Le Bonheur conjugal, Léon Tolstoï, 1859
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A propos de Tolstoï, ce site contient : 1. une biographie de l'auteur - 2. une présentation d'Anna Karénine - 3. La Sonate à Kreutzer (1891) - 4. Guerre et paix (1869) -
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Léon Tolstoï, 1868. Photographie.
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Rédaction et publicationLa nouvelle est rédigée en 1859, sans doute commencée à la fin de l'année 1858. Tolstoï l'avait d'abord intitulée "Anna" et imaginée comme le journal de son personnage : "Je travaille huit heures par jour. Anna retouche son journal" écrit-il à sa grand-tante Alexandra qui est pour lui une amie précieuse. Le journal deviendra un récit, et Anna deviendra Maria Alexandrovna ; dans la traduction française de 1878, elle est Katia, ce qui est assez curieux car son diminutif reste "Macha".Comme il est habituel chez Tolstoï, pendant qu'il écrit, il est tout à fait content de ce qu'il fait : "J'ai tout changé. Un poème. Je suis très content de ce que je fais" (Journal, 16 février). Tout change, comme d'habitude encore, lorsque le texte est publié, en mai 1859, dans Le Messager russe. En relisant son texte, il est horrifié et note dans son Journal (3 mai) : "C'est une honteuse abomination." Il demande même à Vassili Botkine, dans une lettre du même jour, de ne pas publier la seconde partie, en ajoutant "C'est une torture pour moi... de lire cela et d'y penser." Heureusement, Botkine n'était pas de cet avis, il le fit savoir à Tolstoï, et publia. Il ne devait pas être le seul de cet avis, puisque la même année, en septembre, le Journal de Saint Petersbourg, publication en français du Ministère des Affaires étrangères russe, en propose une traduction, sous le titre "Le Bonheur domestique". Du "poème" à "l'abomination", les chemins cyclothymiques de Tolstoï ne sont pas toujours faciles à suivre. Dans la Pléiade et la collection Folio-classique, la traduction est celle de Sylvie Lumeau. |
Le récitest divisé en deux parties. Ecrit à la première personne, il a pour narratrice le personnage principal : Maria Alexandrovna, Macha pour ses très proches.La première partie (chapitres I à V) raconte la découverte de l'amour, le passage de l'enfance à l'adolescence. L'histoire qu'elle raconte commence en hiver, après la mort de sa mère, alors qu'elle, sa jeune soeur, Sonia, et leur gouvernante, Katia, sont à la campagne, dans la propriété familiale de Pokrovskoïé (c'est un nom que Tolstoï utilise souvent dans ses récits, c'est celui d'une propriété qui faisait partie des domaines paternels et a échu en héritage à sa soeur Marie, comme Iasnaïa Poliana lui est revenue à lui). La narratrice a alors 17 ans et l'arrivée de leur tuteur, Serge Mikhaïlovitch, un ami du père décédé depuis longtemps, change l'ennui en intérêt pour la vie. Le récit déroule ensuite les modificiations progressives qui adviennent dans son comportement, ses sentiments, et en particulier ses sentiments à l'égard de cet homme qui ne ressemble en rien à celui de ses rêves qui "était mince, décharné, pâle et mélancolique", un "prince charmant" parfaitement romantique dont Serge Mikhaïlovitch représente l'antithèse. C'est pourtant sous son regard qu'elle se transforme en jeune fille et découvre l'amour. La description très précise des changements qu'elle observe en elle aussi bien que l'aspiration à l'absolu, sur le plan religieux, comme sur le plan amoureux sont une des plus fines analyses de ce qui se passe dans l'esprit d'une adolescente pour laquelle l'amour est la porte ouvrant sur la totalité du monde. Cette exaltation se manifeste le mieux dans la promenade nocturne qu'ils font, où la nuit devient totalement enchantée pour elle: "Mais nous avancions, le mur enchanté de la beauté s'écartait et nous laissait passer." (I, 3) C'est le temps de l'accord parfait où les mots sont inutiles. Et comme il est logique, cela se termine par un mariage, malgré les inquiétudes du fiancé qui voit dans leur différence d'âge (il a 36 ans) un facteur de déséquilibre. |
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Pavel Fedotov (1815-1852), La demande en mariage, 1848. |
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Le mariage est pour Maria un moment dénué de véritable émotion : "[...]
je fus surprise et effrayée à l'idée que tout était déjà fini et qu'il
ne s'était rien passé d'extraordinaire dans mon âme, pour accompagner
le mystère qui venait de s'accomplir pour moi." (I, V), mais il débouche sur
un
sentiment trouble de "peur" lorsqu'elle se retrouve seule, dans la
voiture, avec son mari, en route vers sa nouvelle demeure et sa nouvelle vie. La seconde partie ( chapitres VI à IX) suit les péripéties de la transformation d'une adolescente en femme. Après les premiers mois de "lune de miel", la jeune femme s'ennuie à la campagne, et malgré les réticences de l'époux, le couple part s'installer à Saint Petersbourg. La jeune femme découvre avec ravissement les bals, l'agitation de la capitale, le plaisir d'être admirée, jusqu'à ce que la "fusion" du couple amoureux s'épuise dans l'évidence de leurs différences. Trois années s'écoulent d'une vie habituelle dans l'aristocratie russe, les hivers en ville et les étés à la campagne, "La troisième année nous partîmes à l'étranger". Ils vont séjourner à Baden, ville thermale allemande célèbre à l'époque et destination privilégiée des riches familles russes. Autre univers, autres plaisirs, Maria Alexandrovna découvre le plaisir d'être courtisée par d'autres hommes que son mari. La situation pourrait devenir scabreuse, mais ne le devient pas, car les mots dits par celui qui la courtise produisent l'inverse de ce qu'il espérait, un retour sur elle-même. Finalement, la narratrice conclut après de longues conversations avec son mari qu'une nouvelle sorte d'amour est le sien maintenant qui ouvre sur une "nouvelle vie heureuse, mais cette fois d'une toute autre façon, que je n'ai pas encore achevé de vivre à la minute présente..." (II, 9) Le récit, que la narratrice appelle "mon roman avec mon mari" (II, 9), se termine sur ces points de suspension qui laissent entendre au lecteur que d'autres transformations pourront se produire dans l'avenir, et que, probablement, la narratrice sera à même de les vivre et de les accepter, c'est-à-dire d'accepter la perte qu'ils impliquent aussi, en s'accordant au rythme de la vie menant l'être humain de l'enfance à l'adolescence puis à l'âge adulte, enfin à la vieillesse et à la mort. Ce cheminement est inclus dans cette remarque de Serge Mikhaïlovitch "Maintenant, il faut nous effacer et laisser la place à ceux-ci, dit-il en montrant la nourrice qui était descendue avec Vania [...]", comme il l'était dans le personnage de la belle-mère qui meurt peu de temps après leur mariage. |
Isaac Illitch Levitan (1860-1900), La Plantation de bouleaux, 1885-1889.
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J. Jacotte, Pont de la police sur la Moïka à Saint-Petersbourg, lithographie d'après Charlemagne, vers 1850. Derrière le pont, le palais Strogonov (architecte Rastrelli) à l'angle du canal de la Moïka et de la perspective Nievski. Musée de L'Ermitage. |
Un poème à méditer
Le qualificatif de "poème" que Tolstoï donne à son récit dans son
journal est tout à fait
justifié. Le récit est, en effet, en même temps qu'un hymne à la
jeunesse, à sa vitalité, à sa capacité de transformer le monde en
merveille, à son aptitude à contaminer tous ceux qu'elle choisit
d'entraîner dans sa ronde, ainsi de Serge Mikhaïlovitch qui, pour
quelques mois, oublie son âge pour vivre au rythme des rires et des
joies de Maria Alexandrovna, un hymne d'un lyrisme aussi éblouissant
qu'émouvant à la nature et à l'amour. Ce caractère explique que la
première partie soit légèrement plus longue et détaillée que la seconde. |
A lire : le texte est disponible en ligne sur la Bilbiothèque électronique du Québec, sous le titre de Katia, dans la traduction de Auguste Henri Blanc de la Nautte, publiée en 1878. |