acts of King Arthur and his Noble Knights (Le Roi Arthur et ses preux chevaliers, traduction de Patrick et Françoise Reumaux, 1982)




John Steinbeck

John Steinbeck, date et photographe inconnus, peut-être 1937.


A la fin de sa scolarité, en 1919, Steinbeck entreprend des études de littérature anglaise à Stanford, sans doute davatantage pour complaire à ses parents que par nécessité personnelle, études jamais terminées, suivies avec la plus grande fantaisie quoiqu'il ait fréquenté avec une certaine assiduité le cours de rédaction (de nouvelles), et celui d'histoire ; en 1923, il suit un cours de biologie à la Hopkins Marine Station de Pacific Grove. Quand il quitte l'université, en 1925, c'est sans diplôme, mais muni d'un sérieux bagage culturel. Il part alors pour New York où il tente de se faire une place comme journaliste, ce qui est toujours poursuivre d'une autre manière les chemins de l'écriture. Mais ses efforts n'aboutissent pas si bien qu'en 1926, il est de retour à Salinas.



Les débuts d'un écrivain

     Comme il faut bien vivre, même si l'on a pour ambition de voir reconnu son talent, John Steinbeck accepte divers petits boulots, dont un qui va s'avérer particulièrement propice. Il est embauché comme gardien d'une propriété au bord du lac Tahoe, il y travaillera aussi dans une pisciculture. Ce lac des hauteurs de la Sierra Nevada offre de magnifiques paysages et va donner à l'écrivain son premier roman et sa première épouse. Il y rencontre en effet Carol Henning qu'il épouse en janvier 1930. Entre temps il a rédigé un roman, Cup of Gold : A Life of Sir Henry Morgan, Buccaneer, with Occasional Reference to History (traduction française, La Coupe d'or, Jacques Papy, 1952). Le roman est publié en 1929, mais passe à peu près inaperçu (autour de 1500 exemplaires vendus).
     Le couple Steinbeck tente de vivre à Los Angeles, mais la situation est de plus en plus difficile, et il se retourne vers la famille en regagnant Pacific Grove (aujourd'hui un quartier de Monterey). Les parents de John offrent le logement et même une petite pension permettant au jeune couple de compléter les revenus obtenus par les divers petits boulots de Carol et à l'écrivain de poursuivre son travail sans trop d'inquiétude. Installé de nouveau dans l'univers de sa jeunesse, Steinbeck fait la connaissance du biologiste Edward Flanders Robb Ricketts (1897–1948), Ed. Ricketts, qui dirige, à Monterey, un petit laboratoire de biologie et fournit en animaux marins les laboratoires, universités, écoles. Les deux hommes deviennent immédiatement amis et le resteront jusqu'à la mort accidentelle de Ricketts, en 1948. Tous deux publieront, en 1941, après une expédition dans la golfe de Californie, Sea of Cortez: A Leisurely Journal of Travel and Research (La Mer de Cortez, traduit par Rosine Fitzgerald, 1979). Cette amitié a de l'importance, non seulement sur le plan sentimental, mais aussi sur le plan intellectuel. Ricketts est ce que nous pourrions appeler un écologiste avant la lettre. Il voit l'univers comme une chaîne du vivant, dans laquelle la solidarité est essentielle à la survie. Dans sa préface au Cauchemar Climatisé (The Air-conditionned Nightmare, 1945, traduction de Jean Rosenthal, 1954), Henry Miller, qui est aussi devenu son ami, le décrit ainsi  "l'ami de John Steinbeck, du laboratoire biologique du Pacifique, un être d'un caractère et d'un tempérament exceptionnels, un homme rayonnant de paix, de joie et de sagesse." L'écrivain a fait de lui le modèle de nombreux personnages de son oeuvre, et tout particulièrement celui de Doc dans Cannery Row, 1945 (Rue de la sardine, traduction Magdeleine Paz, 1947).
Ricketts a été pour à Steinbeck un interlocuteur rêvé, ses réflexions, leurs discussions permettaient à l'écrivain d'approfondir des sentiments et des idées qui étaient les siens depuis longtemps, en particulier son sentiment d'une unité entre l'homme et la nature. Entre 1929 et 1935, il ne cesse pas d'écrire. Des nouvelles, réunies dans le recueil The Pastures of Heaven publié en 1932 (Les Pâturages du ciel, traduction Louis Guilloux, 1948), une longue nouvelle, The Red Pony, 1933 (Le Poney rouge, traduction Marcel Duhamel et Max Morise, 1946), un nouveau roman, To a God Unknown, 1933 (Au dieu inconnu, traduction Jeanne Witta-Montrobert, 1950). Mais aucun de ces textes ne déclenche de vraie réaction, pas même le mystique et lyrique Au dieu inconnu.




Tortilla Flat

Jaquette de la première édition de Tortilla Flat publiée par Covici-Friede.






photo Dorothea Lange

Toward Los Angeles, California
, 1937
(vers la Californie). Photo Dorothea Lange.

Le succès arrive enfin avec Tortilla Flat, publié en 1935, par celui qui sera son éditeur toute sa vie, Covici. Le livre conte les aventures de personnages plus ou moins marginaux du quartier de Monterey appelé "Tortilla flat". Comme dix ans après dans Cannery Row, ces laissés-pour-compte sont, comme les chevaliers de la Table ronde si chers à Steinbeck, des modèles d'humanité. Débrouillards, généreux, amoraux, maladroits, ils sont l'incarnation même du "dur désir de durer" comme l'écrivait le poète Paul Eluard. C'est aussi en 1935 qu'est créée la "League of American Writers", association qui regroupe des écrivains anti-fascistes. Steinbeck, comme bien d'autres, Hemingway, par exemple, en fait partie. L'association perdure jusqu'en 1942. Elle va apporter son soutien, entre autres, aux républicains espagnols durant la guerre civile.

Ecrivain et journaliste

      Les Etats-Unis, depuis le krach boursier de 1929, vivent une crise économique si grave qu'elle a reçu le nom de "Grande Dépression" ; elle s'est aussi compliquée de problèmes climatiques qui ont vu le centre du pays balayé par une sécheresse et des vents de poussière qui ont plus que compromis les récoltes (Oklahoma, Kansas, Texas, 1933-1935). Aux chômeurs des villes viennent s'ajouter les fermiers ruinés. C'est une période de migrations intérieures massives dont Steinbeck va témoigner à la fois dans ses reportages pour The Nation ou The San Franscico News (une série de sept articles publiée en entre le 5 et le 12 octobre 1936 et intitulée The Harvest Gypsies— Les Bohémiens de la récolte, traduction Jean-François Chaix) et dans ses romans. En un combat douteux (In Dubious Battle, 1936), 1940, raconte une  grève de travailleurs saisonniers, des cueilleurs de fruits, en Californie. Des Souris et des hommes (Of Mice and Men, 1937), traduit par par Maurice-Edgar Coindreau, 1939, s'intéresse particulièrement à deux de ces journaliers et à leurs conditions de vie. Enfin, en 1939, il publie Les Raisins de la colère (The Grapes of Wrath) qui déclenche une polémique, les Californiens n'appréciant guère (c'est un euphémisme) leur portrait en propriétaires âpres, en individus égoïstes, incapables de compassion. Le livre est interdit dans de nombreuses bilbiothèques publiques et écoles, mais en même temps son tirage, pour l'année 1939-40, se monte à près de 430.000 exemplaires et il est récompensé d'abord par le National Book Award et quelques temps après par le Pulitzer du roman.


Steinbeck, dans la mesure du possible, fuit les mondanités et se réfugie dans les expéditions maritimes de son ami Ricketts. Son mariage avec Carol est en passe de se dissoudre et le couple se sépare en 1941. Le divorce sera prononcé en 1943. L'écrivain peu après se remarie avec Gwyndolyn “Gwyn” Conger dont il aura deux enfants, Thomas né en 1944 et John IV né en 1946. Ce n'est pas un heureux mariage et le couple divorce dès 1948. Gwyn, après la mort de l'écrivain, dans les années 1970, dira pis que pendre de ces années de vie commune et de Steinbeck lui-même. Son livre a finalement été publié en 2018, et il s'agit moins de mémoires que d'interviews mises en forme par un journaliste, Douglas G. Brown. Difficile d'évaluer ce témoignage. Le premier mariage de Steinbeck a duré dix ans, le troisième de 1950 à sa mort, et ni la première épouse ni la troisième n'ont jamais manifesté le même type de sentiments.

La guerre et ce qui s'en suivit...

     Lorsque les Etats-Unis entrent en guerre, après Pearl Harbour, Steinbeck est refusé par l'armée (sous enquête du FBI, soupçonné de communisme ça commence déjà !), il défend le bien-fondé de celle-ci avec ses mots, puisque c'est ce qu'il sait le mieux faire. Il expose dans Bombs Away: The Story of a Bomber Team (traduit en français par Julia Malye, sous le titre de Bombes larguées: Histoire d’un équipage de bombardier, 2018), le travail de l'armée en termes élogieux, puis dans The Moon Is Down (Lune noire, traduit par Jean Pavans, Paris, 1994. Mais le roman a été traduit par les éditions de Minuit, clandestines, en 1943 sous le titre "Nuits sans lune" en partie censuré, puis en 1944, le texte intégral, sous le titre "Nuits noires". La traduction non créditée était d'Yvonne Desvignes) ce qu'il imagine d'un pays occupé. Il s'agit d'un court récit incitant à la résistance comme les personnages le font dans leur ville occupée par une armée étrangère.
Le New York Herald Tribune l'engage en 1943 pour couvrir la guerre en Europe (juin-décembre 43). Il part pour l'Angleterre, puis pour l'Afrique du nord, et accompagne une unité, commandée par l'acteur Douglas Fairbanks Jr, chargée de faire diversion sur les côtes italiennes et de désorganiser autant que possible l'occupant allemand afin de facliter les débarquements des alliés. Il a suivi personnellement, celui de Salerne, l'Opération Avalanche, qui débute le 8 septembre 1943, lequel sera particulièrement difficile et meurtrier.
Avant de partir couvrir la guerre, Steinbeck a, à la demande d'Hitchcock, rédigé un script pour un film intitulé Lifeboat, racontant l'histoire d'un groupe de survivants sur un canot de sauvetage, au milieu de l'Atlantique, après que leur navire a été coulé par un sous-marin allemand.
    Le retour aux Etats-Unis va être une période douloureuse. La mémoire de la guerre ne rend pas la vie facile. En 1948, Ed. Ricketts a un accident de voiture (sa voiture est percutée par un train) et il meurt de ses blessures avant même que Steinbeck parvienne à Monterey (il habite alors à New York). La mort de son ami a été terrible, il en dira d'ailleurs que c'est toute une partie de lui-même qui est morte avec lui. Et à son retour, sa femme annonce qu'elle demande le divorce. Beaucoup de chocs en peu de temps, sans oublier le traumatisme de la guerre, il faudra dix ans pour absorber plus ou moins tout cela. Ce n'est, en effet, qu'en 1958 que l'écrivain reprendra un certain nombre de ses articles pour en faire un livre, One there was a War (Il était une fois une guerre, traduction Henri Thies, 1960), où il s'intéresse bien davantage, on ne s'en étonnera pas, à la vie quotidienne des soldats qu'aux exploits militaires.
     Mais bien sûr, entre son retour en 1944 et ces événements douloureux, Steinbeck a écrit. Les mots et les histoires sont toujours pour les écrivains les chemins de traverse menant ailleurs. D'abord il découvre le film d'Hitchcock et ce qui est advenu de son scénario. Furieux des distorsions introduites par le cinéaste, il exige que son nom soit effacé du générique, ce qui ne sera pas fait. Il se plaint du traitement donné à deux de ses personnages, le syndicaliste et le steward noir, puisé, lui, directement dans le répertoire comique des années 1930, autrement dit ridiculisé.
Un besoin d'humanité sans doute lui fait retrouver le type de personnages que Tortilla Flat avait célébré. Cette fois-ci, c'est un groupe de personnages rassemblés autour de Cannery Row, la rue de Monterey où se trouvaient les conserveries et qui, depuis, s'est ainsi rebaptisée officiellement, dont le personnage central est Doc qui doit nombre de ses traits à Ed. Ricketts, et bien sûr, à Steinbeck lui-même. Le roman sort en 1945 (Rue de la sardine, traduction Magdeleine Paz, 1947) comme une très courte et très belle nouvelle, The Pearl (La Perle, traduction Renée Vavasseur et Marcel Duhamel, 1950), sorte de parabole issue d'une légende mexicaine recueillie au cours de son voyage avec Ricketts en mars-avril 1940, publiée dans un magazine sous le titre "The Pearl of the World". C'est ensuite en 1947, un roman, The Wayward  Bus (Les Naufragés de l'autocar, traduction Renée Vavasseur, 1949) dédié à Gwyn.






Capa Steinbeck

Steinbeck photographié par Capa au cours de leur voyage en URSS, en 1947

"Le temps petit qu'il [lui] reste de vivre"

     En juillet 1947, engagé par le New York Herald Tribune, Steinbeck part en URSS accompagné du photographe Robert Capa. Ils en ramènent naturellement un livre, publié en 1948, A Russian Journal avec une sélection de photos, sélection parce que Capa en a, semble-t-il, tiré 4000.
Après la douleur de la perte de Ricketts, le divorce qui s'est probablement mal passé, la vie va reprendre pour Steinbeck avec la rencontre d'Elaine Scott, elle-même en instance de divorce. Lorsque celui-ci est prononcé, ils se marient. Ils vont habiter New York, même s'ils se sont connus en Californie.
Steinbeck écrit alors ce qu'il juge être son chef-d'oeuvre, publié en 1952, East of Eden  (A l'est d'Eden, traduction  J. C. Bonnardot , 1954) une manière d'ode à la vallée de Salinas, dont il écrit que c'est un récit destiné d'abord à ses fils, pour leur permettre de comprendre d'où ils viennent. C'est la même année qu'il rédige pour Elia Kazan le scénario de Viva Zapata. Mais Steinbeck écrit de moins de moins de littérature proprement dite. Il voyage beaucoup en revanche et transmue ses voyages en articles. C'est aussi le temps où il s'attaque au vieux projet de transcrire le livre de Malory en anglais contemporain; il fait pour cela un long séjour au Royaume Uni dans le but de réunir la documentation nécessaire. Mais en 1959, il est victime d'une attaque. Le temps lui est maintenant compté. Lorsque lui et sa femme reviennent d'Angleterre, il éprouve le sentiment d'un changement aux Etats-Unis et il y réfléchit dans le livre The Winter of Our Discontent publié en 1961 (L'Hiver de notre mécontentement, traduit par Jean Rosenthal, 1961), tout en parcourant le pays dont il a l'impression qu'il ne le comprend plus. De ce voyage en camping-car (baptisé "Rossinante", du nom du cheval de Don Quichotte), seul avec son chien (un caniche), Steinbeck ramène un livre, Travels with Charley: In Search of America, 1962, dont certains affirment qu'il est en grande partie imaginaire., ce qui, entre nous, n'a guère d'importance.
Il lui reste six ans à vivre avec un coeur en très mauvais état.
Mais en 1962, il reçoit le prix Nobel. Rappelons que le Nobel est un prix décerné à un écrivain pour l'ensemble de son oeuvre, justifié entre autres par ces mots : "for his realistic and imaginating writings, combining as they do sympathetic humour and keen social perception." (pour ses écrits réalistes et imaginatifs, combinant comme ils le font un humour empathique à une perception sociale aiguë.") et de fait les oeuvres ne manquent d'aucune de ces qualités.


Lorsque la Fondation Nobel ouvre ses archives, 50 ans après, en 2012 donc, Libération (le quotidien) rapporte ainsi la découverte, le  4 janvier 2013 :



L’ouverture des archives 1962 du comité Nobel (restées secrètes pendant cinquante ans) a révélé que John Steinbeck avait été bien chanceux de décrocher le prix Nobel de littérature cette année-là. Il y avait du beau monde dans la dernière short list : Lawrence Durrell, Karen Blixen, Jean Anouilh et quelques autres. Or, l’un des membres du comité notait : «Il n’y a aucun candidat évident pour le prix et le comité se retrouve dans une situation peu enviable.» Bref, Steinbeck s’est avéré le moins pire du lot. Blixen? Elle a eu le mauvais goût de mourir quelques semaines avant la remise du prix. Durrell ? En 1961, son nom avait été rejeté parce que l’auteur laissait un «arrière-goût douteux» en raison de sa «préoccupation monomaniaque pour les développements érotiques». Alors pourquoi pas Steinbeck. Celui-ci, à qui l’on demandait s’il pensait avoir mérité son Nobel, avait répondu : «Franchement, non.» Mais qu’aurait pu répondre d’autre l’auteur de Des souris et des hommes et des Raisins de la colère ?


En tous cas, hormis Blixen, il faut surtout reconnaître qu'il était le seul candidat réel, ce qui n'est pas nier le talent de Durell ou d'Anouilh, mais reconnaître que, face à eux, Blixen comme Steinbeck offrent des oeuvres d'une autre densité. Steinbeck écrit peu maintenant, il défend, ce qui surprend nombre de ses admirateurs, la guerre du Vietnam (peut-être parce que ses fils sont soldats), il y voyage même en 1967. Sa santé est de plus en plus mauvaise et il meurt le 20 décembre 1968 à son domicile newyorkais.

      Si Steinbeck a vu certaines de ses oeuvres accéder au statut de "classiques" aux Etats-Unis, étudiées dans les écoles, faisant obligatoirement partie du cursus des étudiants en lettres, il n'en est pas tout à fait de même en France. L'écrivain est lu, sans aucun doute, et si la majorité de ses oeuvres sont accessibles en livres de poche, force est de constater qu'il s'agit d'éditions relativement anciennes. Il mériterait davantage d'attentions, et c'est toujours une surprise de constater que personne n'a jamais songé qu'il devrait avoir sa place dans la Pléiade. Il y a dans les oeuvres de Steinbeck des romans plus puissants que d'autres, c'est indiscutable, mais il y a aussi un souci de l'humain, une tendresse à l'égard des souffrances des travailleurs, et des travailleuses (quelques inoubliables portraits de femmes), une émotion, un lyrisme dans les descriptions de la nature qu'elle soit sauvage ou domestiquée, qui ont encore beaucoup à nous dire.
L'oeuvre de Steinbeck est multiforme. Le cinéma s'en est souvent emparé, parfois de manière remarquable comme John Ford avec Les Raisins de la colère (1940) ou Kazan avec A L'Est d'Eden (1955), parfois de manière peu probante, mais qu'importe. Ce que prouve tout au moins cet intérêt, c'est que l'oeuvre propose de vraies situations, des personnages toujours intéressants, et des questionnements toujours d'actualité.




A lire
: un article sur la publication de l'oeuvre de Steinbeck en pléiade.
une émouvante lettre à son fils Thomas  à propos de l'amour.
A découvrir : des photos de Capa faites en URSS au cours de son voyage avec Steinbeck en 1947.



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