En attendant Godot, Samuel Beckett, première représentation, 5 janvier 1953, au théâtre de Babylone.
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A propos d'En attendant Godot : 1. Samuel Beckett ; 2. La pièce (présentation) ; 3. Le rôle de l'arbre |
Alain Badiou dans Beckett : l'increvable désir, 2006 (Hachette) :"Si on a souvent comparé ses duettistes à des clowns, c'est justement que, déjà au cirque, on ne se soucie pas de situations ou d'intrigues, d'exposition ou de dénouement, mais d'un inventaire immédiat, fortement physique, des figures extrêmes de la dualité (qui se retrouve dans l'opposition de l'Auguste et du clown blanc).""Il faut jouer Beckett dans la plus intense drôlerie, dans la vérité constante des types théâtraux hérités, et c'est alors seulement qu'on voit surgir ce qui de fait est la vraie destination du comique: non pas un symbole, non pas une métaphysique déguisée, encore moins une dérision, mais un amour puissant pour l'obstination humaine, pour l'increvable désir, pour l'humanité réduite à sa malignité et à son entêtement." Point de vue que partage Pierre Chabert, metteur en scène : "On s'est trop focalisé sur le fait que Godot ne vient pas et sur ce qu'il représenterait, alors que l'important réside dans la persistance de l'espoir qui fait que les personnages ne bougent pas et continuent d'attendre. Nous sommes toujours en train d'attendre quelque chose." (TDC, novembre 2006) | ||
En attendant Godot, comme toutes les autres pièces de Beckett, où il semble que la mise en scène ait peu de place en raison de la précision et du développement des didascalies, est pourtant tributaire elle aussi de la mise en scène et de la représentation. Ainsi l'arbre : "Plus tard, avec d'autres metteurs en scène, l'arbre a été tour à tour un réverbère, un poteau télégraphique, un panneau de signalisation, un transformateur électrique, un portemanteau, une plante verte, un simple piquet, un épouvantail, une croix, encore une croix, il a été fait en métal, en fibre de verre, en plâtre, en vrai bois ramassé dans la forêt, en chêne menuisé, en fer forgé, etc. Arbre quand même." (Nathalie Léger, Les Vies silencieuses de Samuel Beckett, 2006, Allia) En 1990, pour Jean-Pierre Vincent "Vladimir et Estragon étaient deux personnages tombés en panne de moto, se parlant devant une palissade, au bout d'une route." Le transformateur électrique appartenait à la mise en scène de Joël Jouanneau, au théâtre des Amandiers à Nanterre, en 1991 : "Je voyais Vladimir et Estragon comme des êtres sans travail, des désocialisés. Je pensais à un décor de friche industrielle. Un transformateur électrique, avec ses trois branches, faisait figure d'arbre. Un tout petit chemin y menait. Telle était la proposition du décor de Jacques Gabel." (Joël Jouanneau, Magazine littéraire, janvier 1999) Pour Philippe Adrien, en 1993, Vladimir et Estragon sont un couple dans un monde post-atomique : "[...] même si Beckett n'y a jamais pensé. Godot est une pièce sur notre capacité à oublier cet événement capital, la bombe atomique." | ||
mise en scène de Roger Blin au théâtre de Babylone en 1953, Acte I : "Tenez le-bien ! (Il met la valise dans la main de Lucky, qui la lâche aussitôt) Ne le lâchez pas ! (Il recommence; peu à peu au contact de la valise, Lucky reprend ses esprits et ses doigts finissent par se resserrer autour de la poignée.) Tenez-le toujours ! (Même jeu avec le panier.)" . Le plateau est nu, limité au fond par une toile tendue. Les projecteurs et les portants sont visibles. On devine l'arbre derrière. Lucky a des vêtements trop petits pour lui. Pozzo est bien habillé, il porte même des bottes, mais ses vêtements sont anachroniques. Les quatre personnages portent le chapeau melon, souvenir de Charlot, le personnage de Charles Chaplin. Un témoignage de l'épouse de Pierre Latour (Estragon) à propos de cette première mise en scène, sur le site des célébrations nationales. |
mise en scène de Luc Bondy, Théâtre de l'Odéon, 1999.
Le décor rend visible l'arbre et la route (première didascalie : "Route à la campagne, avec arbre") sur un fond bleuté indéterminé qui peut être le matin ou le soir. Le paysage est couvert de neige, mais les costumes des personnages évoquent plutôt l'été. Bondy a abandonné les melons et coiffe Pozzo d'une chapka, et Lucky d'un panama (par terre). Par ailleurs, Lucky, élégamment vêtu de blanc, est pieds-nus. Un extrait de cette mise en scène sur le site de l'INA. |
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mise en scène de Bernard Sobel, Théâtre de Gennevilliers, 2002. L'arbre est devenu forme stylisée dédoublée : la première rappelle un arbre, la seconde est une flèche perçant une boule jaune. Le décor est noir avec derrière l'arbre un disque rouge qui peut évoquer une lune. Le plateau est obscur, les personnages apparaissent isolés les uns des autres par les projecteurs. Sobel renoue avec les melons. |
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Mise en scène de Jean-Lambert Wild, Lorenzo Malaguerra et Marcel Bozonne, à la Comédie de Caen,
mars 2014 "Je me suis demandé : qui sont Vladimir et Estragon ? À
partir du moment où on pense qu'ils pourraient être deux immigrés
clandestins en attente d'un passeur, tout résonne autrement. Pour moi,
cette lecture politique est évidente."
Conformément aux intentions du metteur en scène, les didascalies de Beckett sont suivies à la lettre. L'arbre est bien un arbre, le décor est dépouillé, la route est indiquée par la blancheur qui traverse la scène. Mais l'idée de faire de Vladimir (Michel Bohiri) et d'Estragon (Fargass Assandé) deux migrants africains en attente donne une autre dimension, plus politique et plus contemporaine, au propos, plutôt métaphysique au départ, de la pièce, sans pourtant en perdre le sens, celle de l'homo viator où chacun peut se reconnaître. |
A découvrir : la présentation et les photographies d'une mise en scène contemporaine (2016) par François Girard, au Théâtre du Nouveau Monde, Montréal. La mise en scène la plus récente de la pièce, celle d'Alain Françon (2023)
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