Le romantisme

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Le Romantisme : une « école » artistique, une manière d'être, une vision du monde, une avant-garde.

ROMANTISME est le nom que nous donnons en littérature française à une période de création qui s'étend sur la première moitié du XIXe siècle et qui affecte tous les arts : peinture, sculpture, musique, dessin et littérature (poésie, roman, théâtre). Comme tout mouvement artistique prégnant, le romantisme transforme les sensibilités. Il est, en outre, la première avant-garde et inaugure une nouvelle manière d'être "artiste".
Sans doute ne fait-il que systématiser des comportements qui ont toujours dû exister : la pauvreté de ceux qui veulent vivre de leur art, leur désir d'être différents de leurs aînés, leur volonté de se faire remarquer, reconnaître, mais il leur donne un "cadre" qui deviendra systématique en "inventant" la vie de bohème et en faisant de la nouveauté une machine de guerre : romantiques contre classiques lors de la fameuse bataille d'Hernani, jeunesse avide contre vieillesse au pouvoir, modernité contre passé dépassé. Stendhal : "Le romanticisme est l'art de présenter aux peuples des oeuvres litétraires qui, dans l'état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible." (Racine et Shakespeare, 1823)
Bien sûr, c'est un tableau simplifié, mais les avant-gardes  sont rarement nuancées.
Avant-garde, parce que les jeunes gens qui, entre 1820 (la majorité d'entre eux ont alors entre 18 et 20 ans) et 1830 (date à laquelle ils s'imposent totalement dans le champ littéraire), parviennent à dominer le monde de la création, inventent un nom : "romantique", trouvent le vocabulaire expliquant leur point de vue dans celui de l'armée, et ont une conscience aiguë de révolutionner les arts :



Dans l'armée romantique comme dans l'armée d'Italie, tout le monde était jeune.
Les soldats pour la plupart n'avaient pas atteint la majorité, et le plus vieux de la bande était le général en chef, âgé de vingt-huit ans. C'était l'âge de Bonaparte et de Victor Hugo à cette date.
Théophile Gautier, Histoire du romantisme (inachevée. publication posthume, 1874)



A partir du romantisme, pour plus d'un siècle, chaque génération tente de s'inventer "une école", dont la caractéristique essentielle consiste à prendre le contre pied esthétique de la génération précédente. C'est plus ou moins réussi, mais il est nécessaire d'en passer par là.

Comme le rappelle, dans une vue cavalière mais qui n'en est pas moins exacte, Jean d'Ormesson, dans l'album de la Pléiade consacré à Chateaubriand :
Avec Chateaubriand "le romantisme trouve son acte de naissance. Hugo sera son chef. Lamartine, Vigny, Musset seront ses généraux. Chateaubriand est le prophète. Et Rousseau est l'aïeul." (p. 24)

Le romantisme transforme les sensibilités, et en cela, ce moment de l'histoire littéraire et artistique, de l'histoire des idées aussi (c'est au même moment que l'histoire se constitue en  "science" quittant le monde des Belles Lettres) n'en finit pas de retentir jusqu'à aujourd'hui :
 - valorisation de la jeunesse (intérêt pour ses inquiétudes, son mal-être, son sentiment d"incompréhension, mais aussi valorisation de son énergie, de sa passion, de son enthousiasme)
 - valorisation de l'individu (le romantique est celui qui dit "moi, je", ou selon la formule de Georges Poulet : "Le romantique est un être qui se découvre centre.")
 - valorisation de l'amour : la plus haute des valeurs pour le romantique
 - idéalisation du féminin : créature divine ou maléfique, la femme est rarement vue comme un être concret, de chair et de sang, malgré les femmes réelles qui partagent les idées romantiques et y apportent leur contribution.
 - exaltation de la nature à travers des paysages "excessifs" : la mer (particulièrement lors des tempêtes), la montagne (surtout la haute montagne), la forêt. Tous lieux dévalorisés parce que jugés dangereux dans les siècles passés.
 - valorisation de la nuit (et de ses mystères)
 - goût de l'exotisme : le voyage en Orient devient une mode (l'orient est alors perçu comme tout territoire se trouvant au sud et à l'est de la Méditerranée, sans distinction réelle entre proche, moyen et extrême orient. La Grèce apparaît alors comme un pays d'Orient), et même si peu de voyageurs vont jusqu'en Chine, ses produits aussi deviennent une mode (peintures, étoffes, porcelaines).
 - intérêt pour l'histoire, particulièrement l'histoire nationale : découverte du Moyen-Age et redécouverte de la Renaissance.
 - nationalisme et exaltation de la liberté: la majorité des écrivains romantiques sont des écrivains "engagés". Ils ont souvent commencé par être royalistes pour rejoindre, peu à peu, les rangs républicains (Hugo en est un bon exemple) ou alors ils étaient libéraux dès le départ (Stendhal). Ils veulent que la littérature serve le progrès, qu'elle réponde aux besoins et idées de leur temps.
 
Par ailleurs, les écrivains romantiques investissent tout le champ littéraire : poésie, théâtre, journalisme et, surtout, ils donnent au roman une place éminente qui ne fera que croître au cours du siècle et qui est toujours la sienne aujourd'hui.



Chronologie succinte :

1789 - 1799 : Révolution et Ire République (la Révolution de 1789 débouche sur l'instauration de la République le 21 septembre 1792. C'est une période de guerre intérieure, guerre civile dans l'ouest de la France (la Vendée), et de guerre extérieure contre les rois européens coalisés.
1799 - 1804 : Consulat 
1800 : Germaine de Staël, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales. Dans cet essai, l'auteur affirme d'une part que la littérature est un fait social, et comme tel progresse à l'instar de la société, et d'autre part que le génie "est le bon sens appliqué aux idées nouvelles. Le génie grossit le trésor du bon sens ; il conquiert pour la raison. Ce qu'il découvre aujourd'hui sera dans peu généralement connu, parce que les vérités importantes une fois découvertes, frappent tout le monde presque également." (éd. GF, p. 70) Elle en conclut, comme tous les romantiques, après elle, que des temps nouveaux réclament des hommes nouveaux et des oeuvres nouvelles.
1802 : Chateaubriand, Le Génie du christianisme. C'est moins l'apologie du christianisme à laquelle se livre l'auteur qui va compter que deux petits récits enchâssés dans cet essai : Atala et René. Dès 1805, ils font l'objet d'éditions séparées et leur succès ne se dément pas. René est le premier exemple du "vague des passions" que très vite on dénommera "mal du siècle".
1804 - 1815 : premier empire (le général Bonaparte se couronne Napoléon Ier)
1815 - 1830 : restauration (Louis XVIII, 1814-1824 ; Charles X, 1824-1830. Temps de retour en arrière, sentiment général d'une société bloquée. Plus de détails dans l'article sur la formation de George Sand)
1818 : Elégies, Marie et Romances, Marceline Desbordes. Premiers accents d'un renouveau poétique, expression d'une subjectivité passionnelle.
1820 : Lamartine, Méditations poétiques. Cette publication est généralement regardée comme le début de la bataille romantique. Le lyrisme du recueil, le sentiment mélancolique du temps qui passe, touchent considérablement les contemporains et Lamartine devient un modèle.
1824 : Charles Nodier est nommé bibliothécaire de l'Arsenal. Il ouvre son salon à toute la jeunesse avide de nouveautés. Haut lieu d'échanges et d'amitiés, il est considéré comme le premier Cénacle, le laboratoire du romantisme.
1827 : constitution du Cénacle autour de Hugo réunissant (malgré leurs divergences d'opinions politiques) progressivement tous les grands noms du romantisme. Lieu de rencontres entre créateurs, poètes, peintres, écrivains, critiques, c'est le quartier général du romantisme. Il n'y a pas d'opposition entre les réunions chez Hugo (un froid passager avec Nodier) et les dimanches de Nodier où, dès 1829, tout le monde se retrouve.
1829 : Dumas, Henri III et sa cour. La pièce de Dumas est acclamée et marque le point de départ d'une occupation des théâtres par le mouvement. Dumas met en pratique ce qu'Hugo théorisait, dès 1827 (et qui était dans l'air), dans la préface de Cromwell. Le théâtre romantique, prenant Shakespeare pour modèle, refuse les distinctions de genre (il mêle comique et tragique, comme la vie), refuse les règles classiques (celle de trois unités, comme celles des bienséances). Il recourt à l'histoire, au pittoresque, à la couleur locale. Mais contrairement à ce que prônait Stendhal, il ne s'interdira pas le vers.
1830 : Hugo Hernani, la première représentation (mais aussi celles qui suivront), extrêmement houleuse, assure définitivement la victoire des romantiques - Stendhal : Le Rouge et le noir :  Stendhal qui a été l'un des premiers a défendre le mouvement dans deux pamphlets (l'un en 1823, l'autre en 1825) reste toutefois marginal et son écriture, si novatrice, n'est appréciée que par bien peu, mais Balzac est de ceux-là.
1830 - 1848 : changement de monarchie après la révolution de juillet (Les Trois glorieuses : 27, 28, 29 juillet — Louis-Philippe devient roi) le sentiment de trahison éprouvé après ces journées de dupes est bien rapporté par le témoignage de Dumas dans Mes mémoires, 1852-1855:



Ceux qui ont fait la révolution de 1830, c’est cette jeunesse ardente du prolétariat héroïque  qui allume l’incendie, il est vrai, mais qui l’éteint avec son sang ; ce sont ces hommes du peuple qu’on écarte quand l’œuvre est achevée et qui, mourant de faim, après avoir monté la garde à la porte du Trésor, se haussent sur leurs pieds nus pour voir, de la rue, les convives parasites du pouvoir, admis, à leur détriment, à la curée des charges, au festin des places, au partage des honneurs.




1831 : Balzac , La Peau de chagrin - Hugo, Notre Dame de Paris
1843 : Les Burgraves, la pièce de Hugo est un échec relatif et signale un changement de sensibilités et de mentalités. Une nouvelle génération cherche d'autres perspectives  (Flaubert, Baudelaire) et amorce ce qu'on appellera "réalisme" dans les années 1850.
1848-1852 : révolution de février, IIe république, président, Louis Napoléon Bonaparte. Lamartine préserve le drapeau tricolore (contre le drapeau rouge). Hugo est élu député. Cette période s'achève sur le coup d'Etat sanglant de Louis Bonaparte (fusillade du boulevard Montmartre ; répression féroce des tentatives de résistance) inaugurant le Second Empire et se soldant par l'exil de nombreux républicains dont le plus célèbre est Victor Hugo.









les romantiques


Le romantique, lithographie de  Mantoux et Cheyère, 1835 (Musée Carnavalet, Paris).
La représentation caricature les éléments les plus caractéristiques du mouvement: les ruines avec le morceau de clocher gothique (intérêt des romantiques pour le Moyen Age et le passé en général pourvu qu'il ne fût ni grec ni latin), la nature sauvage, la solitude (chaque personnage est isolé par le fait qu'ils se tournent le dos), le vêtement noir du personnage central dont la chevelure rappelle Chateaubriand, les créatures ailées (papillons ou chauve-souris ?) appellent à la fois la locution "idées noires" et un certain goût pour le fantastique le plus débridé ; le personnage de profil, la main tendue vers le vide rappelle la posture du poète déclamant. Les livres, enfin, soulignent encore ce statut de "poète", ces gens peu sérieux aux yeux d'une société qui s'embourgeoise, c'est-à-dire dont les valeurs sont celles de l'utilité et de la rentabilité.



A lire
: l'article "romantisme" dans l'Encyclopédie de l'Agora.
le livre de Léon Séché, Le Cénacle de la Muse française, 1823-1827, Mercure de France, 1908, pour mieux saisir les débuts du romantisme.
A visiter : une exposition virtuelle à la BnF : "Berlioz ou la voix du romantisme"
A écouter : Gérard Philipe disant "La mort du loup" d'Alfred de Vigny écrit en 1838.



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