La
Peau de chagrin, Balzac, 1831
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A propos de Balzac, ce site contient : 1. Une lecture de L'Interdiction - 2. Une présentation de La Comédie humaine - 3. Une présentation de La Muse du département - 4. Extraits de La Muse du département - 5. Biographie de l'auteur. - 6. Une présentation de La Maison du Chat-qui-pelote. - 7. une présentation du Bal de Sceaux - 8. Une présentation de La Vendetta - 9. Une présentation de La Bourse - 10. Une présentation du Curé de village - 11. présentation de La Fille aux yeux d'or - 12. Illusions perdues - |
Avec ce roman, Balzac a enrichi la langue française d'une locution ainsi répertoriée dans Le Trésor de la langue française : "[Par allusion à La Peau de chagrin,
roman de Balzac] Se rétrécir, diminuer comme une peau de chagrin.
Progressivement et jusqu'à disparition complète. "Il m'apparut à cet
instant que ma liberté s'était rétrécie d'un coup comme cette peau de
chagrin dont j'avais lu l'histoire." (P. VIALAR, La Mort est un commencement, Le
Petit jour, 1947, p. 96).
Au fig. C'est une peau de chagrin, cela fait peau de chagrin. Cela rétrécit de plus en plus : 1. "On voit que le contour de notre domaine de liberté est fort changeant. J'ai grand peur que son aire n'ait fait que se rétrécir depuis un demi-siècle. C'est une peau de chagrin." VALÉRY, Regards sur le monde actuel, 1931, p. 73. 2. "Pourtant cette maison a perdu (...) ce vicinal empire de chemins et de sentiers qui se ramifiaient sur cent journaux de terre. Le domaine de jadis (...) a fait peau de chagrin." H. BAZIN, Qui j'ose aimer, 1956, p. 18. |
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Et pour l'anecdote : c'est le roman que lisait Sigmund Freud au moment de sa mort. |
Histoire du texteAu moment où paraît le roman, en
août 1831, Balzac n'en avait encore publié qu'un sous son nom, Les Chouans (1829), mais de
nombreux autres sous des pseudonymes; La
Physiologie du mariage
avait paru de manière anonyme, anonymat très relatif et tôt dévoilé.
Toutefois, ce n'est pas un inconnu et
ses publications dans la presse sont nombreuses, de l'article de
journaliste au récit bref.
La 26e livraison de L'Artiste (fin juillet 1831) insérait un entrefilet dans ses "Nouvelles" :
Une note de 1830 indique peut-être l'origine de ce récit : "L'invention d'une peau qui représente la vie. Conte oriental." Les échanges avec les éditeurs Gosselin et Canel (traité signé le 17 janvier 1831) permettent de savoir que la composition avance, par à-coups, de février à juillet 1831, non sans qu'au mois de mai deux revues en publient des extraits : dans la Revue des Deux-mondes "Une débauche" (le dîner chez le banquier Taillefer), dans la Revue de Paris, "Le suicide d'un poète" (le gain au jeu de Rastignac et la ruine de Raphaël). Le récit, rapidement réédité, est de nouveau publié, en septembre 1831, dans un recueil intitulé Romans et contes philosophiques, précédé d'une préface de Philarète Chasles (qui sera reprise jusqu'en 1833). Dans La Comédie humaine, tous les textes qui composent ce recueil seront classés dans les "Etudes philosophiques".
Structure du récit La division en trois parties
("Le
talisman", "La femme sans coeur", "L'agonie") est celle que Balzac
avait prévue dès le début. Toutefois, la structure interne se révèle un
peu plus complexe.
Il s'agit, par ailleurs, d'un récit enchâssé, puisque deux narrateurs prennent en charge l'histoire : un narrateur extérieur et omniscient qui raconte une situation de crise (le personnage au bord du suicide se raccrochant au talisman qu'est la peau de chagrin) et ses conséquences ; un narrateur à la première personne, le personnage lui-même, qui raconte son enfance et sa jeunesse. 1. "Le talisman" correspond à trois mouvements : a) l'errance, "vers la fin du mois d'octobre dernier", du personnage anonyme décidé à se suicider qui aboutit à la boutique d'un marchand d'antiquités où il devient possesseur du talisman, la peau de chagrin, suivie d'un premier voeu ; b) la rencontre, en quittant le magasin, de ses amis le cherchant, ce qui lui donne un nom (Raphaël) et un statut (journaliste) et l'annonce du banquet fêtant la constitution d'un nouveau journal dont il sera le rédacteur en chef; c) le banquet lui-même chez le banquier qui finance le journal. 2. "La femme sans coeur" correspond a) au récit de Raphaël (c'est donc un retour en arrière, une analepse), ivre, racontant sa vie à Emile, tout aussi ivre ; ce récit rétrospectif se termine par un deuxième voeu en même temps qu'est mesurée la peau ; b) puis au réveil "le lendemain, vers midi" et à l'annonce de l'héritage. 3. "L'agonie" reprend le récit après une ellipse, "les premiers jours du mois de décembre" ; Raphaël y retrouve Pauline, essaie de se débarrasser de la peau, puis d'échapper à Paris et à Pauline en se réfugiant d'abord dans les Alpes, puis en Auvergne avant de revenir à Paris au dernier degré de la consomption, pour y mourir. Cette partie pendant laquelle Raphaël se déplace se développe chronologiquement, elle a la forme d'une fuite en avant qui, de fait, tourne en rond, puisque parti de Paris, il y revient inévitablement. 4. Enfin, un épilogue bref, sous forme de dialogue entre le conteur et un auditeur, donne au conte sa dimension allégorique. |
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Balzac illustré. La Peau de chagrin. Études sociales (Paris, H. Delloye et Victor Lecou, 1838, gr. in-8), frontispice sans auteur identifié |
L'intertextualitéBalzac place son roman sous le double auspice de Sterne (Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme) et de Rabelais. Le premier lui fournit son épigraphe, le second de nombreuses allusions et références dans le corps du texte. L'un et l'autre expliquent que Balzac ait qualifié son oeuvre de "fantaisie".Mais ce dialogue avec la littérature ne s'arrête pas là. De nombreuses autres allusions irriguent le texte, en particulier le Faust de Goethe, que le narrateur évoque directement au bout de la visite du magasin d'antiquités "Ce fut un mystérieux sabbat dignes des fantaisies entrevues par le docteur Faust sur le Brocken"; Raphaël, comme le docteur Faust, signe un pacte, dont il n'est jamais dit qu'il est avec le diable, mais qui apparaît comme véritablement diabolique puisque celui qui a déclaré "eh bien, oui, je veux vivre avec excès" "en saisissant la Peau de chagrin" en devient obsédé jusqu'à l'impuissance. Le rire du vieillard: "Un éclat de rire, parti de la bouche du petit vieillard, retentit dans les oreilles du jeune fou comme un bruissement de l'enfer..." est la signature de ce pacte auquel, contrairement à Faust, aucune Marguerite ne lui permettra d'échapper. Byron a aussi fourni les échos de son Manfred (drame publié en 1917) et Maturin celui de Melmoth, 1820, traduit en français dès 1821 (que d'ailleurs Balzac reprendra directement dans Melmoth réconcilié, 1833). Balzac s'inscrit donc à la fois dans une tradition romanesque qui réclame de son lecteur la volonté de "sucer la substantifique moëlle" comme en avertissait le prologue de Gargantua, mais aussi dans la nouveauté même du romantisme dont découle le choix du fantastique, du "conte oriental", aussi bien que les caractéristiques du personnage atteint du "mal du siècle" dont René de Chateaubriand avait dépeint les aspirations illimitées mais si vagues qu'elles transforment ceux qui en sont touchés en velléitaires. |
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Le fantastique :Si l'on s'en tient à la
définition de Todorov : le fantastique est un
genre construit sur l'impossibilité de décider si les événements contés
relèvent du naturel (explication rationnelle) ou du surnaturel
(explication "religieuse"), La Peau
de chagrin
est un récit fantastique. Balzac a, en effet, infléchi un conte ébauché
dans lequel le talisman n'était autre qu'une mauvaise plaisanterie,
dont le héros n'en mourait pas moins de frayeur lorsqu'il lui était
révélé que la peau rétrécissait naturellement (témoignage d'un ami de
Balzac, Samuel-Henry Berthoud). Rappelons que le "chagrin" est un type de cuir dont la préparation lui donne un aspect granulé. Dans le récit de 1831, deux solutions
se proposent, indécidables: la Peau est vraiment un talisman et son
rétrécissement jusqu'à disparition entraîne la mort de son possesseur ;
Raphaël prête à la Peau un sens qu'elle n'a pas, son mode de vie et la
maladie pulmonaire dont il meurt n'ont avec elle que le rapport qu'il introduit
lui-même. Le narrateur a d'ailleurs donné au lecteur des indices pour
cette explication, aussi nombreux que les autres: dès le début,
Raphaël porte la mort sur son visage, ce qui peut s'entendre aussi bien
de façon matérielle que symbolique ; la rencontre avec
les amis est l'aboutissement d'une recherche qui a duré une semaine;
l'oncle des Indes et son héritage pevent aussi s'expliquer de manière
ordinaire (l'oncle est d'ailleurs mort en 1828, et depuis ce temps les
notaires cherchent les héritiers), particulièrement chez Balzac où
toutes les fortunes rapides,
dans tous les romans, proviennent d'Asie. La maladie de Raphaël est une
des plus répandues à cette époque, Chopin, par exemple, en meurt. Mais
en même temps, l'introduction des tests scientifiques, physique
(mécanique) et chimique, confèrent à la Peau un caractère vraiment
surnaturel puisque la science est impuissante à l'expliquer. Si bien
que le lecteur est pris dans le tourniquet de l'indécision : surnaturel
? naturel ? surnaturel ?...
L'apologueIl est vrai que l'épilogue tend
aussi à transformer ce récit en
apologue. Le dialogue entre le narrateur et un lecteur conduit à
réinterpréter le récit et à comprendre qu'il a développé, via son
intrigue
et ses personnages, une vision de la société et des hommes de l'époque
(1830, puisque le roman commence par "en octobre dernier") pris, comme
dira plus tard Baudelaire, entre "le spleen" et les
tentations matérielles du monde, et "l'idéal". Balzac a incarné dans
une femme chacune de ces postulations: Foedora (dont le nom est à lui
seul un programme, puisque construit
sur un radical latin "foedus" = traité, et d'un suffixe "dora" qui
évoque la fin du mot "Pandora", personnage de la mythologie grecque à
l'origine de tous les maux de l'humanité) et Pauline. Raphaël, placé
entre le pouvoir, le vouloir, et le savoir, malgré tous les
avertissements (y compris celui du vieil homme qui lui propose la Peau
de chagrin), ne choisit pas le savoir, mais s'épuise entre le vouloir
et le pouvoir, fasciné par des mirages (l'orgie, la richesse, le
théâtre : seul endroit où il parvient à voir vraiment Pauline parce que
d'autres la voient et lui donnent un prix que, seul, il est incapable
de reconnaître), par l'illusion aussi d'une éternelle jeunesse, perdant
de vue que la vie est une durée et un passage.
La division en trois parties peut alors prendre un autre sens, celle de la vie avec ses trois étapes traditionnelles : jeunesse, âge adulte, vieillesse ; celle qu'on pourrait accorder au dessin emprunté à Sterne pour servir d'épigraphe au roman, mais en proposant horizontalement, ce qui dans le roman de ce dernier, dessiné dans le sable par le caporal Trim, était vertical (et non en épigraphe du chapitre CCXXII mais du chapitre CCCXII):
D'une certaine
manière aussi, le
texte se joue du romantisme, qui en 1830, est devenu le mouvement
artistique dominant. Il ne s'agit pas des Romantiques comme Hugo,
Dumas, voire Lamartine qui est convoqué lors du séjour de Raphaël
auprès du lac du Bourget, lequel Lamartine en avait tiré un magnifique poème
sur la fuite du temps (Raphaël, lui, n'en tire rien sinon la mort d'un
homme ; alors que le narrateur, pour sa part, rivalise avec le poète dans
l'évocation de la nature), mais d'un romantisme devenant une mode telle
que le salon de Foedora la pratique et dont se gausse aussi Rastignac:
"Une femme chez laquelle s'éditent toutes les productions romantiques
qui ne paraissent pas..." Un romantisme d'attitudes, de facilité qui
trouve des raisons continues à la paresse et à l'égoïsme ; le
romantisme dont les journalistes, Emile au premier chef, sont les
tenants : ne croyant plus en rien, détestant
le monde matériel dans lequel ils vivent ("ce soir la vie pâle de notre
civilisation, unie comme la rainure d'un chemin de fer, fait bondir mon
coeur de dégoût !"), aspirant à la passion, et se perdant dans ses
imitations. Romantisme que l'on retrouve dans la discussion des personnages pendant le
banquet et qui, bien plus tard, sera celui d'Emma Bovary dans le roman de Flaubert.
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