15 juillet 1926 : Driss
Chraïbi
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Ecrivain
marocain ? Ecrivain français ? Driss Chraïbi est
bien né au Maroc, à Mazagan
(aujourd’hui El-Jadida), ville située
à un peu moins de cent kilomètres au sud de
Dar-el-Beïna (Casablanca) sur la côte Atlantique, où
il a passé
son enfance. Il a ensuite étudié à Casablanca, au
lycée Lyautey, avant de
poursuivre des études d'ingénieur chimiste en
France où il s'installe en 1945.
Diplômé en 1950, il refuse de rentrer au Maroc, son
père lui coupe donc les vivres; s'ensuivent quelques
années de vaches maigres. Chraïbi, dans Le Monde à côté
(2001) raconte que c'est alors qu'est né en lui le désir
d'écrire. En 1953, il rencontre Catherine, sa première
épouse, qui lui fait découvrir l'île d'Yeu et la
musique européenne. Le premier roman auquel il travaille
pendant ces années difficiles, en termes financiers, est
publié en 1954 : c'est Le Passé
simple. Pendant trente ans (1959- fin des années 1980), il est producteur de dramatiques à France Culture (radio culturelle) pour laquelle il écrit aussi des pièces radiophoniques. Il y a diffusé la culture du Maghreb aussi bien que la culture africaine et fait découvrir nombre d'écrivains. Lorsque le couple qu'il forme avec Catherine se délite, à la fin des années 1960, il accepte une invitation pour enseigner, durant un semestre, la littérature maghrébine, au Canada, à l'université Laval. Puis, il se remarie avec Sheena Mc Callion (qu'il a rencontrée en 1971), après son divorce, à la fin des années 1970, et passera le reste de sa vie avec elle. |
Chraïbi a vécu
l'essentiel de sa vie en France et demandé et obtenu la
nationalité française en 1981.
Alors écrivain français ? écrivain marocain ? Tout simplement écrivain. Et comme tous les vrais écrivains, il lui a fallu construire son public par-delà les incompréhensions et les simplifications. Le Passé simple (1954), son premier roman, provoque un tollé au Maroc et si Les Boucs (1955) est relativement bien accueilli par la critique, en France, il apparaît quand même sinon comme un auteur marginal, du moins comme secondaire. Il lui faut attendre 1967 pour que les écrivains marocains le reconnaissent comme un précurseur, grâce à un numéro spécial de la revue Souffles (n° 5, 1er trimestre 1967) et peut-être commence-t-il seulement, en France, à être reconnu pour ce qu'il est : un grand écrivain français. Et encore... Il n'est souvent qu'une notice dans un ensemble: "littérature maghrébine d'expression française", "écrivains francophones" dans les manuels de littérature à l'usage des lycées. Il s'agit pourtant bien d'une oeuvre qui mérite d'être regardée de plus près. Driss Chraïbi s'est éteint le 1er
avril 2007 dans sa maison de Crest, dans la
Drôme, au sud de la France.
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Voyageur de deux rives, pour reprendre la formule d'Apollinaire, Marocain ET Français, moins en termes de territoires géographiques que de territoires imaginaires, Chraïbi a exploré toutes les dimensions de l'écriture, y compris le roman policier pour lequel il imagine un enquêteur particulièrement haut en couleur et particulièrement iconoclaste, l'inspecteur Ali, y compris l'autobiographie (Lu, vu et entendu, 1998 et Le Monde à côté, 2001). Préciser cela c'est mettre en garde contre justement les simplifications qui visent à faire de ses romans, depuis Le Passé simple, des récits autobiographiques. Chraïbi a beau s'en être défendu, il n'a guère été écouté, et pourtant comme il le dit lui-même dans une interview menée par Abdeslam Kadiri, en 2004, pour TELQUEL on line, au sujet du Passé simple : "Ce livre, c’est une révolte de l’individu qui se reconstitue tout seul, d’une façon peut être hybride, mais qui dit d’emblée que ce n’est pas l’Occident qui est source de tous nos maux, mais c’est aussi nous-mêmes. Il faut balayer devant notre porte et commencer par là. Mon bouquin n’est pas une œuvre autobiographique comme on l’a souvent prétendu. S’il l’avait été, comment expliquer sa pérennité? Pourquoi continuerait-il à toucher l’ensemble des générations marocaines?" On pourrait ajouter, comment continue-t-il à "toucher" des lecteurs français qui vivent dans un tout autre monde ? (Rappelons-nous que cinquante ans représentent deux générations.) Ce qui est vrai du Passé simple peut être généralisé à toutes ses créations. Son oeuvre possède une qualité qui se fait rare : un sens aigu de la dérision, une ironie décapante dans la mesure où rien ne lui échappe, pas même le narrateur, pas même l'écrivain dans ses récits autobiographiques. Mais en même temps, aussi violents et sarcastiques qu'ils puissent être, aucun de ses récits n'est dépourvu de tendresse, ils ne simplifient jamais ni les choses, ni les êtres, ni les rapports entre les êtres, même dans Le Passé simple dont la violence a largement été commentée sans jamais la rattacher d'ailleurs à une certaine Saison en enfer d'un certain Arthur Rimbaud dont elle est pourtant la singulière et bien souvent magnifique héritière, "Sacré Arthur, va !" (éd. Folio, p. 158) En retrouvant les accents de Shakespeare (Roméo et Juliette : "Qu'est-ce qu'un Montaigue ?, Ce n'est ni pied ni main / Ni bras ni visage, ni aucune partie / Du corps d'un homme. Oh sois un autre nom / Qu'y a-t-il en un nom ? Ce que nous nommons rose / Sous un autre nom sentirait aussi bon..." - traduction Pierre-Jean Jouve et George Pitoëff ), dans Le Monde à côté, Chraïbi rappelle ce qui devrait être une évidence et ne l'est plus : "Une appartenance ethnique — voire un patronyme — n'est qu'une étiquette du langage, il me semble. Ce n'est pas une identité. Une identité c'est ce qui demeure primordial le long d'une existence, jusqu'au dernier souffle; la moelle des os, l'appétit flamboyant des organes, la source qui bat dans la poitrine et irrigue la personne humaine en une multitude de ruisseaux rouges, le désir qui naït en premier et qui meurt en dernier." (Folio, p. 199), reprenant les mots qu'il avait déjà employé dans Naissance à l'aube (1986). C'est dire la conviction qui l'habite. Son oeuvre entière est une insurrection contre lieux communs et clichés qui épinglent l'autre, comme un papillon sur du liège, et souvent en retournant clichés contre clichés, ce qui en fait une réjouissante bataille : un seul et même ennemi, la bêtise d'où qu'elle vienne. |
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première de couverture de
l'édition folio du Passé simple, premier roman de Driss
Chraïbi.
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Les OeuvresLe Passé simple, Denoël, 1954 (repris en Folio) Les Boucs, Denoël, 1955 (repris en Folio) L'Ane, Denoël, 1956 De tous les horizons, Denoël, 1958 La Foule, Denoël, 1961 Succession ouverte, Denoël, 1962 (repris en Folio) Un Ami viendra vous voir, Denoël, 1967 La Civilisation ma mère !..., Denoël, 1972 (repris en Folio) Mort au Canada, Denoël, 1975 Une enquête au pays, Seuil, 1981 (repris en Points Seuil) La Mère du printemps, Seuil, 1982 Naissance à l'aube, Seuil, 1986 L’Inspecteur Ali, Denoël, 1991 (repris en Folio) Les aventures de l'âne Khâl, Seuil, 1992 Une place au soleil, Denoël, 1993 L’Homme du livre, Balland, 1995 L'Inspecteur Ali à Trinity College, Denoël, 1995 L'Inspecteur Ali et la CIA, Denoël, 1996 Vu, Lu, Entendu, Denoël, 1998 (repris en Folio) Le Monde à côté, Denoël, 2001 (repris en Folio) L'homme qui venait du passé, Denoël, 2004 |
première de couverture de
l'édition folio de L'homme qui venait du passé, dernier roman
de Driss Chraïbi.
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A écouter : sur France culture la rediffusion de 5 émissions de "A voix nue" consacrées à l'écrivain, en 1992. |