Les Ames mortes, Nicolas Gogol, 1842/1859

coquillage





Chagall

Page de faux-titre,  Les Âmes mortes, Gogol, Paris, Tériade, 1948.  Illustrations de Marc Chagall sur une traduction Henri Mongault.

Rédaction et publication

     La conception et la rédaction de ce roman inachevé se confondent avec la vie de son auteur. En effet, de 1835 à 1852, date de sa mort, il a été l'horizon de l'écrivain. Si la première partie a suivi un cours qui peut se dire normal dans le travail de Gogol, mais qui représente quand même sept ans de labeur avec des réécritures incessantes (1835-1842), la seconde partie prévue, ainsi que la troisième, sans doute même pas commencée, va occuper les dix années qui suivent, entre écriture, autodafé, réécriture et pour finir autodafé final quelques jours avant sa mort.
     Le sujet du roman lui est fourni par Pouchkine (comme l'avait été celui du Revizor, 1836). Gustave Aucouturier, dans sa préface à l'édition de la Pléiade (1966, réimpression 2010), le rapporte ainsi "un certain Basile Ivanovitch Poroubov avait racheté dans tout un secteur, pour un prix dérisoire, 200 « âmes mortes » auxquelles il avait assigné comme résidence un marécage, après quoi il avait engagé le tout au Crédit Foncier en tant que propriété de 200 âmes au prix de 200 roubles l’âme, et avait disparu en empochant ses 40.000 roubles", fait-divers que lui avait sans doute rapporté l'écrivain Vladimir Dahl puisqu'il en avait fait le sujet d'une de ses nouvelles qui ne sera publiée qu'après l'oeuvre de Gogol. Dans sa Confession d'un auteur (publiée seulement après sa mort, en 1857), Gogol rapporte que "Pouchkine trouvait que le sujet des Ames mortes avait ceci de bon qu'il me donnait pleine liberté de parcourir avec mon héros toute la Russie et de mettre en scène une foule de caractères, tous plus variés les uns que les autres." Et ce n'est pas non plus le moindre des paradoxes que ce roman "russe" ait, en fait, été écrit sur les chemins de l'Europe où Gogol ne va cesser de pérégriner.
C'est aussi à Pouchkine qu'est attribué le choix du terme "poème" pour définir le texte. Dans l'esprit de Gogol, l'idée était bel et bien de construire une oeuvre en trois parties, comme La Divine Comédie,  qui se serait achevée sur la rédemption de ses personnages ; il en annonce l'existence à la fin de la première partie "Deux grandes parties de ce poème sont à venir, ce qui n’est pas une mince affaire". Sans négliger que le terme "poème" connote une création (issu du grec "poiein"= faire), davantage qu'une mise en mots de quelque chose qui lui préexiste.
Mais la première partie non plus n'a pas été une mince affaire. Quand il l'entreprend, en 1835, il promet à Pouchkine un "roman très drôle", mais lorsqu'il lui lit les trois premiers chapitres, la réaction du poète le déconcerte "Dieu, comme notre Russie est triste" s'exclame ce dernier.
En 1841, il revient en Russie et soumet le roman (11 chapitres) à la censure de Moscou qui ne donne pas son aval, aussi, en janvier 1842, tente-t-il sa chance à Petersbourg en demandant l'appui de tout ce qu'il connaît en fait de personnages importants. C'est un bon calcul, puisque le roman est autorisé et paraît, après corrections, en juin 1842, sous le titre Les Aventures de Tchitchikov ou Les Ames mortes. Dans une deuxième édition de la même année, Gogol y ajoutera une préface que tout lecteur, à l'instar de Bielinski, ne peut trouver que désastreuse par son propos édifiant.


Le livre est un succès de librairie mais reçoit un accueil critique fort mitigé.
La suite ne verra jamais le jour ; il n'en reste, reconstitués, que quelques fragments, certains fort réussis, cependant. Gogol en lira quelques chapitres à ses amis, mais fera subir à son oeuvre des autodafés successifs jusqu'au dernier, définitif, qui détruit les 11 chapitres de la deuxième partie quelques jours avant sa mort.
La première traduction en français (plutôt une adaptation avec de nombreuses coupures) est publiée dans Le Mousquetaire, journal d'Alexandre Dumas, en 1854. Elle est signée Eugène Moreau et elle sera réditée plusieurs fois.
En 1859, Ernest Charrière en propose une nouvelle version avec des notes à la fois, en bas de page, ce qui est logique, mais aussi incluses dans le texte, visant, on s'en doute, à clarifier certaines formules ou faits de civilisation, mais dénaturant le récit de Gogol. S'inspirant du terme "Poème", Charrière intitule tous les chapitres en leur donnant le nom de "chants".
Ces deux traductions seront rééditées en attendant 1925 et celle de Henri Mongault, qui fera longtemps autorité et que reprend le volume de la Pléiade.




Tchitchikov

Piotr Botlevski (1816-1897), illustration des Ames mortes, portrait de Tchitchikov.

un roman "réaliste" ?

     De nombreux lecteurs, lors de la publication du roman (1842) y ont lu une dénonciation sévère de la société russe sur le double plan de sa bureaucratie envahissante et paralysante comme du système social fondé sur le servage. Gogol s'en est toujours défendu mais les intentions d'un auteur ne sont jamais garantes des effets produits par l'oeuvre.
Et il y a, dans le roman, dans ses aspects caricaturaux, dans ses excès mêmes, de quoi alimenter une réflexion en ce sens. Le personnage principal, Tchitchikov, est une manière d'ambitieux, comme pourrait l'être un personnage balzacien, peu scrupuleux sur les moyens de parvenir, d'où sa spéculation sur les "âmes mortes". Il a un respect (intéressé certes) des hiérarchies comme le prouvent ses visites aux autorités (toutes, grandes ou petites) dans la ville où il s'installe provisoirement. Ce caractère dénonciateur est souligné par le hiatus entre les comportements de Tchitchikov et les commentaires du narrateur (bien peu respectueux, quant à eux), comme les comparaisons décrivant le "beau monde" (par exemple celle des mouches et du sucre, "imageant" les hommes en frac tournant autour des dames poudrées), ou celle faisant des salles du tribunal de la ville de N., peuplées des "incorruptibles prêtres de Thèmis" (chap. 7), un des cercles de l'enfer, puisque un fonctionnaire "comme autrefois Virgile à Dante, [...] servit de guide à nos deux amis" (chap. 7).
La construction du récit y joue aussi sa partie. En effet, les onze chapitres se distribuent entre "collectivité" et individualités. Les chapitres I et VII à X sont des chapitres qui embrassent le groupe tout entier de la ville de N., alors que les chapitres II à VI et le chapitre XI (relatif à Tchitchikov lui-même, son départ de N., son histoire) sont consacrés à des personnages particuliers qui amplifient les "travers" de la collectivité à travers des portraits spécifiques. Mais les chapitres sur le collectif  s'arrêtent aussi, parfois sur un personnage particulier, par exemple, le chef de la police "en quelque sorte le père et le bienfaiteur de la ville" (chap. 7) ce que commente le narrateur "cet habile homme, qui tirait de sa place le double de ses prédécesseurs" avant de rapporter ses "méthodes", lesquelles sont résumées par les commerçants du cru" Alexis Ivanovitch plume la poule, c'est vrai, mais sans la faire crier". Comme il est loisible de le noter, l'antiphrase fait partie des armes gogoliennes.




Botlevski

Piotr Botlevski, Mme Korobotchka

Les chapitres relatifs à la "bonne société" de N. font "tableaux", proposant des scènes de genre rassemblant les personnages, réceptions, bals, dîners, visites, alors que les "portraits" passent davantage par les descriptions de lieux et les discussions entre Tchichikov et ses hôtes.
D'autres aspects vont dans le sens d'un certain "réalisme" : la prolifération de personnages surgissant (et disparaissant) au coin d'une rue, dans l'évocation d'une conversation, peuplant ainsi ce petit monde qui y gagne en densité et en "véracité", ou tout au moins en impression de véracité ; les digressions sur des détails auxquels s'attarde le narrateur, par exemple les enseignes que note Tchitchikov dans la ville de N. ; le souci de réalités matérielles précises : vêtements, décors des maisons, nourriture (on mange beaucoup et plantureusement dans cette histoire), concourent à ces effets de réel.
Les personnages individualisés : galerie de portraits
Pavel Ivanovitch Tchitchikov : "un monsieur, ni beau ni laid, ni gras ni maigre, ni jeune ni vieux". Au fil du récit, le personnage prend de l'embompoint pour des raisons d'ordre symbolique, puisque dans l'univers du narrateur, les "gros" ont davantage de poids dans la société. Il séduit les sociétés dans lesquelles il s'introduit par son sens de la flatterie, son respect des hiérarchies, l'élégance de ses manières, son comportement "d'homme du monde accompli". Il se déplace dans une "petite calèche à ressorts", une "britchka", voiture pour célibataire, précise le narrateur, que dirige son cocher, Sélifane, lequel a un goût immodéré pour la boisson. Il est accompagné d'un domestique, nommé Petrouchka, dont la particularité est d'être un lecteur assidu et de ne pas aimer l'eau, de dormir tout habillé, et visiblement de ne jamais changer de vêtements ; il se manifeste par une odeur corporelle envahissante.
L'histoire de Tchitchikov n'est rapportée au lecteur que dans le dernier chapitre (XI) de cette première partie.
Ernest Charrière, dans sa traduction, explique le nom de Tchitchikov : "La double syllabe Tchitchik, radical du nom du voyageur, qui fait onomatopée, est empruntée au verbe tchiknoutt ou tchikatt, éternuer". Le personnage, en effet, se manifeste souvent ainsi.


Manilov: qui n'a droit qu'à ce nom, est un personnage, "mi chair mi poisson" dit le narrateur, ce qu'il commente à diverses reprises, par exemple, lors de sa rencontre avec Tchitchikov, un "homme encore jeune, dont les yeux doux comme sucre clignotaient chaque fois qu'il riait, s'enticha de lui à en perdre la tête" (chap. I) et plus précisément encore, retrouvant Tchitchikov, il "termina son discours par un compliment qui n'eût pas été déplacé sur les lèvres d'un danseur invitant une jeune demoiselle" ; l'ambiguïté sexuelle du personnage est ainsi fortement suggérée. Par ailleurs, le malheureux Manilov est  d'une bêtise sans nom (chap. 2), ce que sa vie de famille ne fait que souligner. C'est avec lui que Tchitchikov mène sa première transaction. Dans les termes précis qui expliquent son projet, le lecteur comprend que l'histoire se déroule dans les années 1820, puisqu'entre deux recensements, celui de 1815 et celui de 1833-35. Les paysans enregistrés dans le premier et décédés ne seront considérés comme "morts" que dans le suivant, à preuve, les propriétaires doivent toujours payer les impôts les concernant (capitation).
Nastassia Petrovna Korobotchka : une femme âgée, veuve, gérant seule son petit domaine, "une de ces bonnes dames qui, portant la tête posée de biais, crient toujours misère, et cependant emplissent peu à peu des sacs en coutil dissimulés dans les tiroirs de leurs commodes", méfiante dès qu'il s'agit d'affaires, avide au gain (la transaction proposée par Tchitchikov lui donne aussitôt à penser que d'autres acheteurs pourraient se présenter et qu'il serait bon de comparer les offres), superstitieuse, mais par ailleurs hospitalière (chap. 3).
Nozdriov : fait partie de la classe des "bons vivants" sur lesquels s'étend le narrateur. Buveur, joueur (et tricheur), bagarreur, menteur et ce commentaire "Nozdriov était, dans un certain sens, un personnage historique: où qu'il se trouvât, il lui arrivait toujours quelque histoire" (chap. 4), et des histoires, il va en faire...
Sobakévitch: une force de la nature. Il a tout de l'ours (et il s'appelle Michel Sémionovitch qui est le nom familier que les Russes donnet à l'ours), grand, fort, bourru, trouvant tout et tout le monde condamnable. Mais lui aussi personnage ambigu, ce que dévoile la décoration de sa maison où au milieu de tableaux, célébrant la force et la puissance, physique au premier chef (héros de l'indépendance grecque) "figurait, on ne sait pourquoi, dans un tout petit cadre, Bagration, frêle, décharné". Le lecteur pourrait décider que la force de Bagration était toute dans son intelligence, reconnaissance qui ferait regarder Sobakévitch d'un autre oeil. Il sera un négociateur difficile dans l'affaire des "âmes mortes" (chap. 5).
Pliouchkine : vieil homme (il va avoir 70 ans) aigri, solitaire, devenu l'avarice en personne (chap. 6).
     A travers ces personnages et les transactions qui s'opèrent (ou non) entre eux et Tchitchikov, ce sont non seulement des types qui sont dessinés en traits qui relèvent de la caricature, mais aussi les domaines qu'ils gèrent (ou détruisent par incurie ou ladrerie), la situation des paysans, comme leur statut "périphérique", en quelque sorte, dans une société qu'ils font cependant vivre comme le rappelle la liste détaillée de Sobakévitch, ou la rêverie de Tchitchikov sur leur destin et leur mort.
Pourtant, à la réflexion, force est de considérer que si dénonciation il y a, elle ne passe nullement par une vision réaliste de la Russie du temps. Nabokov, radical, considérait que Gogol ne savait rien de la Russie, ayant fort peu voyagé, et vécu la plus grande partie de sa vie en Ukraine, à Petersbourg (ville "occidentalisée") ou en Europe (Littératures II, poche biblio, 1988, traduit de l'anglais par Marie-Odile Portier-Masek) et qu'il n'en pouvait donc pas parler. Ce qui n'est pas si simple.



Un conte

      Bien des éléments vont en ce sens. Le monde que Gogol nous donne à sentir est un univers aux traits et aux couleurs tranchées, mais en même temps, par-delà ce que note Bakthtine (Esthétique et théorie du roman, Gallimard-Tel, 1978, traduit du russe par Daria Olivier) une "pereption carnavalesque du monde", il y a aussi de la tendresse à l'égard des faiblesses humaines, souvent explicables par une histoire, explicite ou suggérée. Les personnages sont bel et bien épinglés dans leur égoïsme, leur soif de lucre, leur avidité à jouir, mais ils sont souvent aussi pathétiques dans leur sottise leur interdisant de comprendre ce qui se passe vraiment en eux et autour d'eux.
     Et surtout, du conte, le texte a l'irréalité foncière : cela ne se passe nulle part (donc partout), dans un temps volontairement laissé dans le flou (même si le lecteur peut le déterminer approximativement) avec des personnages qui ne sont souvent que des fonctions même lorsqu'il leur est octroyé un nom précis, Gogol jouant de ces glissements, par exemple lorsqu'il présente deux dames à qui le narrateur refuse d'attribuer des noms pour ne pas s'attirer de critique mais qui finissent par en gagner un dans l'ardeur de la conversation "Anna Grigorievna" et "Sophie Ivanovna". Ces personnages sont crédibles mais il est à noter qu'ils ne sont jamais vraiment décrits, le plus souvent caractérisés par des détails hypertrophiés qui n'en font pas moins images et, de détails en détails, physiques et/ou vestimentaires, finissent par acquérir vie dans l'esprit du lecteur. Tchitchikov, par exemple, est fort discrètement assimilé au diable en personne dans sa démarche un rien penchée si l'on se souvient que le diable, c'est bien connu, est boiteux. Et qui peut se soucier d'âmes mortes sinon le diable ?
     Et surtout, le récit est mené de bout en bout par un narrateur, de plus en plus omniprésent au fil du récit. Et ce narrateur ressemble au conteur, tel, par exemple, que le définit Walter Benjamin dans son étude sur Leskov. Il rapporte des aventures auxquelles l'auditeur est prié de trouver du sens. Le mot "Poème" définissant l'oeuvre va bien dans ce sens. Et l'on sait la force verbale que mettait Gogol dans ses écrits puisque nous avons des témoignages sur ses talents de lecteur (de récitant ?) par exemple celui du prince Obolenski  (rapporté par Boris Eikhenbaum):



Chagall

Au dessus de Vitebsk, 1915-1920, Marc Chagall. Le peintre en a réalisé de nombreuses versions.


      «Gogol était passé maître dans l’art de lire : chaque mot était clair et, variant l’intonation de ses propos, il en rompait la monotonie et obligeait l’auditeur à saisir les nuances les plus fines de sa pensée. Je me rappelle comment il débutait d’une voix sourde et quelque peu sépulcrale : « Pourquoi présenter la pauvreté et rien que la pauvreté ?… Et voilà que nous sommes de nouveau dans un coin perdu, que nous avons échoué dans un hameau oublié. » Après ces mots, Gogol leva la tête, rejeta ses cheveux et continua d’une voix forte et solennelle : « Mais quel coin, quel hameau ! », après quoi il commença la description magnifique du village de Tentetnikov et, d’après la lecture de Gogol, nous avions l’impression qu’il l’avait écrite selon un mètre régulier… J’étais frappé au plus haut point par l’harmonie extraordinaire du discours.» (l'épisode appartient à la deuxième partie des Ames mortes)
Ce conteur ne fournit aucun explication réelle à une situation, un personnage, se contentant d'inciter le lecteur à les trouver lui-même. Il ne juge pas, ne loue ni ne condamne. Toutefois, il lance des pistes de réflexion sous forme de digressions (brèves, parfois, longues, souvent) de tous ordres, digressions lyriques sur un paysage, digressions confidences sur ses propres états d'âme (regret de la naïveté de la jeunesse, par exemple), digressions sur l'art, l'écriture. Gogol semble obéir à la formule de Sterne (Tristram Shandy, GF, p. 82, traduit de l'anglais par Charles Mauron) "Incontestablement, c'est du soleil des digressions que nous vient la lumière. Elles sont la vie et l'âme de la lecture" et inciter le lecteur à digresser lui-même, en commençant par l'énigme du titre de son poème, car le titre n'a, semble-t-il, été explicité que sous l'injonction des censeurs. Que signifie "âmes mortes" ? Le seul sens juridique de paysans décédés entre deux recensements ? ou, plus métaphoriquement, ne désigne-t-il pas toutes ces marionnettes humaines agitées par des passions, sans âme ni conscience ? A voir les réactions des uns et des autres face aux propositions de Tchitchikov, force est de constater qu'il n'y a, dans cet univers, pas d'êtres humains dignes de ce nom.
Enfin, comme tout bon conteur, il ne termine pas vraiment son récit. Il l'interrompt, laissant au lecteur le loisir de le poursuivre et de l'interpréter à partir des réflexions dont il l'a émaillé. Par exemple, l'opposition jeunesse (temps de toutes les promesses) et vieillesse (qui les a, en général, toutes trahies, en s'enfonçant dans le conformisme ou pis encore) et le narrateur de noter "L'impétueux jeune homme d'aujourd'hui reculerait d'horreur à la vue du vieillard qu'il sera un jour" (chap. 6) ; ou encore le voyage, le déplacemet, comme réalité essentielle de la vie humaine et le narrateur de terminer son récit sur une magnifique variation sur le thème de l'homo viator qui fait parfois penser aux peintures à venir de Chagall : "car il aimait la course  rapide. Et quel Russe ne l'aime pas ? [...] On dirait qu'une force inconnue vous a pris sur son aile. On vole et tout vole en même temps: les poteaux, les marchands qu'on rencontre sur le rebord de leur chariot, la forêt des deux côtés,  ses sombres rangées de sapins et de pins, le fracas des haches et le croassement des corbeaux ; la route entière vole et se perd dans le lointain." (chap. 11)

Les Ames mortes est un splendide texte où le rire voile (et dévoile) l'amertume d'un sens de la vie à trouver, ou à inventer. Chaque épisode, chaque personnage, chaque digression invite le lecteur à la relecture, à la réflexion.


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