ORESTE
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Le
mythe des Atrides |
Comme
tous les mythes, il est constitué de nombreux
récits, et de nombreuses strates.
Atrée, qui donne son nom à la lignée (et au récit) est le fils de Pélops, lui-même fils de Tantale. Tantale avait tué et offert aux dieux, dans un banquet, son fils Pélops. Les dieux ressucitèrent Pélops et punirent Tantale d'un supplice qui lui offre sans fin nourriture et boisson qu'il ne peut atteindre. D'autres versions disent qu'il est sans fin menacé d'un rocher qui va l'écraser. Pélops eut, lui, une vie relativement heureuse, quoique fondée sur un crime, raison pour laquelle, sans doute, ses enfants furent tous la proie de la démesure (Hybris). Parmi eux, Atrée et Thyeste, rivaux pour le gouvernement de Mycènes. Atrée tua les enfants de son frère et les lui fit manger, pour ensuite lui dévoiler sa vengeance en exhibant leurs têtes. Par ailleurs, Thyeste viola sa propre fille qui eut pour fils Egisthe. Atrée pour sa part, entre autres enfants, eut deux fils : Agamemnon et Ménélas. Le second verra sa femme s'enfuir avec Pâris, ce qui déclenchera la guerre de Troie. Agamemnon commandera l'expédition et devra sacrifier sa fille Iphigénie à Artémis pour obtenir des vents favorables. Agamemnon a aussi un fils, Oreste, et une autre fille, Electre. Au retour de la guerre, son épouse ayant pris Egisthe pour amant, l'assassine. Oreste, devenu adolescent, exécute sa mère et Egisthe. Deux dieux sont particulièrement impliqués dans ce mythe : Apollon et Athéna. Le mythe correspond aussi à un espace géographique : l'Argolide, dont Mycènes et Argos sont les deux villes les plus importantes. Les dramaturges, les poètes, se sont très tôt emparés de ce mythe, en s'intéressant tout particulièrement aux trois enfants: Iphigénie, Electre et Oreste. Depuis les Grecs, ces trois personnages hantent l'imaginaire occidental. |
Avant que
les tragiques du Ve siècle avant J.-C. ne s'emparent du
personnage, c'est d'abord Homère, dans l'Odyssée, qui évoque le destin
d'Oreste Homère, Odyssée (traduction de Médéric Dufour et Jeanne Raison, éd. GF). Au livre I, les dieux, réunis sur l'Olympe en l'absence de Poséidon, évoquent l'histoire : "Et le premier, le Père des
hommes et
des dieux prit la
parole. Il avait en son coeur le souvenir du noble Egisthe, qu'avait
tué le fils d'Agamemnon, Oreste, au nom fameux. Cette
pensée à l'esprit, il dit aux Immortels :
« Ah! Vraiment, de quels griefs les mortels ne
chargent-ils
pas les dieux! C'est de nous, à les entendre, que viennent
leurs
maux ; mais c'est par leur démence qu'ils sont
frappés
plus que ne voulait leur destin. Naguère, malgré
le
destin, Egisthe épousa la femme légitime de
l'Atride, et
le tua à son retour; il savait pourtant quel affreux
trépas l'attendait : car, nous l'avions averti, lui ayant
dépêché Hermès, le vigilant
guetteur
Argiphonte, pour lui défendre de tuer le mari et
d'épouser la femme. Oreste vengerait l'Atride, quand,
l'adolescence atteinte, il regretterait sa terre. Ainsi parla
Hermès ; mais ses bons avis ne purent fléchir le
coeur
d'Egisthe ; et maintenant il a d'un seul coup expié tous ses
crimes. »
La déesse aux yeux brillants, Athéné, lui répondit : « Fils de Cronos, notre père, Puissance souveraine, le trépas qui coucha cet homme ne fut que trop mérité ; et de cette mort périsse quiconque commettrait de tels forfaits ! Mais mon coeur se déchire au souvenir du prudent Ulysse... » Au livre III, le vieux Nestor raconte l'histoire à Télémaque qui, accompagné de Mentor (déguisement d'Athéna qui le guide dans la quête de son père Ulysse), est venu chez lui, à Pylos, s'enquérir de son père : "Pour
l'Atride, vous-mêmes, bien que vous habitiez
à l'écart, vous avez ouï-dire qu'il
revint, et
qu'Egisthe lui avait préparé une mort lamentable.
Mais il
a pitoyablement expié. Comme il est bon de laisser un fils
après sa mort ! Car celui-ci s'est vengé du
meurtrier, le
perfide Egisthe, qui lui avait tué son illustre
père. Toi
aussi, mon ami, puisque je te vois très beau et
très
grand, sois vaillant, afin que même nos
arrière-neveux
fassent ton éloge."
Si bien que pour Nestor, comme pour Athéna, Oreste a agi
comme il le devait et représente un modèle qu'accepte
d'ailleurs Télémaque. Puis Nestor va, un peu plus loin, compléter ce récit dans lequel Clytemnestre apparaît comme une femme séduite ; il y est dit aussi que « Sept années il [Egisthe] régna sur Mycènes riche en or, après avoir tué l'Atride, et le peuple était maté sous son joug. Mais la huitième année survint pour son dam le noble Oreste revenant d'Athènes, il tua le meurtrier, le perfide Egisthe, qui avait assassiné son illustre père. » Clytemnestre est ici, tout au plus complice, mais elle est, de fait, tuée avec Egisthe puisque "il [Oreste] offrit aux Argiens le repas funêbre pour son odieuse mère et le lâche Egisthe." |
Vase grec peint, première moitié
du Ve
siècle avant J.-C. représentant Oreste tuant
Egisthe
(musée de Vienne, Autriche) |
Entre Homère et les
trois dramaturges du Ve
s. avant J.-C.
(Eschyle, Sophocle, Euripide) qui vont fournir aux écrivains
suivants l'essentiel des éléments dont ces derniers se serviront (de
Shakespeare à Littell),
deux
jalons sont identifiables : STESICHORE (Grec de Sicile, aux environs de
640-550. Il ne reste que des fragments de son oeuvre) et PINDARE ( vers
518-438). La XIe
Pythique,
antérieure de 14 ans à la trilogie d'Eschyle,
relate le
mythe des Atrides. Stesichore comme Pindare font de
Clytemnestre
la coupable. Plutarque a conservé deux vers de Stésichore relatifs au rêve du serpent. Chez lui, il semble que Clytemnestre était responsable du meurtre et tourmentée par la conscience de son crime. Oreste y était poursuivi par les Erynies et défendu par Apollon. Pindare accentuait la culpabilité de Clytemnestre mais se demandait si la justification de son acte résidait dans la mort d'Iphigénie ou la passion adultère. |
EURIPIDE (480 - 406), est le dramaturge qui a le plus utilisé la figure d'Oreste. Il nous reste, en effet, quatre pièces dans lesquelles il apparaît : Andromaque (vers 424), Iphigénie en Tauride (414), Electre (vers 418 - 412) et Oreste (408). Dans ces quatre pièces, Oreste est un personnage marqué par la violence. D'abord, celle qu'il fait subir : dans Andromaque, il tue Néoptolème (Pyrrhus) pour se venger: "C'est moi le matricide / qui saurait lui apprendre / qu'on n'épouse pas celle qui m'est due". Néoptolème, fils d'Achille, avait épousé Hermione qui lui avait été promise, à lui, Oreste. Dans Electre, il tue sa mère et Egisthe et dans Oreste, pour se venger de Ménélas qui ne l'a pas aidé, il tue Hélène, ou du moins le tente mais les dieux l'enlèvent, il menace de tuer Hermione et fait un massacre des serviteurs d'Hélène, sans compter qu'il met le feu au palais, aidé de Pylade et d'Electre. Mais aussi la violence qu'il subit lui-même et Iphigénie en Tauride aussi bien qu'Oreste racontent en détails l'ostracisme (qui est aussi présent dans Andromaque) et la folie dont il est la victime pour avoir en accomplissant son devoir (venger son père) commis un crime, comme le dit une formule du choeur : "devoir accompli, crime affreux". Il est aussi au centre d'une réflexion sur la justice, sur les dieux et les rapports des hommes à ces derniers. Les dieux, d'ailleurs, clôturent chacune de ces pièces en rétablissant un ordre précaire: Thétis, l'Océanide, dans Andromaque ; Athéna dans Iphigénie en Tauride ; Castor et Pollux dans Electre et Apollon dans Oreste. Le personnage d'Oreste est, chez Euripide, plus ambigu que chez ses prédécesseurs. Il se perçoit comme le jouet des dieux, éprouve la honte de ses actions, se sent victime des circonstances. Oreste apparaît chez Euripide, davantage que chez ses prédécesseurs, comme un miroir de l'homme, pris dans des contradictions, faisant le mal en croyant faire le bien, pris par le repentir (sauf dans Andromaque). Dans chacune de ces pièces, il est aussi condamné à des tribulations sans fin, jugé et rejugé, y compris à Athènes où Euripide imagine qu'une partie des Erynies ne se soumet pas à la décision du tribunal et continue de le poursuivre, raison pour laquelle il se retrouve en Tauride où il découvre sa soeur Iphigénie qu'il croyait morte. Il est aussi un miroir de la solitude humaine, malgré l'amour d'Electre et malgré la fidélité de Pylade qui par deux fois accepte de partager sa condamnation à mort : une fois à Argos (Oreste) et une fois en Tauride (Iphigénie en Tauride): c'est seul qu'il doit affronter les dieux et les hommes . |
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Le mythe d'Oreste ainsi constitué permet donc des interrogations qui tournent autour de la violence, des rapports familiaux (tout particulièrement celui du fils au père), de la folie, de la justice, plus largement du sens que peut prendre une vie humaine et du mal qui semble lui être concommitant, car comme le dit Malraux dans la préface à L'Amant de lady Chatterley (1939), par ailleurs sans aucun rapport avec le mythe d'Oreste : " Un mythe n'est pas un objet de discussion : il vit ou ne vit pas. Il ne fait pas appel en nous à la raison, mais à la complicité. Il nous atteint par nos désirs, par nos embryons d'expérience ; [...] les mythes ne se développent pas dans la mesure où ils dirigent les sentiments, mais dans celle où ils les justifient." Il est le personnage central de la pièce de Sartre, Les Mouches, et Littell dans Les Bienveillantes (2007) construit son personnage principal dans son ombre, sans oublier que Shakespeare l'avait fait avant eux avec son Hamlet, sans négliger l'Orestie d'Alexandre Dumas, tragédie en trois actes et en vers, qui connut un beau succès en 1856. C'est dire que le personnage d'Oreste n'en finit pas de nous parler. |