Les
Ruines de Paris, Jacques Réda, 1977
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Jacques Réda ne ressemble à personne, sinon à l’idée qu’on pourrait se
faire d’un poète, si les poètes, comme Réda, n’oubliaient pas d’être
visiblement poètes, prenant les apparences d’un passant qui feint de
passer le temps.
Claude Roy, Le Nouvel Observateur, 8 août 1996.
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Jacques Réda, photographie d'auteur et d'origine inconnus. |
L'auteur :Jacques Réda est né le 24 janvier 1929, à Lunéville (nord-est de la France). Il s'installe à Paris au début des années cinquante, écrit, publie même un peu. A partir de 1963, il travaille pour Jazz Magazine. En 1968, il publie Amen, chez Gallimard. Ce recueil est, pour son auteur, celui qui marque son entrée dans la littérature bien que d'autres publications l'aient précédé dont Réda n'a jamais permis la réédition. Un peu plus tard, il entre au comité de lecture des Editions Gallimard (1983) et dirige la Nouvelle Revue Française (NRF) de 1987 à 1996. En 1997, l'Académie française rend hommage à son oeuvre en lui accordant son Grand prix de poésie. Comme pour tous les écrivains vivants, entendons les vrais, non les acteurs des spectacles permanents télévisuels ou médiatiques en tous genres, la trajectoire de l'homme est plus difficile à suivre que celle de l'écrivain qui navigue entre poésie, roman, critique musicale et littéraire. Poète promeneur, il erre avec bonheur dans les villes, dans les campagnes, dans les livres, dans le temps, dans le langage. Il fraie des chemins de mots qui ouvrent sur des éblouissements. Un de ses lecteurs attentifs, le Canadien Robert Melançon, racontant sa découverte accidentelle de Réda dans une librairie, dit avoir été saisi par trois vers de "Palais Royal" dans Amen :
Ces vers le surprenaient parce que c' "était à la fois limpide et tranquillement mystérieux, radicalement dépourvu de ce qu ['il] prenai[t] pour les marques obligées de la poésie." Tout lecteur de Réda fait d'emblée cette expérience : tout est simple chez Réda, mais chaque relecture fait naître des ondes concentriques ; d'une part, elles ne cessent de se propager, et d'autre part, elles sont toujours différentes, comme si le caillou du regard dans le lac du texte ne tombait jamais là où une lecture précédente nous préparait à le voir s'engouffrer. |
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Les Ruines de Paris est un recueil de poèmes en prose. La construction du recueilLes Ruines de Paris, comme tout recueil de poèmes obéit, pour sa construction, à plusieurs impératifs. Il est un ensemble, un parcours, obéissant à une certaine logique et à un projet "démonstratif" (même s'il faut de nombreuses pincettes pour attraper ce mot) qui le font échapper au simple rassemblement de textes contenus dans un florilège, ce dont témoigne l'enchaînement des titres "Le pied furtif de l'hérétique" "Sans bruit et presque sans paroles", "Dans le doux épaississement du gris", "On ne sait quoi d'introuvable", "Une petite porte bleue", "Aux environs", "La bénédiction de Saint-Serge", pour la première partie du recueil suggérant un parcours de l'ordre d'une quête du sacré, qu'il ne faut pas, malgré l'évocation de Saint-Serge, confondre avec la religion, et "Basse ambulante", "Arrêts, buffets, liaisons routières", pour la seconde partie, plus éclatée, semble-t-il, plus extensive ; mais il n'en reste pas moins collection de poèmes, c'est-à-dire de textes qui doivent être autonomes. C'est dire que le lecteur peut entrer dans un recueil poétique n'importe où, comme il veut, et que chaque texte doit lui donner, comme en un miroir de sorcière, une vision de l'ensemble. Réda, pour sa part n'y manque pas, puisque dans une lecture publique ("Université de tous les savoirs", novembre 2003) il lit d'abord « plus lugubrement amnésiques ...», 13e et dernier poème de « Dans le doux épaississement du gris » avant d'enchaîner sur « Il porte un pantalon bleu... », l2e poème de « Sans bruit et presque sans paroles ». Le second précédant le premier dans le recueil.L'ensemble des poèmes qui composent le recueil résulte de trois années de travail (selon l'aveu de leur auteur) et se distribue en deux parties fort déséquilibrées. La première contient sept sous-parties, alors que la deuxième n'en a que deux. Peut-être est-il loisible d'accorder à ces chiffres un caractère symbolique, le chiffre sept, dans notre civilisation, connotant d'abord la semaine et s'inscrivant dans l'imaginaire religieux chrétien de la création du monde ; quant au deux, rythme de la respiration, du jour et de la nuit, il est peut-être le battement de coeur de cette création. Tout ceci hypothétique. Les différences sont aussi dans leur construction. La première partie s'ouvre sur un poème d'un seul tenant, en prose, et se clôt sur un poème en vers libres, lui aussi d'un seul tenant, dédié à une femme « Pour Nicole ». Le premier évoque une traversée des jardins longeant les Champs Elysées et une envolée vers le ciel, avant un retour vers le concret de la maison et de la nourriture. Le dernier évoque une église orthodoxe et se termine sur une étoile qui monte du fond du canal de l'Ourcq. Entre ces deux poèmes se distribuent des blocs de textes réunis sous un titre : 16 pour le premier, 13 pour le second, puis un poème d'un seul tenant pour le 3e, 12 pour le 5e, et 10 pour le 6e. Ce qui donne une organisation rythmée puisque le 1, le 4 et le 7 sont des poèmes d'un seul tenant, chacun de ces moments étant séparé par deux groupes de poèmes multipliés sous le même titre. La 2e partie distribue, elle, 11 poèmes puis 12, dans chacune de ses sections. Alors que la première partie se construirait sur une déperdition (16 - 13 - 12 - 10), la deuxième reprendrait un léger élan, allant, bien que le 12e poème se place sous le signe du dieu qui anéantit (Apollon). Que peut anéantir le dieu sinon "l'hérétique" du premier poème ? Mais en même temps, alors que dans le premier poème du recueil, le "je" poète aspirait à s'engloutir dans le spectacle, mais ne faisait que trébucher, dans le dernier, il se confond avec les bruits, avec le lit de la Loire "sables et diamants", tout ce qui ne peut être anéanti. Absorption par le monde qui n'est peut-être que temporaire (ce que souligne sans doute la parenthèse) mais qui clôt le recueil sur une plénitude. Cet écho entre le dernier poème et le premier assurant, dans tous les cas, la construction de l'ensemble qui est tout à la fois erratique et progressif. Chaque poème engage une marche dans Paris, ou ses environs (lesquels peuvent s'étendre de la banlieue à la province, voire à d'autres territoires) que semble guider le hasard. Mais en même temps, chacun des textes constitue une pièce d'un puzzle qui dessine la ville dans son évanescente essence. Paris prend corps dans les mots qui constituent des réseaux comme les parcours semblent les navettes d'un tisserand appliqué à ourdir une toile en jacquard. En même temps que les poèmes inventent la ville, le monde où vivent les hommes, raison pour laquelle la ville est aussi tous les temps et tous les espaces, ils inventent aussi le poète à sa mesure, à la mesure de la ville autant qu'à sa propre mesure. |
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A découvrir : aux éditions Verdier, des extraits de textes de Réda, des jugements critiques. A lire : un article de Marie Joqueviel-Bourjea sur lyrisme et ironie dans l'oeuvre de Réda. un beau texte amusant de Henri Droguet, très évocateur du poète.
A voir et écouter : une
conférence de Jacques Réda à l'Université de tous les savoirs, 2003. |