29 mars 1902 : Marcel Aymé

coquillage


Une jeunesse au début du XXe siècle

Lorsque "l'enfant paraît", le sixième de la famille, dont l'aîné, Georges, a 15 ans, cela se passe à Joigny, dans l'Yonne.  Le père est militaire, brigadier maître maréchal-ferrand dans la cavalerie, alors en garnison dans cette petite ville.
Deux ans après, en 1904, la mère meurt en couches avec son bébé. Le père est bien embarrassé et si pour les aînés, il y a les études en cours et à poursuivre, les deux petits, Marcel, deux ans et sa soeur Suzanne, quatre ans, ont besoin de soins maternels, et de présence. Leurs grands-parents maternels vont les accueillir à Villers-Robert (dans le Jura) où la famille exploite un moulin et une tuilerie.
Enfance heureuse,  pleine de cousins et de jeux, d'espaces à explorer, de contact direct avec les bois, les champs, la vie paysanne, avec la présence protectrice des aînés, et un père, qui même éloigné, se préoccupait de ses enfants et voulait surtout qu'ils fissent tous des études. Lui-même, issu d'une famille paysanne nombreuse, croyait fermement aux vertus de l'éducation, sur tous les plans, et en particulier celui de l'amélioration des conditions de vie. Aucun de ses enfants ne trahira ses ambitions.
Si l'on en croit Suzanne, c'est pendant ces années-là que Marcel Aymé acquit le goût du dessin : "Camille [née en 1888], notre soeur, s'intéressait à nous de très près. Elle nous a initié à la musique, à la peinture, à l'histoire de France, racontant des légendes, récitant des poèmes, chantant des vieilles chansons..."
On retrouve dans son oeuvre entière, ce goût du croquis rapide, s'attachant au trait caractéristique, proche de la caricature.
Les années passent dans la chaleur familiale, d'une vie villageoise paisible quoique traversée des querelles entre cléricaux et anti-cléricaux (la séparation de de l'Eglise et de l'Etat date de 1905) et en 1958 encore, Marcel Aymé se souvenait des bagarres entre gamins provoquées par ces clivages entre adultes.
Son grand-père meurt en 1908, et sa grand-mère deux ans plus tard. Suzanne et lui sont alors pris en charge par la tante Léa, soeur de leur mère, qui habite Dole.
C'est dans cette ville qu'il fait ses études secondaires et obtient son baccalauréat en 1919. Il s'oriente vers des études scientifiques. Il s'inscrit à Besançon en mathématiques spéciales pour préparer le concours d'entrée à Polytechnique, mais au début de 1920 tombe malade et doit rentrer à Dole. A partir de là,  de nombreux ennuis de santé vont handicaper Marcel Aymé. Après son séjour à Dole, il fait son service militaire en Allemagne, puis s'inscrit en médecine à Paris. Il n'est guère assidu, et mène plutôt une vie de bohème, ce qui n'améliore pas sa santé, soirées prolongées, tavernes et bals.
En 1925, il est de retour à Dole pour retrouver une santé par trop défaillante. Parce qu'il est désoeuvré, sa soeur Camille lui propose de raconter l'histoire de Brûlebois (un personnage bien connu des Dolois). C'est encore elle qui va le faire publier en 1926, dans une revue éditée à Poitiers, Les Cahiers de France.
Le petit roman est aussitôt remarqué.




Marcel Aymé, 1929

Marcel Aymé en 1929, avant que ses yeux ne nécessitent le port constant de lunettes noires.



Des débuts modestes

Le voilà donc sur le chemin de la littérature, avec une voix bien personnelle qu'il ne va, toutefois, pas être si aisé de faire reconnaître. D'abord, parce qu'il faut vivre. La tante Léa propose une petite mensualité pour lui permettre de continuer à écrire à Paris. La solidarité familiale, c'est bien, mais Marcel Aymé en connaît le prix. Personne dans sa famille n'est vraiment fortuné. Il va donc chercher par tous les moyens à gagner sa vie. Il fait toutes sortes de petits boulots, et jusqu'à de la figuration au cinéma. Il s'est installé à Montmartre, un quartier populaire alors, auquel il restera fidèle toute sa vie, il y aura ses habitudes, ses cafés préférés, ses amis, comme le peintre Gen Paul (1895-1975) dont l'atelier était avenue Junot.
En 1927, il signe un contrat avec Gallimard (il dira qu'il aurait préféré Grasset parce qu' "On a l'air triste dans cette maison") qui publie d'abord Brûlebois, puis son deuxième roman, Aller-retour, à peine remarqué. En 1928, paraît un troisième roman qu'il ne laissera pas réimprimer, Les Jumeaux du diable, dont il dira en 1941 "ce livre est une bêtise et le remords de ma vie."
Mais il continue à écrire, parfois découragé. Ce sont des nouvelles dont il espère que la vente à des journaux permettrait de gagner un peu d'argent. Enfin, en 1929, La Table-aux-crevés (dont le titre déplaisait à Gallimard, mais qu'approuva Gide) rencontre un vrai succès critique et lui vaut le prix Renaudot. C'est un prix qui n'est pas doté mais fournit une reconnaissance dans le champ littéraire, à la fois auprès du public et des pairs, ce qui ouvre la voie à de possibles collaborations journalistiques.
L'avenir s'annonce plus serein. Gallimard lui accorde une mensualité, il peut publier ses nouvelles et des "papiers" (y compris de critique de cinéma) dans divers journaux. Il peut enfin assurer seul son entretien et même celui de sa compagne, Marie-Antoinette, connue à Dole en 1921, qu'il épouse en 1931. Le couple s'installe Square Carpeaux. C'est le succès de La Jument verte, publié en 1933, qui lui permet de déménager rue Paul Féval (derrière Le Lapin agile) dans un appartement plus grand où ils resteront jusqu'en 1963, pour ensuite s'installer rue Norvins (aujourd'hui place Marcel Aymé). La Jument verte marque un tournant dans l'existence de Marcel Aymé. Le livre suscite une polémique en raison de la place accordée à la sexualité, mais les polémiques ont l'avantage de rendre visibles les écrivains, même les plus discrets.
Bien que particulièrement silencieux (tous les témoignages sur ce plan concordent), Marcel Aymé n'en a pas moins de nombreux amis, et n'est pas si asocial qu'il a parfois été raconté. Et il est extrêmement fidèle à ses amitiés, qu'il s'agisse d'Emmanuel Bove (gaulliste) dont l'épouse l'instaurera exécuteur testamentaire de l'écrivain mort en 1945, ou de Brasillach (dont on connaît l'histoire et la condamnation à mort pour "crime d'intelligence avec l'ennemi", en 1945). L'éventail des amitiés de l'écrivain est très large et surprend parfois, il a des amis solides et fidèles aussi bien chez les communistes qu'à l'extrême droite, ce qui déjà, de son temps, en surprenait plus d'un.

square Carpeaux

Carte postale ancienne, "La Montmartroise"
Le square Carpeaux a été ouvert en 1907, sur l'emplacement d'une partie de l'ancien cimetière de Montmartre. Le jardin contient un kiosque à musique et deux statues, celle de la Montmartroise (Théophile Camel, 1907) et un buste de Carpeaux, plus tardif (Léon Fagel, 1929)



La célébrité

C'est aussi en 1933 que Pierre Chenal, désireux d'adapter La Rue sans nom (roman publié en 1930) lui demande d'en écrire les dialogues. D'autres collaborations vont suivre. Il écrira aussi quelques scénarios. Et un très grand nombre de ses oeuvres seront adaptées au cinéma, surtout dans la seconde moitié du XXe siècle.
C'est encore l'année où Emmanuel Berl qui dirige Marianne lui propose une chronique, qu'il tient avec plus ou moins de régularité jusqu'en 1938. Par exemple, le 3 mai 1933, il intitule son texte "Vive la race", satire féroce du racisme, où un dictateur fait s'entretuer son auditoire jusqu'au dernier.
Il continue à écrire de très nombreuses nouvelles, en particulier celles qui composent les Contes du chat perché, dont les premières datent de 1934. Une des rares oeuvres de l'auteur connues de tous, encore aujourd'hui, faisant souvent partie des lectures rencontrées à l'école.
En 1935, l'écrivain va encore être le centre d'une nouvelle polémique, non littéraire celle-là. Mussolini ayant envahi l'Ethiopie, il était question de représailles. Un manifeste "des intellectuels français pour la défense de l'Occident et la paix en Europe" est lancé que signe Marcel Aymé au milieu de noms qui sonnent désagréablement Action Française (la "défense de l'Occident" est déjà une signature). Ses amis, en particulier à Marianne, s'en offusquent. Il aura beau expliquer que c'est la guerre dont il ne veut à aucun prix, beaucoup ne lui pardonneront pas ce qu'ils jugent une compromission.
Au moment de la déclaration de guerre, en 1939, il est au Cap-Ferret où depuis quelques années, comme certains de ses amis, il passe ses vacances avec Marie-Antoinette. Le couple y reste jusqu'à l'automne 1940. Mais il faut gagner sa vie, même quand on est un écrivain connu. Ils rentrent alors à Paris. Là vient la période controversée de la vie d'Aymé. Il publie dans des journaux collaborateurs, des nouvelles, sans prise de parti politique certes, mais enfin, on le lui reprochera aussi. Il n'arrangera pas ses affaires en tentant en 1945 de défendre Brasillach. Et pourtant, nombreux seront ceux qui témoigneront qu'il n'a jamais bougé d'un iota de ses convictions, par ex. Henri Jeanson (Soixante dix ans d'adolescence, 1971) faisant état d'un texte s'insurgeant contre les mesures discriminatoires à l'encontre des Juifs que la censure, naturellement, barra, mais que les typographes s'empressèrent de diffuser sous le manteau.
C'est pendant la guerre que sont publiés Le Passe Muraille, recueil de nouvelles (1943) et La Vouivre (1944), un merveilleux roman. D'autres oeuvres suivront, bien sûr, dont Uranus en 1948.



livre de poche, 1986

première de couverture du livre de poche, 1986, dessin de Siné.


Le dramaturge

Après la guerre, malgré les deuils (son père décède en 1947, son frère Georges au début de 1950) et les chagrins, Marcel Aymé  va rencontrer le succès à la scène. Des pièces, écrites bien avant guerre et dont ni Dullin, ni Jouvet n'avaient voulu, vont trouver des metteurs en scène intéressés.
Douking (pseudonyme de Georges Ladoubée), acteur et metteur en scène, monte Lucienne et le boucher, au Vieux Colombier en 1948. En 1950, c'est Claude Sainval qui monte Clérambard à la Comédie des Champs-Elysées. Les deux pièces rencontrent un succès populaire tel que Marcel Aymé peut acheter une maison à Grosrouve près de Montfort l'Amaury.
La polémique va renaître à propos de La Tête des autres, qu'André Barsacq monte au Théâtre de l'Atelier en 1952. Violent plaidoyer contre la peine de mort, la pièce est aussi une virulente satire de la justice que la magistrature française des années cinquante apprécia bien modérément... et ce n'était pas l'avis de l'auteur qui risquait d'apaiser les colères, en effet, il écrivit : "L'action se passe en Poldavie, antique nation célèbre pour ses tapis, ses églises et ses faïences décoratives. Le spectacle de la haute magistrature poldave, parfois défaillante, est bien fait pour réconforter les Français qui sont, à juste titre, très fier de la leur." L'ironie moqueuse pouvait difficilement passer inaperçue.
Entre 1951 et 1961, Marcel Aymé apparaît régulièrement à l'affiche des théâtres, avec, il est vrai, des réussites inégales, et quelques fours. Parmi les réussites, il faut aussi compter deux adaptations qu'il fit d'Arthur Miller, Les Sorcières de Salem (1954) et Vu du pont (1958).
Témoins du succès de l'auteur, outre les adaptations cinématographiques, les traductions qui se multiplient ces années-là, du japonais à l'arabe en passant, naturellement, par l'anglais.
Le jeune écrivain modeste et bien peu sûr de son talent des années de l'entre deux guerres, est devenu un personnage qui compte, aussi admiré et loué par certains que décrié par d'autres, souvent sans aucun rapport avec ses oeuvres elles-mêmes, plutôt par ce qu'on impute à sa personnalité. En effet, si Marcel Aymé parle peu, il n'a pourtant pas sa langue dans sa poche, et lorsqu'il s'indigne, il le fait savoir. Essais, préfaces, articles de journaux, il encense ou s'indigne avec la liberté d'esprit qui a toujours été la sienne.



affiche de La Traversée de Paris, 1956

Affiche de La Traversée de Paris, film d'Autant-Lara, 1956, adapté de la nouvelle Le Vin de Paris.


On le dit "anarchiste de droite", si "anarchiste" signifie hostile aux pouvoirs, il y a du vrai ; "de droite", c'est vite dit, et c'est plutôt lié à ses amitiés qu'à ses idées, lui qui n'a jamais bougé d'un pouce de ses convictions anti-racistes et anti-colonialistes. Il meurt en 1967 d'un cancer découvert une dizaine d'années plus tôt.
Dans sa chronique de La Montagne du 22 octobre 1967, Alexandre Vialatte écrivait avec émotion ces quelques mots sur sa disparition :
« On ne se fait pas davantage à la mort inattendue de Marcel Aymé, qui a été certainement l'un des plus grands écrivains de notre époque. Il était bon et désintéressé, indifférent à tous les hommages, prêt à défendre toute victime de l'injustice et d'un incroyable mutisme. Je lui ai entendu dire une fois: "Je n'aime pas parler." Après quoi il s'est tu des mois. »





A découvrir
: le site de la Société des Amis de Marcel Aymé.
A propos du théâtre de Marcel Aymé : le site de la régie théâtrale.



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