Les Pensées, Blaise Pascal

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A propos de Pascal, ce site contient
: 1. Biographie de l'écrivain - 2. Un extrait des "Deux infinis" - 3. Extrait de la Préface de Port-Royal (le projet de Pascal tel que le rapporte Etienne Périer, son neveu) - 4. La rhétorique pascalienne - 5. Le lecteur dans les Pensées - 6. La biographie de Pascal par Chateaubriand dans Le Génie du Christianisme.





"Les papiers d'un mort"  (Michel Le Guern)



Histoire du "texte"

Lorsque Pascal s'éteint, le 19 août 1662, sa famille (sa soeur Gilberte, son mari et ses enfants, en particulier) sait, comme ses amis de Port-Royal qu'il travaillait, depuis 1655-56, à une Apologie de la religion chrétienne. En 1658, il en avait présenté le projet à Port-Royal des Champs, dans une conférence. On prit donc grand soin de tous les papiers qu'il laissait. On en prit même copie exacte en respectant l'état dans lequel ils se trouvaient, avant de tenter de leur donner une forme présentable en vue d'une édition. Ces copies de l'état des papiers de Pascal sont au nombre de deux : la première (reliée au XVIIIe siècle) comprend 61 cahiers et a pu servir d'instrument de travail aux premiers éditeurs des Pensées ; la seconde semble avoir appartenu à Gilberte. Les différences entre les deux copies concernent l'ordre de ce que Lafuma nomme "papiers non classés".
La première édition est mise en vente en 1670 sous le titre Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, qui ont été trouvées après sa mort parmi ses papiers, précédée d'une longue préface d'Etienne Périer, son neveu. En 1666, la famille et les amis avaient obtenu un privilège pour l'édition de Fragments et Pensées. Le projet était donc relativement ancien, mais le travail auquel se sont employés Arnauld, Nicole, le comte de Brienne, le duc de Roannez, Filleau de la Chaise, amis de Pascal, avait été long et compliqué. Leur préoccupation était de rendre intelligible un "texte" et pour cela, ils abandonnèrent l'idée de suivre l'ordre que Pascal avait donné à ses notes préparatoires et choisirent une présentation thématique à l'instar des recueils de maximes et sentences morales alors à la mode.
Jusqu'au XXe siècle, chaque nouvel éditeur va se heurter à ces questions de l'ordre et du désordre. Chaque éditeur va donner une solution interprétative visant une cohérence, le plus souvent en choisissant, comme les premiers, un fil thématique.  Le travail qui fera longtemps office d'édition de référence est celui de Léon Brunschwig ( avec Pierre Boutroux et Felix Gazier, Oeuvres complètes, Hachette, 1904-1914) qui suit toujours un classement thématique pour les Pensées. Mais vers le milieu du XXe siècle, on se penche sur les copies, et on s'interroge de nouveau sur l'ordre tel qu'il semble découler des classements de Pascal, appuyés sur l'existence d'une table des matières.
Lafuma en 1951 publie une édition respectueuse de la première copie en distinguant des papiers classés (que Pascal avait ordonnés en "liasses" titrées) et des papiers non classés.
Pascal, en effet, avait rassemblé des fragments divers (très brefs ou développés) en les attachant avec une ficelle : les liasses (le principe du classeur, en somme) et dont le premier était un titre ; ces liasses étant elles-mêmes ordonnées comme en portait témoignage une table des matières. Les "papiers classés" de Lafuma correspondent aux 27 liasses portant un titre ; les"papiers non classés" aux autres.
L'édition Le Guern (1977) suit la même copie que celle de Lafuma, mais en retenant aussi sur certains éléments de la seconde copie, alors que l'édition Sellier s'appuie sur la seconde copie.



chambre de Pascal

La chambre de Pascal à Port-Royal des Champs (ou ce à quoi elle devait ressembler).
Le "Christ aux bas étroits" est un crucifix utilisé par les Augustiniens peut-être pour rappeler que "la voie est étroite" (Saint-Mathieu) et qu'il y a peu d'élus.










Georges de La Tour
(Cliquez sur l'image pour accéder à une image plus grande)

Georges de La Tour (1593-1652),  Madeleine pénitente.
Représentée avec un miroir (symbole de vanité) et un crâne (rappel de la mortalité). La bougie (double), source de lumière matérielle (symbolisant la lumière spirituelle).

Le texte proposé à la réflexion (Liasses II à VIII)


Il pourrait, sorti de son contexte, prêter à confusion. Il convient donc de l'y réinscrire. Et d'abord ne pas perdre de vue la perspective démonstrative de Pascal. Il ne s'agit nullement d'une vision dépourvue d'arrière-pensée qui se bornerait à examiner la condition humaine telle qu'elle se donnerait à saisir via l'expérience quotidienne, le but de ce qui s'offre comme un constat est de "convaincre" un lecteur précis, un libertin, de l'impossibilité de rendre compte de la condition humaine. La dialectique pascalienne vise à lui faire perdre ses repères pour le conduire à accepter comme seule "raisonnable" la proposition qu'il lui fera ensuite :  la religion chrétienne, et elle seule, permet de rendre compte de la dualité de la nature humaine.
La première liasse contenant des fragments relatifs à l'ordre, à la progression de la réflexion aussi bien qu'aux choix littéraires les plus propices au projet (lettres ? dialogue ?) le dit nettement. Les liasses suivantes envisagent aussi les réponses que les philosophies, en particulier les philosophies stoïcienne et pyrrhonienne, tentent de donner et les disqualifient, dans la mesure où, aux yeux de Pascal, elles ne voient jamais qu'un aspect de la question et non ses angles multiples.
Le projet de Pascal est donc, comme le résume Albert Béguin (Pascal par lui-même) de conduire son lecteur au "désespoir [...] : désespoir de l'intelligence, résignation de qui constate que toutes choses lui demeurent impénétrables." afin de le mettre en situation d'appeler une solution, une réponse qui sera religieuse et chrétienne : "Misère de l'homme sans Dieu - Grandeur de l'homme avec Dieu".
Voilà pourquoi, il convient de lire ces liasses comme un moment dans un ensemble plus vaste, et en ne perdant jamais de vue "l'art de persuader" auquel Pascal a longuement réfléchi.
Les sept liasses  au programme, comme les autres, par ailleurs, contiennent des fragments de diverses sortes: des fragments relativement longs et que le texte de Pascal (dans les copies conformes) révèle extrêmement travaillés (par exemple "imagination", "Vanité, 41", ou "divertissement" "Divertissement 126 et 127"); des fragments relativement longs mais non corrigés qui apparaissent comme des notes, des réflexions personnelles, matériaux pour une élaboration ultérieure; des fragments très brefs qui peuvent être des citations, des résumés de lectures, ou des notes, du type "pense-bête", à ne pas oublier dans une réflexion à développer, par exemple "Vanité, 16, 17, 18" ou les notations se bornent à quelques mots, que l'on retrouve par ailleurs dans d'autres fragments, un peu plus développées : par exemple 17  en 83.
Ces liasses s'organisent dans le but de déstabiliser le lecteur, de le désorienter : la II, la III, et la IV disent par leurs titres mêmes, "Vanité", "Misère", "Ennui", le malheur de la condition humaine mais lorsque tout semble désespérant, la V et la VI, "Raisons des effets" et "Grandeur" viennent rappeler que le monde des hommes n'est pas si misérable, qu'il est même en lui de la grandeur : la capacité de penser ; la capacité, comme l'écrit Tony Gheeraert, "de construire un certain ordre". La liasse VII, "contrariétés", synthétisant les précédentes, souligne particulièrement  les contradictions dans lesquelles l'homme est empêtré, et contre lesquelles, il ne trouve que le  "Divertissement" (liasse VIII), faute  de pouvoir trouver la "raison" de ces contradictions - aucune philosophie ne le permet-, mais c'est une solution aléatoire et qui, par là même, ne peut suffire. Une fois les philosophies disqualifiées, tout est prêt pour que le lecteur s'ouvre à la seule solution : la religion chrétienne et à l'attente de Dieu.




A lire : le cours de Tony Gheeraert.
A consulter : le séminaire sur Les Pensées sur le site du Centre International Blaise Pascal.


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