Le Grand théâtre du monde, Calderón de la Barca, 1635

coquillage


L'auteur

Il naît le 17 janvier 1600 à Madrid, dans une famille de petite mais bonne noblesse, proche du pouvoir. Cette origine, il la lui faudra prouver pour devenir chevalier de l'ordre de Saint Jacques en 1637. L'enquête conclut que "sa famille était noble, honorablement connue et vieille chrétienne" (Didier Souiller, Calderón et le grand théâtre du monde, PUF, 1992, p. 64). Mais on n'en est pas encore là.
En 1608, il entame ses études au Collège des Pères de la Compagnie de Jésus à Madrid, ce qui va lui donner une solide formation tant culturelle que chrétienne dans le cadre de la Contre Réforme. La rhétorique était le sommet de cet enseignement, et les pères jésuites n'ont jamais dédaigné le théâtre pour l'édification de leurs élèves.
En 1610, sa mère meurt et en 1612, sa soeur Dorotea devient religieuse.
En 1614, il entre à l'université d'Alcalá d'Henares, pour passer ensuite à Salamanque l'année suivante, en 1615, année où meurt son père. Autant dire que Calderón est pourvu d'une solide culture. Il quitte l'université en 1619 avec le titre de Bachelier en droit canonique. Quoique son père, dans son testament, ait voulu qu'il entre dans les ordres, le jeune Pedro n'en prend nullement le chemin, bien plutôt celui des lettres et, dès 1620, participe à un concours de poésie.
En 1621, lui et ses deux frères sont accusés d'homicide et doivent chercher des protections (c'est aussi l'année où Philippe IV accède au pouvoir), plus tard, en 1629, il poursuivra avec ses amis l'agresseur d'un de ses frères jusque dans un couvent, scandale majeur. La violence, le sens de l'honneur, ne sont pas seulement des ingrédients théâtraux, mais des expériences vécues.
Quant à son théâtre, il ne surgit pas du néant. L'Espagne a déjà un riche passé, qu'illustrent des noms comme ceux de Tirso de Molina, l' "inventeur" de Don Juan (qui produit l'essentiel de son théâtre entre 1610 et 1625) ou Lope de Vega (mort en 1635) qui ont fixé les grandes lignes de la comedia, plus proche de l'expérience shakespearienne que du théâtre français de ce temps-là "avec ses trois journées, sa variété dans le choix des mètres et des strophes, sa relative liberté à l'égard des unités, ses personnages types aux fonctions précises comme le galán ou le gracioso et son prestige bien établi auprès de tous les publics." (Souiller, op. cit., p. 45). Il connaît aussi le théâtre italien et la Commedia dell'arte, d'autant que des metteurs en scène italiens travaillent aussi pour la Cour d'Espagne.
C'est en 1623 que débute sa carrière dramatique avec sa première comedia, Amour, honneur et pouvoir



calderon

Plaque de la rue Calderon, dans le centre de Madrid.


Il va ensuite, sans doute, voyager en Italie et en Flandres et prend part au siège de Breda (1624, conflit de l'Espagne avec les Provinces Unies) qui se conclut par la victoire espagnole et dont il tire une pièce, Le Siège de Breda, à la louange des Espagnols, un peu l'équivalent en littérature du tableau de Vélasquez peint dix ans plus tard, Les Lances ou la reddition de Breda.
De retour à Madrid, sa carrière de dramaturge se poursuit avec succès. En 1635, il est nommé directeur des représentations théâtrales de la Cour et censeur officiel. C'est sans doute cette année-là qu'est présenté lors de la Fête-Dieu (Corpus Christi) l'auto-sacramental Le Grand théâtre du monde.
Ainsi va la vie de Calderón, de pièces profanes, fort appréciées de la Cour, en pièces religieuses dont il devient, d'ailleurs, en 1648, le pourvoyeur attitré pour la ville de Madrid, jusqu'à ce qu'en 1651, il soit ordonné prêtre. C'était, quoique de manière bien différée, accomplir le programme paternel. Il était l'année précédente, 1650, devenu membre du Tiers Ordre franciscain. Toutefois, même si sa vocation et la rigueur de sa pensée religieuse ne sont pas à mettre en doute, il continue d'écrire pour le théâtre, tant pour les divertissements de la Cour, que pour Madrid et ses fêtes-Dieu.
Lorsqu'il meurt, le 25 mai 1681, à Madrid où il a passé la plus grande partie de sa vie, il laisse une oeuvre extrêmement foisonnnante : plus de 120 comedias dont la plus célèbre, en France à tout le moins, est La Vie est un songe (publiée pour la première fois en 1636) dont il fera aussi un auto sacramental en 1673 ; plus de 80 auto sacramentales dont une très grande partie écrite après 1651 (il en publie douze en 1677),  sans compter divers intermèdes (pièces courtes).




Caderon gravure de Gregorio Fosman

Calderón, gravure de Gregorio Fosman, XVIIe siècle, BnF.

un auto sacramental

Il s'agit une pièce religieuse, allégorique, destinée à être représentée durant la Fête-Dieu qui a lieu le deuxième jeudi après la Pentecôte, à la fin des processions qui la célèbrent. Ses origines remontent à 1264 (elle est "inventée" par le pape Urbain IV) et, dès la fin du XIIIe siècle, elle est extrêmement populaire en Espagne.
Ce sont de brèves pièces, en un acte (auto), à contenu allégorique, dont le dramaturge écrit en 1648, dans un autre auto sacramental, La Segunda esposa, ceci (c'est le Laboureur qui répond à une interrogation du Berger)  : "Sermons mis en vers, en idées / de représentables questions / de la Théologie sacrée / que ma raison ne sait / ni expliquer ni comprendre / et que la joie dispose  / en applaudissements de ce jour."
Les conditions de représentation étaient particulières : une scène fixe, sur une place, un parvis d'église, où venaient s'accoler des chariots (il y en a deux pour Le Grand théâtre du monde) qui avaient suivi la procession. L'espace scénique était donc constitué de plusieurs lieux, comme dans les mystères français du Moyen Age. L'acte se terminait toujours sur l'adoration du Saint-Sacrement (l'hostie transportée dans un ostensoir, l'Eucharistie).

La pièce

El Gran teatro del mundo (Le Grand théâtre du monde, traduit par François Bonfils, GF Flammarion, 2003) a sans doute été écrit au début des années 1630 et représenté lors de la Fête-Dieu de 1635, à Madrid. La pièce est imprimée en 1655.
Choisir un tel titre, c'est s'inscrire dans la très ancienne métaphore du Theatrum mundi, venue de l'antiquité gréco-latine, adoptée et développée par les Pères de l'Eglise, à commencer par Augustin d'Hippone qu'a beaucoup lu Calderón. Pour les chrétiens, cette métaphore s'associe à la formule de l'Ecclésiaste "tout est vanité", si le monde est un théâtre, c'est qu'il est le règne de l'inconsistant et de l'illusion que la mort vient effacer. C'est ce que la pièce du dramaturge, dont le succès fut durable, met en scène, offrant en même temps l'espérance de la vraie vie en Dieu, et les voies qui y conduisent.


L'argument: la pièce propose de montrer une pièce de théâtre. Il s'agit donc d'une mise en abyme qui se développe en trois parties : décision et organisation du spectacle, le spectacle lui-même, enfin les conséquences du spectacle, évaluation du jeu des acteurs, récompenses ou non. Cette organisation en trois parties est sans doute à rattacher à la tripartition des âges du monde "Ainsi donc, en trois actes, / en trois lois mais en un seul statut, / les hommes diviseront / les trois âges du monde." (vers 206-209) lesquels sont les temps des trois lois : "naturelle" (avant Moïse), "écrite" (après Moïse), " de grâce" (après le Christ), sans oublier que dans la religion catholique la divinité est une "Sainte Trinité".







Pereda, Allégorie de la Vanité
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Pereda y Salgado (1611-1678), Allégorie du temps qui passe, 1634, Musée d'Histoire de l'Art de Vienne  (Autriche)


Les personnages : ce sont, comme il est de règle dans les auto, des allégories.
L'Auteur : il est l'origine du spectacle, c'est sa volonté qui met en oeuvre le Monde, et c'est lui qui fait surgir les personnages. Il est le créateur, l'inventeur, le chef de troupe, démiurge mais aussi dramaturge, spectateur et "critique". Personnage dans lequel le spectateur reconnaît Dieu.
Le Monde: c'est la première création de l'Auteur qui en décrit les splendeurs et aussi le caractère inquiétant parce qu'instable, dans les 26 premiers vers de la pièce. Il est en quelque sorte le régisseur du spectacle qui se prépare puisqu'il doit organiser la scène et fournir les accessoires conformes aux rôles déterminés par l'Auteur. C'est la terre (géographique et géologique), mais c'est aussi, compte tenu des connotations du temps, l'univers profane (celui des apparences) opposé au sacré, au religieux, au monastique. Par ailleurs, le Monde est aussi l'autre spectateur de la pièce mise en abyme.
Le Roi : représente, comme il est dit à la fin, le pouvoir.
La Sagesse (la "Discreción", en espagnol) : personnage féminin, vêtue comme une nonne, elle se dit "studieuse" et reçoit comme accessoires "le jeûne et l'oraison", c'est dire qu'elle est aussi une allégorie de l'Eglise.
La Loi de grâce : parole de Dieu et conscience "humaine", elle joue le rôle du souffleur, rappelant à ceux qui s'égarent la ligne de leur rôle avec des succès mitigés, entre ceux qui n'entendent rien et ceux qui ne veulent pas entendre.
La Beauté : second rôle féminin qui est à la fois une incarnation de la féminité, du désir des "vanités", les fleurs, les couleurs, tout ce qui scintille et brille, les parures, les miroirs. Elle est aussi une allégorie des arts et ses discours sont eux aussi parures et scintillements.
Le Riche : se définit essentiellement comme un jouisseur, un "matérialiste" puisque les jouissances auxquelles il aspire sont celles des sens, un homme du présent, c'est l'incarnation du "Carpe diem".
Le Laboureur : c'est le personnage comique, affligé d'un bon sens têtu, il tient tête à l'Auteur, au Monde, à la mort (discutant les injonctions de la Voix), louant le travail et s'en plaignant aussi, faisant la morale au pauvre.
Le Pauvre : allégorie de toutes les souffrances et de tous les malheurs qui peuvent atteindre les humains, allégorie de la faiblesse aussi. Il est, comme dans les Evangiles, la pierre de touche évaluant la qualité des autres personnages.
L'Enfant : très surprenant personnage qui est un rôle sans en être un. Appelé à être, cet appel est annulé avant d'être effectif puisque c'est un enfant mort-né.
Une Voix : qui s'exprime toujours par le chant et annonce la mort, la fin du jeu, pour chacun des personnages.


Jeux de miroir

La pièce commence par l'arrivée de l'Auteur qui célèbre sa première création, le Monde, et lui demande d'organiser le spectacle. Le Monde va planter le décor par le récit de la Genèse, en résumant les événements de l'Ancien Testament et du Nouveau jusqu'à la mort du Christ et même au-delà. Cela fait, il tient prêts les accessoires et l'Auteur envoie ses acteurs se costumer. Après quelques récriminations de ces derniers (du Laboureur en particulier), se plaignant de ne pouvoir répéter leurs rôles avant d'entrer en scène, quelques explications de l'Auteur, le spectacle dans le spectacle va commencer.
Pour cela s'ouvrent les deux scènes (deux globes) installées sur les chariots accouplés de part et d'autre de l'estrade où s'est déroulée cette première partie. L'une où prend place le spectateur qu'est l'Auteur (sphère céleste) et l'autre dont le décor est constitué de deux portes, l'une sur laquelle est peint un berceau, l'autre un cercueil (sphère terrestre), où joueront les acteurs dûment costumés. Mais le Monde qui reste seul sur l'estrade est aussi l'un des spectateurs, et même de ceux qui n'hésitent pas à commenter l'action, voire à apostropher les acteurs.
Lorsque la pièce se termine par la sortie (par la porte peinte d'un cercueil) de tous les acteurs appelés par la Voix, chacun leur tour, ces deux lieux se ferment et l'action revient sur la scène centrale, où les acteurs rendent leurs accessoires au Monde. Le lieu céleste se rouvre alors, l'Auteur y est assis à une table sur laquelle il y a un calice et une hostie (représentant l'Eucharistie, le mystère du pain et du vin transformé en corps du Christ), et le jugement des prestations s'accomplit. Les acteurs d' Agir bien car Dieu est Dieu (c'est le titre de la pièce qu'ils ont représentée, vers 438) sont sur l'estrade et jugés, ils vont ou non monter rejoindre l'Auteur, dans la sphère céleste.
Sept personnages jouent la pièce dans la pièce (puisque l'Enfant est écarté d'emblée et que la Voix émane du monde céleste), ils forment des couples antithétiques ou complémentaires, voire les deux à la fois. Les personnages féminins entrent d'abord en scène : tout les oppose, Sagesse veut une vie retirée, Beauté veut "voir et être vue", l'une est l'esprit, l'autre la matière, l'une perdure, l'autre est fugace.
Ensuite entrent successivement le Riche et le Laboureur, ce qui fait une nouvelle opposition entre celui qui jouit et celui qui peine ; puis c'est le tour du Pauvre qui est aussi en opposition au Riche, celui qui a tout et celui qui n'a rien. De même qu'il y a opposition entre le Laboureur (qui travaille, calcule, augmente ses profits) et le Pauvre qui s'abandonne aux événements. Le Roi entre le dernier. Là encore, il y a opposition entre lui et le Pauvre, celui qui a tout pouvoir, et celui qui n'en a aucun.
Mais entre la Beauté et le Riche, par exemple, les points communs sont nombreux, à commencer par l'appétit de jouissance ; ou entre la Sagesse et le Roi puisque chacun représente un pouvoir, spirituel et temporel et qui se concrétise dans le geste du Roi pour aider Sagesse.
Une fois tous les personnages en scène, ils vont devoir choisir leur attitude, leur manière de jouer leur rôle, la Loi de Grâce leur soufflant la bonne manière de le faire. La mise à l'épreuve passe par la demande du pauvre, vont-ils ou non faire l'aumône, c'est-à-dire accomplir un acte de charité (Caritas, faut-il le rappeler, est l'amour de Dieu en l'autre) ? Et la mort arrivant, sauront-ils se repentir de leurs erreurs ?
La pièce est brève (elle occupe 591 vers sur 1572, et sur ces 591 vers, près de la moitié sont consacrés au rappel des acteurs vers la coulisse, autant dire à la mort), comme la vie humaine, à peine le temps de proférer les désirs qui les habitent et les allégories ont ordre de quitter la scène.

Quelle lecture au XXIe siècle ?

Naturellement, il est impossible de ne pas tenir compte de la teneur religieuse de la pièce (et le "Riche" comme dans les Evangiles est condamné dès qu'il endosse son rôle puisque ce dernier l'exige: "Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu", Mathieu, 19-24) ni de sa fonction didactique.
Les dialogues des personnages s'enracinent dans le texte biblique (Ancien et Nouveau Testament), comme le prouve F. Bonfils dans son édition du texte (GF, 2003), et l'ensemble doit tourner à l'édification des fidèles.
Mais, il est aussi possible de regarder le tout sous un autre angle. En remarquant par exemple, la complexité du personnage Le Monde.  Il est, certes, comme les autres personnages, une création de l'Auteur, mais devenant à la fois régisseur, décorateur, il est à son tour créateur de l'environnement où vont évoluer les acteurs. C'est lui qui leur fournit l'apparence de leur rôle, autrement dit les moyens d'incarner un personnage. Si la Loi de Grâce souffle le texte, lui le commente et, parfois, discute avec les personnages, en particulier, le Laboureur, qui travaillant la terre se trouve en contact direct avec une de ses caractéristiques, le monde géologique, si l'on peut dire.
Le spectateur qui regarde le tout, Le Grand théâtre du monde où se joue Agir bien car Dieu est Dieu, peut se demander si, finalement, ce monde ici-bas, illusion et apparence, n'est pas en fait l'essentiel. L'enfant mort-né, qui ne peut s'incarner, va vaguer dans les limbes, lieu sans lieu. L'Auteur tire les personnages de lui-même, mais sans leur passage, aussi bref soit-il, par le théâtre du monde, ils ne pourraient être répartis dans les "maisons" célestes, enfer, purgatoire, paradis. Et alors, que serait cet Auteur sans création ? Entre l'origine et les fins dernières, les créatures (hommes et monde) précaires, instables, fugaces, ne donnent-elles pas sens à l'éternel, l'intemporel à l'inverse de ce qui est "officiellement" affirmé ?
Bien sûr, aux yeux d'un spectateur espagnol de 1635, c'est un regard qui relève du blasphème, n'empêche... En 1765, la représentation des auto est interdite par l'Eglise, comme si l'ambivalence était alors devenue intolérable.
Par ailleurs, la pièce est réellement entraînante et spectaculaire, au sens où, en dépit de son caractère abstrait, elle est d'un grand dynamisme, souvent amusante, lyrique, inquiétante. Et point n'est besoin de métaphysique pour saisir que le spectateur du Grand théâtre du monde s'y regarde agir comme dans un miroir : quel sens va-t-il donner à sa vie ? Par quoi va-t-il se laisser tenter, non pas au sens religieux du terme, "entraîner au mal, au péché", mais à celui plus laïc de voir "s'éveiller son désir" ? Par le goût du Pouvoir ? par les jouissances sensuelles du Riche ? par la Beauté ? par la Sagesse qui loue le monde tout en y renonçant ? Par tout à la fois, ou par chacun tour à tour ? Faut-il être le "pauvre" et se réjouir de la mort ou le riche et s'en désespérer ?
Il est dans le même temps le spectateur de ce qui se déroule sur la scène, et lui-même une scène sur laquelle se répètent les mêmes actions, les mêmes postulations, les mêmes choix à faire, avec la même inévitable fin, trop prévue et toujours imprévue. Comme le Laboureur, il constatera le moment venu qu'il n'est pas prêt, qu'il y a encore beaucoup à faire. Vaudrait-il mieux, comme l'Enfant, n'être jamais né ?

Avec Calderón, la métaphore du théâtre du monde (theatrum mundi) développe ses dimensions métaphysiques dans le droit fil des réflexions d'Augustin d'Hippone, comme de celles de Jean de Salisbury. Elle a bien pour finalité de faire saisir au spectateur que le monde est illusion ;  voué au temps, il est destiné à périr et qui se prend à l'illusion périra de même.
Mais dans la mesure où tout religieux soit-il, il n'en est pas moins un exceptionnel dramaturge, la pièce et la métaphore peuvent toujours résonner, presque quatre siècle après, dans de nouvelles dimensions, déplaçant les lignes de force,  laissant à l'arrière-plan sa dimension religieuse pour amener au premier plan sa dimension questionnante. Car religieux ou non, tout être humain doit "inventer" le sens de sa vie dans les mêmes interrogations.
Tellement qu'au début du XXe siècle, Hugo von Hoffmanstall (1874-1929) en est profondément imprégné et que son théâtre lui doit beaucoup.


Plus surprenant, à première vue, sans doute est l'hommage que lui rend Verlaine (qui l'admirait particulièrement), lors du deuxième centenaire de sa mort en 1881. Le poème, sous le titre de "Sonnet pour un tombeau", est d'abord publié en janvier 1886 dans Lutèce (la revue disparaît en octobre de la même année), dédié à José Maria de Heredia,  puis dans le recueil Amour, dont il est le 30e poème, en 1888, Léon Vanier éditeur.
Si dans les années 1880, Verlaine loue la foi et le mysticisme de Calderon, il semble qu'avant sa "conversion" de 1875, Calderon lui parlait un autre langage, celui des illusions du monde, des vanités, qu'il convient de dévoiler, d'apprendre à reconnaître pour telles comme, d'une certaine manière, Fêtes galantes, en 1869, mettant en oeuvre à la fois l'illusion et ce que l'espagnol appelle "desengaño", la fin des illusions, des tromperies.


Ce poète terrible et divinement doux,
Plus large que Corneille et plus haut que Shakespeare,
Grand comme Eschyle avec ce souffle qui l'inspire,
Ce Calderon mystique et mythique est à nous.

Oui, cette gloire est nôtre, et nous voici jaloux
De le dire bien haut à ce siècle en délire :
Calderon, catholique avant tout, noble lyre
Et saints accents, et bon catholique avant tous,

Salut ! Et qu'est ce bruit fâcheux d'académies,
De concours, de discours, autour de ce grand mort
En éveil parmi tant de choses endormies ?

Laissez rêver, laissez penser son Œuvre fort
Qui plane, loin d'un siècle impie et ridicule,
Au-dessus, au delà des colonnes d'Hercule !





A lire
: par curiosité, la présentation de la pièce faite, en 1835, dans Le Monde dramatique par un journaliste du nom de Bernard Lopez.



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