Paul Eluard & Max Ernst
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En 1921,
Tzara et ses amis parisiens organisent une exposition à la librairie du
Sans Pareil (René Hilsum). Max Ernst, invité, ne peut venir car les
autorités allemandes lui refusent un passeport. Il envoie donc des
oeuvres, 52 aquarelles, dessins et collages. C'est un choc esthétique
profond dont Breton s'est fait l'écho. Eluard, comme ses amis, est
fasciné et n'ayant pu rencontrer Ernst pendant l'été 1921, au Tyrol, où
tout le monde s'était retrouvé, il lui rend visite fin octobre-début
novembre, chez lui, à Cologne. C'est le début d'une amitié que seule la
mort d'Eluard, en 1952, interrompra. Elle s'inaugure par une première
collaboration. Au cours de cette visite, Eluard choisit des dessins
qu'il utilisera comme illustrations pour le recueil Répétitions auquel il travaille. Qui est Max Ernst ? il est né le 2 avril 1891 (il a donc quatre ans de plus qu'Eluard) à Brühl, une petite ville entre Bonn et Cologne, en Allemagne. C'est avec son père, dont il écrira plus tard "Philippe Ernst, instituteur pour les sourds-muets par profession, peintre par vocation, père autoritaire [...] toujours de bonne humeur" (Souvenirs rhénans, 1956), qu'il commence à dessiner et peindre. Entre 1908 et 1914, il est à l'université de Bonn, commence des études de philosophie, d'histoire de l'art et s'initie à la psychiatrie. Il fait la connaissance de Auguste Macke et de Hans Arp. En 1913, il rencontre Apollinaire et Delaunay chez Macke. Il a sans doute rencontré les dadaïstes au cours d'une permission en 1916. Il se marie en 1918 avec Louise Strauss, leur fils, Ulrich, surnommé Jimmy, naît en 1920. C'est aussi après la Grande Guerre qu'il commence à apprendre le français. En 1919, il fonde avec Arp la "Centrale Dada W/3 (Ouest-Stupidia)" à Cologne, En 1922, il décide de s'installer à Paris (sans aucun papier, il n'a toujours pas de passeport, et pas davantage d'argent). Il habite alors avec Gala et Paul Eluard. La même année, quelques mois avant ce déménagement, les deux amis écrivent ensemble Les malheurs des immortels révélés par Paul Eluard et Max Ernst, série de textes écrits à quatre mains et accompagnés de collages de Max Ernst.
Ernst participe de l'aventure des sommeils et c'est aussi en 1922 qu'il peint Au rendez-vous des amis. Il termine le tableau en décembre. Tzara n'y paraît pas, mais les relations entre le groupe de Breton et Tzara se sont de plus en plus tendues, et le n° de septembre de Littérature n'a pas ménagé ce dernier. Ernst a introduit dans sa toile des amis "virtuels", si l'on peut dire, Dostoïevski qu'il a beaucoup lu et admire, De Chirico qui l'a beaucoup influencé, et même Raphaël (reconnaissable à son béret), peut-être parce qu'admiré de son père, il a présidé à ses débuts dans la peinture. En 1923, Ernst construit son premier livre de dessins, Histoire naturelle, résultat de ses frottages. D'autres suivront, qu'il s'agisse de collages ou de frottages. Il continue, en même temps, son oeuvre de peintre. Les relations du trio (Gala, Eluard, Ernst) ressemblent assez à celles de Jules et Jim dans le récit de Henri-Pierre Roché, publié en 1953, bien qu'ils n'en soient pas les inspirateurs. La liberté est une expérience difficile et peut-être ces difficultés relationnelles ont-elles une part dans la fuite d'Eluard, en mars 1924. Mais c'est Gala et Ernst qui vont, ensemble, le rejoindre en Asie et le ramener. En 1925, paraît une plaquette anonyme, Au défaut du silence, de 18 poèmes et 20 dessins en hommage à Gala, fruit d'une nouvelle collaboration des deux amis. Si l'amitié, voire l'amour (Ernst va se remarier, en 1927, avec Marie-Berthe Aurenche) sont au rendez-vous, la vie matérielle n'en reste pas moins difficile pour le peintre, et la reconnaissance lente à arriver. En 1939, traité, avec d'autres ressortissants allemands, comme espion potentiel, il est interné, à plusieurs reprises, dans des camps. Son premier internement prend fin grâce à l'intervention d'Eluard, mais la tranquillité ne dure pas. De nouveau arrêté et confiné au camp des "Milles", il s'évade et finit par partir aux USA via le Portugal. Il revient à Paris en 1953, mais Eluard est, lui, mort en 1952. Ils ne se seront pas revus. Ernst passe le reste de sa vie en France. Il obtient la nationalité française en 1958 et s'éteint en 1976. En 1946, alors que Max Ernst est aux USA, Eluard reprend un album de quarante dessins du peintre, datant de 1931, année où l'idée leur était venue d'une nouvelle collaboration et leur adjoint "huit poèmes visibles", dont il explique qu'ils illustrent "aussi fidèlement que possible" le travail de son ami. Le recueil est publié en 1948 sous le titre A l'intérieur de la vue. Entre le poète et le peintre, la première identité est l'importance que chacun accorde au "voir". Dans ses Souvenirs rhénans, 1956, Max Ernst raconte : "Voir était ma préoccupation première. Mes yeux étaient avides non seulement du monde étonnant qui les assaillait du dehors, mais aussi de cet autre monde mystérieux et inquiétant qui jaillissait et s'épanouissait dans mes rêves." (p. 18, Max Ernst, Gaston Diehl, éd. Flammarion, 1973) Pour chacun d'eux, ouvrir les yeux n'est pas seulement un processus physique, mais un processus mental qui implique de se débarasser des "réflexes" imposés par la société, la culture. Dada était bien dans cette ligne, mais l'expérience des collages de Max Ernst dessille, en quelque sorte, le regard du poète et lui fournit un modèle de travail : fragmenter le réel, faire l'expérience de reconfigurer diversement ces fragments, et découvrir ce qui n'aurait pas été vu autrement. Et ce travail sur l'image va de pair avec le souci des mots. Pour Eluard, plus soucieux de construire une oeuvre que de détruire un monde, Max Ernst se présentait bien comme un modèle à admirer. |
Après moi le sommeil (Hommage à Paul Eluard), 1958, Huile sur toile, 130 x 89 cm, Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris |
Dans Cours naturel (qui fait peut-être écho au recueil de Max Ernst, Histoire naturelle, 1926),
publié en 1936, Le poète consacre sept poèmes regroupés sous le titre
"Paroles peintes" à des peintres. Le premier de ces poèmes est dédié à
Max Ernst, son titre, "Après moi le sommeil" est la devise choisie par
Eluard pour l'ex-libris que lui avait dessiné son ami :
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Histoire naturelle, 1926, "Eve la seule qui nous reste", frottage. |
Le 14 avril 1937, Eluard
consacre à Max Ernst un article publié dans Marianne intitulé "Au-delà
de la peinture" [le titre de l'article est emprunté à Max Ernst lui-même] qu'il reprend ensuite dans le
recueil Donner à voir, 1939 :
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A lire : un article du Figaro rendant compte de la rétrospective Ernst à la Fondation Beleyer (26 mai-8 septembre 2013) A découvrir : Une semaine de bonté, 1933, sur le site du Musée d'Orsay. Se documenter sur le camp des milles A écouter (mais en payant pour l'émission entière) : une interview de Max Ernst par Adam Saulnier pour "Edition spéciale", 18 avril 1964, sur le site de l'INA. |