Les Précieuses ridicules, Molière, première représentation, 18 novembre 1659, "sur le Théâtre du Petit-Bourbon".

coquillage



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: 1. Une biographie de Molière - 2. Une présentation des Fourberies de Scapin - 3. Une présentation de L'Avare - 4. Une présentation du Tartuffe -





Pièce en un acte (donc d'une durée limitée, entre 25 et 30mn), Les Précieuses ridicules était destinée à un "lever de rideau", c'est-à-dire à précèder une pièce plus longue, ou à compléter un spectacle, comme ce fut le cas lors de sa première représentation, où elle faisait suite à Cinna de Corneille.
La pièce semble gardée en réserve, puisqu'elle n'est rejouée que le 30 novembre. Le succès qu'elle a obtenu, à la  première comme à la seconde représentation, incite Molière à s'en servir pour étoffer un spectacle jugé un peu faible par le directeur de troupe. La pièce sera jouée 44 fois dans l'année 1660, ce qui est une sorte de record.

Une farce

Il s'agit d'une  farce. D'abord, parce qu'elle repose sur un comique de situation : les deux précieuses sont bernées par deux faux "beaux esprits" qui sont les valets des gentilshommes qu'elles ont éconduits ; ensuite parce que ces personnages sont des types sans aucune profondeur, simples porte-paroles de fonctions : Gorgibus, en père vieux jeu (sur tous les plans, depuis le costume jusqu'au discours sur le mariage) ; les valets en caricatures d'hommes à la mode ; les filles en caricatures de "précieuses". Qui dit caricature, dit excès. Chacun campera donc sur des positions sans qu'aucune nuance, aucune profondeur, comme ce sera le cas dans Les Femmes savantes (1672), ne viennent donner de réelles particularités à ces personnages.
Il n'y manque  pas même les coups de bâton (scène XIII), mais la pièce tout entière repose sur un comique de gestes (attitudes, mimiques) qui la rend tributaire des acteurs et de leur performance.
Molière a utilisé, pour renforcer ce caractère, le principe du redoublement : tous les personnages vont par couple se faisant écho : deux prétendants puisqu'il y a deux jeunes filles à marier,  et deux valets. Les discours des filles et des valets déguisés se font échos, si bien que la répétition des mêmes discours ne peut qu'engendrer le rire en soulignant leur caractère stéréotypé.


frontispice 1754

Frontispice et page de titre d'une édition de 1754
(Gravure de Laurent Cars d'après François Boucher)


Une satire

En janvier 1660, Molière fait imprimer la pièce pour les raisons qu'il explique dans sa préface : un libraire et un écrivain y avaient vu le moyen de gagner de l'argent, en publiant la pièce tout d'abord, puis en se lançant sur le sujet qui tendait sans doute à devenir une mode. Entre 1660 et 1661, un grand nombre d'ouvrages vont se publier dans le sillage de Molière pour se gausser de ce qu'on nomme, à sa suite, les "précieuses" et dont on ne s'était guère occupé avant cela.
Tallemant de Réaux (Historiettes, éd. pléiade, tome II, p. 894) qui était fort mauvaise langue (pourquoi il est souvent amusant) affirme que le modèle des deux "pecques" de Molière serait Melle de Rambouillet, fille de la marquise de la Chambre bleue, haut lieu de la préciosité quelques décennies auparavant, et Melle de Scudéry auteur de Clélie, de la carte du Tendre, dont les deux personnages féminins font grand cas, et qui réunit dans son salon le samedi, la fine fleur des érudits de son temps.
Peut-être est-ce le cas, mais il semble plus probable que Molière s'en prend à une mode et à ses excès, voire ses extravagances,  en particulier par ses tics langagiers, car si la préciosité n'existe plus, après avoir affiné la vie de Cour et par contrecoup civilisé la Ville, la pièce fait toujours rire de la vanité et des prétentions de ses personnages.



Personnages

La Grange, Du Croisy, amants rebutés (les personnages portent le nom des acteurs qui les jouent — leur place dans la didascalie initiale, comme leurs costumes, leur réaction dans la scène 1 : le sentiment d'avoir été atteints dans leur honneur les poussant à se venger, l'attitude respectueuse de Gorgibus à leur égard, les caractérisent comme appartenant à la noblesse) — Ces acteurs sont entrés récemment dans la troupe, et outre les fonctions de régisseur que La Grange va assumer, ils jouent les jeunes premiers.
Gorgibus, bon bourgeois (l'adjectif "bon" caractérise la richesse de Gorgibus — le nom est, à plusieurs reprises, utilisé par Molière)
Magdelon, fille de Gorgibus (le rôle était joué par Madeleine Béjart), et Cathos, nièce de Gorgibus, précieuses ridicules
Marotte, servante des précieuses ridicules (nom plaisant, puisque c'est le mot qui désigne le bâton à tête féminine ornée de clochettes, attribut des fous et des bouffons)
Almanzor, laquais des précieuses ridicules (le nom de ce laquais est emprunté à l'univers romanesque, il témoigne du goût de ces dernières pour l'univers de la fiction comme les noms qu'elles se choisissent pour elles-mêmes: Aminte et Polixène, tous deux empruntés aussi au monde romanesque)
Le marquis de Mascarille, (Molière a déjà utilisé ce nom de valet dans L'Etourdi, 1654, dans Le dépit amoureux, 1658, il jouait lui-même le rôle) valet de La Grange. Molière a emprunté ce nom à la comédie italienne (Maschera : le masque par excellence) et jouait le personnage avec un masque.






Dans La Muse historique (1650-1665), recueil de lettres en vers adressées à Melle de Longueville par Jean Loret (1600-1665) qui y commente l'actualité, il rapporte ainsi la première représentation des Précieuses ridicules (Lettre XLVIII, samedi 6 décembre 1659)

Cette troupe de Comédiens,
Que Monsieur* avoue être siens,
Représentant sur leur Théâtre
Une action assez folâtre.
Autrement, un Sujet plaisant,
À rire sans cesse induisant
Par des choses facétieuses,
Intitulé Les Précieuses ;
Ont été si fort visités
Par Gens de toutes qualités,
Qu’on n’en vit jamais tant ensemble
Que ces jours passés, ce me semble,
Dans l’Hôtel du Petit-Bourbon,
Pour ce Sujet mauvais, ou bon.
Ce n’est qu’un Sujet Chimérique,
Mais si bouffon et si comique,
Que jamais les Pièces Du Ryer,
Qui fut si digne du laurier ;
Jamais l’Œdipe de Corneille,
Que l’on tient être une merveille ;
La Cassandre de Boisrobert ;
Le Néron de Monsieur Gilbert,

décor de la pièce, 1971

Maquette du décor des Précieuses ridicules, imaginé par Christine Laurent, en 1971, pour une mise en scène de Jean-Louis Thamin. Les éléments en ont été repris de la Carte du Tendre que Melle de Scudéry avait insérée dans Clélie, et que Magdelon aussi bien que Cathos récitent. Au premier plan "petits soins", puis "billet galant' qui bordent la rivière Inclination : toute la scène IV développe cette confusion entre roman et réalité chez les deux protagonistes féminins.


Le vicomte de Jodelet, valet de Du Croisy (Jodelet était un acteur comique entré depuis peu dans la troupe qui jouait avec le visage enfariné)




Julien Bedeau né vers la fin du XVIe siècle, dit Jodelet, grande taille, barbe et moustaches noires au-dessus d'une bouche qui parle du nez. Scarron écrira pour lui plusieurs Jodelet, Jodelet maître, Jodelet souffleté, etc. Même le sieur d'Ouville, Antoine le Métel, frère de Boisrobert, composera un Jodelet astrologue...

M. et M. Chaillou, Petit guide pédestre de la littérature du XVIIe siècle, Hatier, 1990, p. 240




Deux porteurs de chaise

Voisines
Violons : joueurs de violons car la scène XII est un bal improvisé par les deux valets déguisés en hommes du monde.


Alcibiade, Amalasonte,
Dont la Cour a fait tant de conte ;
Ni le Fédéric de Boyer,
Digne d’un immortel loyer,
N’eurent une vogue si grande,
Tant la Pièce semble friande
À plusieurs, tant sages, que fous ;
Pour moi j’y portai trente sous :
Mais oyant leurs fines paroles
J’en ris pour plus de dix pistoles.


* Monsieur : titre du frère du roi, Philippe d'Orléans, protecteur de la Troupe avant qu'elle ne devienne celle du Roi.

mise en scène 2007


Les Précieuses ridicules (Magdelon, Cathos, et le bel esprit Mascarille) dans une mise en scène de Christian Schiaretti au TNP de Villeurbanne, 2007.




A écouter
: le cours de madame Simone, "L'art du comédien", pratiques de comédiens (scène IV de la pièce), diffusé par la Radio diffusion, le 13 novembre 1956.
A regarder
: un extrait d'une mise en scène malgache de la pièce.



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