Les Mouches,
Jean-Paul Sartre. 1ere
représentation, 3 juin 1943, au théâtre
de la
Cité (ex Théâtre Sarah-Bernhard)
|
A propos de Sartre, ce site contient : 1. biographie de l'auteur - 2. Présentation de Huis clos (1944) - 3. Un commentaire d'un extrait de Huis clos. - 4. Le Diable et le Bon Dieu (1951) - |
Première pièce de Sartre, si
l'on excepte Baronia écrite et montée pendant sa captivité, pour la Noël
de 1940, elle s'inscrit dans un courant qui avait déjà donné de
nombreux spectacles réactivant des mythes, par exemple La Machine
infernale de Cocteau en 1934, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935
ou Electre, 1937, de Giraudoux, que poursuivra Anouilh avec son Antigone en 1944. Elle reprend le mythe des Atrides et son épisode le plus connu, le meurtre de Clytemnestre tuée par son fils Oreste qui venge ainsi le meurtre de son père Agamemnon. En 1944, l'auteur déclare à Carrefour : "Pourquoi faire déclamer des Grecs [...] si ce n'est pour déguiser sa pensée sous un régime fasciste ? [...] Le véritable drame, celui que j'aurais voulu écrire, c'est celui du terroriste qui, en descendant des Allemands dans la rue, déclenche l'exécution de cinquante otages." Jean Paulhan écrit le 23 juin 1943 au peintre Jean Fautrier : " Nous avons vu hier Les Mouches. [...] Cette cité de repentis, on se croirait à Vichy." Il est bon de rappeler que l'idéologie du régime collaborateur insistait sur les "fautes" de la France dont la défaite et l'occupation étaient, en somme, la juste rétribution... Le prière d'insérer, rédigé par Sartre, pour la première édition du texte, dédiée à Dullin, en 1943, présente ainsi la pièce :
C'est la même idée qu'il reprend et développe dans un article de 1947 : "Pour un théâtre de situation" : "La grande tragédie, celle d'Eschyle et de Sophocle, celle de Corneille, a pour ressort principal la liberté humaine. Oedipe est libre, libres Antigone et Prométhée. La fatalité que l'on croit constater dans les drames antiques n'est que l'envers de la liberté. Les passions elles-mêmes sont des libertés prises à leur propre piège." |
Sartre et Dullin (portant son masque de Jupirer) lors d'une répétition de la pièce. |
Photo du spectacle mis en scène par Dullin en 1943.
D'autres documents iconographiques dans le dossier à consulter sur la BnF. |
|
Dans La Force de l'âge,
(coll. Folio, p. 555) Simone de Beauvoir, raconte ainsi l'origine des Mouches : "Barrault mit en scène Les Suppliantes au stade Roland Garros, sur une musique de Honegger, dans des décors de Labisse. Les acteurs portaient des costumes dessinés par M.- H. Dasté, des masques, des cothurnes ; il y avait une immense figuration. [...] Ce fut à l'occasion des Suppliantes* que Sartre conçut le projet d'écrire une pièce. Les deux Olga** y figuraient. Barrault les aimait bien et, au cours des répétitions, elles lui demandèrent comment il fallait s'y prendre pour arriver enfin à jouer un vrai rôle : "Le meilleur moyen, ce serait que quelqu'un écrivît une pièce pour vous", répondit-il. Et Sartre pensa : "pourquoi pas moi ?" [...] Il commença à chercher une intrigue à la fois prudente et transparente." * Les Suppliantes montée par Barrault est la tragédie d'Eschyle. (Il existe une pièce d'Euripide portant le même titre) **Les deux Olga : deux amies proches, dont Olga Dominique qui joue le rôle d'Electre. C'est à Marseille, en vacances, qu'il en commença la rédaction: "Il écrivit les premières répliques d'un drame sur les Atrides. Toute nouvelle invention, ou presque, prenait d'abord chez lui une forme mythique et je pensais qu'il expulserait bientôt de sa pièce Electre, Oreste et leur famille." (p. 566) Beauvoir fournit d'autres détails (pp. 615-17) sur la mise en scène, sa difficulté et son coût, dû en particulier au très grand nombre de figurants. |
La pièce : C'est la seule de ses pièces que Sartre ait qualifiée de "drame". Elle est composée de trois actes, dont le deuxième est subdivisé en deux tableaux. Ainsi le deuxième acte est-il composé de 12 scènes réparties en 4 scènes pour le premier tableau et 8 pour le second ; l'acte II a deux fois plus de scènes que le I et le III (chacun ayant six scènes). L'Action se déroule sur deux jours et une nuit : le premier jour couvre les actes I et II jusqu'à la fin du 1er tableau. Le 2e tableau se déroule la nuit ; l'acte III a lieu le jour suivant. La scène se passe à Argos en quatre lieux différents : une place avec une statue de Jupiter (acte I); une plate-forme dans la montagne (que l'on voit sur la photographie ci-dessus) : à droite la caverne (d'où sortiront les morts) ; à gauche, des marches qui vont à un temple (acte II, 1er tableau) ; dans le palais : la salle du trône avec aussi une statue de Jupiter (acte II, 2e tableau) ; enfin, le temple d'Apollon (acte III). Les personnages : Tous les personnages sont empruntés au mythe des Atrides tel que les dramaturges du Ve siècle av. J.-C. nous les ont transmis. Chez Eschyle, Oreste est accompagné de son ami Pylade, mais Sophocle, dans Electre, le fait accompagner de son précepteur. Le personnage principal est Oreste qui est présent dans toutes les scènes, sauf une (II, 2e tableau, 7) qui correspond au moment du meurtre de Clytemnestre qu'Electre raconte, si bien qu'Oreste, est présent "in-abstentia". Ce qui rapproche Sartre des Choéphores d'Eschyle, quoiqu'il emprunte l'essentiel, par ailleurs, au personnage tel qu'il est chez Sophocle. Euripide avait imaginé le repentir des deux personnages, leur vengeance une fois accomplie, Sartre n'en a gardé que celui d'Electre. Electre est, elle, présente, dans 16 scènes sur 24. Les autres personnages, y compris Egisthe et Jupiter (7/24) n'interviennent que de manière épisodique. Les Erynies (ou Erynnies) sont présentes dans la totalité de l'acte III et elles sont au nombre de trois, comme dans l'Electre de Giraudoux ainsi qu'Eschyle en avait décidé puisque c'est lui qui fixe ce nombre. C'est peut-être d'ailleurs à Giraudoux que Sartre doit son titre puisque le jardinier au début de sa pièce compare les petites Euménides à des mouches. |
|
Festival de Lyon, 1955. Mise en scène de Véra Korène, dans le théâtre romain de Fourvière. Au premier plan, la foule d'Argos, qui prend ici l'allure du choeur antique (grâce à l'identité des vêtements et de la coiffure). Au fond, une gigantesque statue de Jupiter. Le décor se constituant tout seul par les ruines du théâtre. A noter que ce que Beauvoir rapporte comme étant une manière "transparente" et cependant "prudente" de parler des temps contemporains est devenu, en somme, la vérité de la pièce : une tragédie, dont le caractère "grec", malgré un Jupiter qui l'est si peu, et des interrogations qui le sont encore moins, s'est imposé.
Pour Sartre, ainsi
qu'il le rapporte dans Un
théâtre de situation, c'est Dullin
qui infléchit la pièce en ce sens :
|
A découvrir : une présentation de Sartre dramaturge sur le site de l'Association de la Régie théâtrale. A lire : un entretien avec le professeur Ingrid Galster, auteur de Sartre sous l'Occupation et après. Nouvelles mises au point, L'Harmattan, 2014 |