Le romantisme : nationalisme
et exaltation de la liberté
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Les
romantiques, qu'ils aient été au début des années 1820 royalistes,
comme Hugo, ou proches des républicains, comme Stendhal, finissent par
se rejoindre, vers 1830, parce qu'ils partagent le même idéal de
liberté et de justice sociale. Ils se sentent solidaires de tous les
peuples en lutte pour leur indépendance, ont une même haine de
l'esclavage (que la France n'a pas encore aboli, il faut attendre 1848
pour cela), et réclament des droits réels pour le peuple, notion
complexe mais qui recouvre tous ceux qui sont écartés des prises de
décision politique, puisque le suffrage (le droit de vote) est fondé
sur la fortune et non sur la citoyenneté territoriale : pour voter il faut être français mais cela ne suffit pas.1. La solidarité avec les peuples en lutte |
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Dans Les Feuilles d'automne,
publié en 1830, Victor Hugo clôt son recueil par un dernier poème qui
célèbre la fraternité du poète avec les peuples en lutte pour leur
liberté et lui donne comme fonction de stigmatiser les ennemis de la
liberté. |
Eugène Delacroix
est le grand peintre du romantisme comme Berlioz est son grand
musicien. Le choix de ses thèmes (ici les luttes pour l'indépendance
grecque), comme son travail sur les couleurs révolutionnent la peinture de son temps.
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Amis, un dernier mot ! — et je ferme à jamais Ce livre, à ma pensée étranger désormais. Je n'écouterai pas ce qu'en dira la foule. Car, qu'importe à la source où son onde s'écoule ? Et que m'importe, à moi, sur l'avenir penché, Où va ce vent d'automne au souffle desséché Qui passe, en emportant sur son aile inquiète Et les feuilles de l'arbre et les vers du poète ? ______
Oui, je suis jeune encore, et quoique sur mon front,Où tant de passions et d'oeuvres germeront, Une ride de plus chaque jour soit tracée, Comme un sillon qu'y fait le soc de ma pensée, Dans le cours incertain du temps qui m'est donné, L'été n'a pas encor trente fois rayonné. Je suis fils de ce siècle ! Une erreur, chaque année, S'en va de mon esprit, d'elle-même étonnée, Et, détrompé de tout, mon culte n'est resté Qu'à vous, sainte patrie et
sainte liberté !
Je hais l'oppression d'une haine profonde. Aussi, lorsque j'entends, dans quelque coin du monde, Sous un ciel inclément, sous un roi meurtrier, Un peuple qu'on égorge appeler et crier ; Quand, par les rois chrétiens aux bourreaux turcs livrée, La Grèce, notre mère, agonise éventrée ; Quand l'Irlande saignante expire sur sa croix ; Quand Teutonie aux fers se débat sous dix rois ; Quand Lisbonne, jadis belle et toujours en fête, Pend au gibet, les pieds de Miguel sur sa tête ; Lorsqu'Albani gouverne au pays de Caton ; Que Naples mange et dort ; lorsqu'avec son bâton, Sceptre honteux et lourd que la peur divinise, L'Autriche casse l'aile au lion de Venise ; Quand Modène étranglé râle sous l'archiduc ; Quand Dresde lutte et pleure au lit d'un roi caduc ; Quand Madrid se rendort d'un sommeil léthargique ; Quand Vienne tient Milan ; quand le lion belgique, Courbé comme le boeuf qui creuse un vil sillon, N'a plus même de dents pour mordre son bâillon ; Quand un Cosaque affreux, que la
rage transporte,
Viole Varsovie échevelée et morte, Et, souillant son linceul, chaste et sacré lambeau, Se vautre sur la vierge étendue au tombeau ; Alors, oh ! je maudis, dans leur cour, dans leur antre, Ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu'au ventre Je sens que le poète est leur juge ! je sens Que la muse indignée, avec ses poings puissants, Peut, comme au pilori, les lier sur leur trône Et leur faire un carcan de leur lâche couronne, Et renvoyer ces rois, qu'on aurait pu bénir, Marqués au front d'un vers que lira l'avenir ! Oh ! la muse se doit aux peuples sans défense. J'oublie alors l'amour, la famille, l'enfance, Et les molles chansons, et le loisir serein, Et j'ajoute à ma lyre une corde d'airain ! novembre 1831
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2. La dénonciation du racisme et de l'esclavage
Dans son roman, Georges, publié en 1843, Alexandre Dumas
raconte l'histoire du héros éponyme, fils d'un riche planteur mulâtre
de l'Ile de France (aujourd'hui île Maurice), Pierre Munier. L'enfant
assiste au mépris dont font preuve les planteurs blancs à l'égard de
son père. Ce dernier les envoie, lui et son frère, étudier à
Paris. A leur retour, Georges accepte de diriger la révolte des
esclaves, organisée par Laïza et Antonio. Le récit qui suit
précède le déclenchement de l'insurrection ; Antonio s'adresse à
l'assemblée des dix mille révoltés réunis qui forme deux groupes
distincts, celui des Indiens (dont Antonio est le chef) et celui des
Noirs, dont Laïza est le chef. |
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Alphonse Garreau (1792- vers 1831), Émancipation à la Réunion, huile sur toile. L'homme, devant le buste de République coiffée du bonnet phrygien symbolisant la liberté, est le commissaire de la République, Sarda Garriga, chargé d'apporter le décret dans l'île en décembre 1848. Quelques informations sur l'histoire de l'esclavage. A lire : Bug-Jargal, Victor Hugo, 1820 ; réécrit en 1825. Tamango, Prosper Mérimée, 1829 |
Antonio parla le premier. —Il y avait une fois, dit-il, une île gouvernée par des singes et habitée par des éléphants, par des lions, par des tigres, par des panthères et par des serpents. Le nombre des gouvernés était dix fois plus considérable que celui des gouvernants ; mais les gouvernants avaient eu le talent, les rusés babouins qu'ils étaient, de désunir les gouvernés, de façon que les éléphants vivaient en haine avec les lions, les tigres avec les panthères, et les serpents avec tous. il en résultait que, lorsque les éléphants levaient la trompe, les singes faisaient marcher contre eux les serpents, les panthères, les tigres et les lions ; et, si forts que fussent les éléphants, ils finissaient toujours par être vaincus. Si c'étaient les lions qui rugissaient, les singes faisaient marcher contre eux les éléphants, les serpents, les panthères et les tigres ; de sorte que, si courageux que fussent les lions, ils finissaient toujours par être enchaînés. Si c'étaient les tigres qui montraient les dents, les singes faisaient marcher contre eux les éléphants, les lions, les panthères et les serpents; de sorte que si forts que fussent les tigres, ils finissaient toujours par être mis en cage. Si c'étaient les panthères qui bondissaient, les singes faisaient marcher contre elles, les éléphants, les lions, les tigres et les serpents; de sorte que, si agiles que fussent les panthères, elles finissaient toujours par être domptées. Enfin, si c'étaient les serpents qui sifflaient, les singes faisaient marcher contre eux les éléphants, les lions, les tigres et les panthères, et les serpents, si rusés qu'ils fussent, finissaient toujours par être soumis. Il en résultait que les gouvernants, à qui cette ruse avait réussi cent fois, riaient sous cape, toutes les fois qu'ils entendaient parler de quelque révolte, et, employant aussitôt leur tactique habituelle, étouffaient les révoltés. Cela dura ainsi longtemps, très longtemps. Mais un jour, il arriva qu'un serpent, plus fin que les autres, réfléchit : c'était un serpent qui savait ses quatre règles d'arithmétique, ni plus ni moins que le caissier de M. de M*** ; Il calcula que les singes étaient relativement aux autres animaux, comme 1 est à 8. Il réunit donc les éléphants, les lions, les tigres, les panthères et les serpents sous prétexte d'une fête et leur dit : "Combien êtes-vous ? Les animaux se comptèrent et répondirent : - Nous sommes quatre-vingt mille. - C'est bien, dit le serpent, maintenant comptez vos maîtres et dîtes-moi combien ils sont. Les animaux comptèrent les singes et répondirent : - Ils sont huit mille. - Alors vous êtes bien bêtes, dit le serpent, de ne pas exterminer les singes, puisque vous êtes huit contre un." Les animaux se réunirent et exterminèrent les singes, et ils furent maîtres de l'île, et les plus beaux fruits furent pour eux, les plus beaux champs furent pour eux, les plus belles maisons furent pour eux, sans compter les singes dont ils firent leurs esclaves, et les guenons dont ils firent leurs maîtresses...
"Avez-vous compris ?" dit Antonio.
De grands cris retentirent, des hourras et des bravos se firent entendre ; Antonio avait produit avec sa fable non moins d'effet que le consul Ménénius, deux mille deux cents ans auparavant, n'en avait produit avec la sienne. Laïza attendit tranquillement que ce moment d'enthousiasme fût passé ; puis étendant le bras pour commander le silence, il dit ces simples paroles : "Il y avait une fois une île où les esclaves voulurent être libres ; ils se levèrent tous ensemble et ils le furent. Cette île s'appelait autrefois Saint-Dominique ; elle s'appelle à cette heure Haïti... Faisons comme eux et nous serons libres comme eux. Georges, éd. Gallimard, coll. Folio-classique, 1974, pp. 310-312
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