La Machine infernale,
Jean Cocteau, première
représentation, 10 avril 1934, Comédie des
Champs-Elysées
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mise en
scène de Louis Jouvet en 1934 à la
Comédie des Champs Elysées.
(Acte II, Anubis, Oedipe et le sphinx)
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mise en scène : Louis Jouvet décors : Christian Bérard costumes et accessoires : Coco Chanel Oedipe : Jean-Pierre Aumont Jocaste : Marthe Régnier Anubis : Robert Le Vigan La Voix : celle de Cocteau enregistrée Tirésias : Pierre Renoir Créon : André Moreau le sphinx : Lucienne Bogaert le berger : Louis Jouvet le messager : Marcel Khill |
Dessin de Cocteau. Appartient à une série intitulée Le Complexe d'Oedipe: Oedipe et le sphinx (la Sphynge)
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La pièce est bien accueillie par la critique (Colette
rédige un texte enthousiaste) mais ne rencontre
pas
vraiment le grand public (64 représentations).
Cocteau en avait imaginé l'idée dès 1928-29 : "Je rêve qu'il me soit donné d'écrire un Oedipe et le Sphinx, une sorte de prologue tragi-comique à Œdipe-Roi, précédé lui-même d'une grosse farce avec des soldats, un spectre, le régisseur, une spectatrice. Représentation allant de la farce au comble de la tragédie, entrecoupée de mes disques et d'un tableau vivant: Les Noces d'Œdipe et de Jocaste ou La Peste à Thèbes." (Opium, 1930) Dans toute sa correspondance avec Jouvet durant la préparation et les répétitions, la formule qui revient avec le plus de constance est celle du "jeu d'échecs" :"[...] montrons au public une partie d'échecs avec des pièces et un échiquier somptueux. Dur, sec et somptueux." (1933 ou 34, la lettre n'est pas datée) Cocteau reprendra la pièce, dans sa propre mise en scène, en 1954, avec Jean Marais dans le rôle d'Œdipe et Elvire Popesco dans celui de Jocaste (c'était déjà la Jocaste dont il rêvait en 1934 ; il la présente ainsi dans le programme: "En ce qui concerne Elvire Popesco, c'est simple, depuis longtemps je lui demande d'être Jocaste, ce gracieux monstre de pourpre qui doit nous faire rire, nous effrayer et nous émouvoir." ). L'intérêt de Cocteau
pour les mythes, en général, et celui-ci en particulier,
ne date pas de 1934. En 1921, il adapte l'Antigone
de Sophocle (Antigone est la fille d'Œdipe et de Jocaste), jouée en
1922 au théâtre de l'Atelier (mise en scène: Dullin ; décors :
Picasso) ; entre 1925 et 27, il travaille à Œdipe roi de Sophocle et traduit en latin son texte pour l'opéra de Stravinski, Œdipus Rex, présenté en 1927.
Lorsqu'il se lance, en 1932, dans le travail aboutissant à la pièce que nous connaissons, sa familiarité avec le personnage est grande. Œdipe continue à accompagner Cocteau qui, dans son dernier film, Le Testament d'Orphée (1960) fait se croiser le poète et le sphinx, puis le poète et Œdipe aveugle guidé par Antigone, avec un commentaire en voix off "Le Sphinx, Œdipe... Ceux qu'on a trop voulu connaître, il est possible qu'on les rencontre un jour sans les voir." | |
Le titre : La Machine infernale Sur l'exemplaire dactylographié de Louis Jouvet : La Machine infernale — vie d'Œdipe — mystère en quatre actes et en prose. L'expression "machine infernale" était souvent employée à la fin du XIXe siècle pour désigner les bombes à retardement utilisées par les anarchistes, munies d'un système d'horlogerie programmant l'explosion. Il est commenté dans le prologue où la Voix conclut sa présentation par : "Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d'une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel." Le mot "mystère" connote à la fois le théâtre médiéval (une pièce religieuse montrant des épisodes de la vie du Christ) et le sens contemporain d'inconnu, d'impossible à comprendre. On peut y lire aussi une métaphore du théâtre, comme le dit Gérard Lieber, "machine [..] faite pour leurrer et tromper, pour introduire à un univers de fantaisie, de surprises et de secret; lieu de métamorphoses, d'apparitions et de disparitions ; dispositif pour montrer des images, mettre en jeu des corps et capter des paroles claires ou confuses. Pièce piège qui tente de mettre en lumière l'essentiel." (Pléaide, p. 1695) La pièce est divisée en quatre actes dont les trois premiers sont à peu près de longueur équivalente et le quatrième beaucoup plus bref, illustrant le mot "anéantissement" du prologue; ce dernier acte suit d'assez près la pièce de Sophocle dans la révélation finale. Chacun de ces actes est précédé d'une intervention de la Voix annonçant les événements. Le dernier mot qui clôt ses interventions est le mot "homme". Au terme du désastre, Œdipe est "enfin un homme". Cocteau donne à Jocaste une place qu'aucune des tragédies précédentes ne lui avait accordée : femme frivole et mondaine du premier acte, tendre amoureuse du III, elle devient mère idéale, à tous les sens du terme, dans le quatrième. Ce qu'il disait d'elle en présentant Elvire Popesco : "faire rire, effrayer, émouvoir". De même, par rapport à ses prédécesseurs, il
fait de la rencontre avec le sphinx un point fort de sa pièce en lui
consacrant tout le deuxième acte qui, par ailleurs, a été celui qu'il
écrivit le premier. Il est donc central au double sens où le spectateur
y découvre le personnage d'Œdipe dont la Voix précédant le premier
acte lui annonçait qu'il était le protagoniste de la pièce et où
Cocteau pose la question des rapports entre le monde humain et ce qui
le dépasse, ce que le poète nomme "dieux", en l'occurence la mort
incarnée dans le dieu égyptien Anubis, la vengeance (ou l'impossibilité d'oublier, qui est aussi
énigme) Némésis (déesse grecque) devenue Sphinx et incarnée dans une
jeune fille.
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mise en scène de Noèlle Casta au théâtre de L'Athanor (devenu depuis Divine Comédie), Marseille (16 janvier-21 février 2009)
Œdipe : Gilles Spadari ; Jocaste : Noëlle Casta ; Anubis : Julien Kerbrat
Acte III, le rêve d'Oedipe. | ||
A voir : des photos d'une mise en scène par des étudiants La présentation (Art Maniac Drama) de la pièce mise en scène par Valérie Fruaut pour le théâtre du Renard à Paris.
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