4 juillet 1900 : Robert Desnos

coquillage



"Vous avez le bonjour,
Le bonjour de Robert Desnos, de Robert le Diable, de Robert Macaire, de Robert Houdin, de Robert Robert, de Robert mon oncle,
Et chantez avec moi, tous en choeur, allons, la petite dame à droite,
Le monsieur barbu à gauche,
Un, deux, trois :
Vous avez le bonjour,
Le bonjour de Robert Desnos, de Robert le Diable, de Robert Macaire, de Robert Houdin, de Robert Robert, de Robert mon oncle"...
J'en passe et des meilleurs.

Les Sans cou, "Aux sans cou", 1934






Robert Desnos, 1922

Robert Desnos, photographie de Man Ray, 1922, au cours d'une séance de sommeil hypnotique.

Une jeunesse parisienne

C'est à Paris qu'il naît, qu'il grandira, qu'il vivra. Fils d'un mandataire aux Halles, dont il est le deuxième enfant (il a une soeur aînée, Lucienne), il passe son enfance dans ce quartier, entre les halles et l'église Saint-Merri. Quartier populaire que dominent encore les halles de Baltard (elles seront démolies en 1971) avec l'animation dépeinte si vivement par Zola dans Le Ventre de Paris : bruits, couleurs, odeurs. Dans un livre consacré à l'un de ses illustratreurs, Félix Labisse, publié en 1945, il rappelle avec plaisir ce monde de bruits et d'images de tous ordres, comme le fait encore la dernière note dans son Journal, le 21 février 1944, à la veille de son arrestation : "Les éplucheuses de queues de cerises. Muraour et l'odeur des orangers. La carderie. La construction des nouveaux magasins du Bazar de l'Hôtel de Ville. Le mendiant à l'angle de la rue Saint-Bon. La crèmerie Mauguin rue Saint-Martin. La petite fille de la rue des Juges-Consuls."
Et nombre de ses poèmes seront des "instantanés" de la "ville capitale", comme dit Queneau.
Il quitte l'école à 16 ans puis, refusant de faire des études commerciales selon le voeu paternel, gagne sa vie à coup de "petits boulots" et publie, en 1918 ses premiers textes dans La Tribune des Jeunes, une revue que patronne Henri Barbusse, de tendance socialiste.
En 1919, il devient secrétaire d'un journaliste écrivain, Jean de Bonnefon, ce qui lui ouvre les portes du journalisme, et il publie dans diverses revues. Il fréquente les milieux anarchistes, a pour amis Armand Salacrou et Henri Jeanson, découvre Dada, en 1919, et fait la connaissance de Benjamin Péret. Bien des années après, Salacrou se souvient.






Je l'ai connu au quartier latin quand je faisais ma première année de médecine. Il était déjà ce qu'il a été toute sa vie, un garçon adorable, d'une extraordinaire bonté, d'un dévouement pour ses amis que je n'ai retrouvé chez aucune autre personne vivante. Et, on se voyait très souvent, c'était le moment où Dada... les mouvements dada commençaient à sortir. Nous ne savions pas très bien, ni lui, ni moi, ce que ça représentait, mais ça nous amusait de courir dans les rues du Quartier en réveillant les concierges, en jetant les poubelles dans les couloirs et en criant « dada, dada ».
Armand Salacrou, témoignage radiophonique, cité dans Concordance des temps, France-Culture, 29/11/2008.



Un surréaliste libertaire

Pris par le service militaire (1920-21), il ne participe cependant pas à l'aventure parisienne de Dada, à son retour le surréalisme est déjà en passe de se déclarer.
Desnos lit avec passion, tout autant ce qu'il est convenu d'appeler la "grande littérature" que les histoires en images (première version des bandes dessinées) ou les romans populaires, Les Pieds Nickelés comme Fantomas. En 1922, son service militaire terminé, il revient à Paris et rejoint le groupe de Littérature. Lui qui note ses rêves depuis longtemps (il a commencé en 1918)  les partage volontiers et  devient un des sujets privilégiés des séances de sommeils hypnotiques. Il s'empare du personnage de Marcel Duchamp, Rrose Sélavy, et dicte des aphorismes supposés résulter d'une communication télépathique avec Duchamp, mais qui sont surtout des jeux avec le langage et des interrogations sur le désir : "Les lois de nos désirs sont des dés sans loisir" (Littérature, nouvelle série, n° 7, décembre 1922, à voir sur le site melusine-surrealisme.fr). Ces activités se prolongent jusqu'en 1925.




[...] Robert Desnos, celui d'entre nous qui, peut-être, s'est le plus rapproché de la vérité surréaliste [...]. Aujourd'hui, Desnos parle surréaliste à volonté. La prodigieuse agileté qu'il met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu'il nous plaît de discours splendides et qui se perdent, Desnos ayant mieux à faire qu'à les fixer. Il lit en lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s'envolent au vent de sa vie.
André Breton, Premier Manifeste du surréalisme, 1924




Pendant ces années-là aussi, entre 1919 et 1925, Desnos a publié un peu, Prospectus (dans Paris-Journal), Deuil pour deuil (1924, éd. du Sagittaire), écrit beaucoup, "Le Fard des argonautes", "L'ode à Coco" (1919), "L'aumonyme", "Langage cuit" (1923). Ces textes seront, plus tard, rassemblés dans Corps et biens, publié en 1930.
Parallèlement, Desnos poursuit ses activités journalistiques, en particulier en rédigeant des chroniques (il déteste le mot "critique") sur le cinéma pour divers journaux. Il est, de tous ses camarades, celui qui s'intéresse le plus à ces nouveaux moyens de création que sont le cinéma et la radio. On ne s'étonnera pas de retrouver dans ses goûts cinématographiques les mêmes tendances que dans sa poésie: le burlesque, l'onirisme de l'expressionisme, et l'érotisme. Ces écrits sont rassemblés sous le titre Les Rayons et les ombres, emprunté à Hugo. Il rédige aussi une histoire de l'érotisme, sous le titre De l'érotisme considéré dans ses manifestations écrites et du point de vue de l'esprit moderne, pour le collectionneur Jacques Doucet,  auquel il vend aussi le manuscrit des Nouvelles Hébrides (1922).
Entre 1925 et 1930, le journalisme, le cinéma, la passion sans retour pour la chanteuse Yvonne George, l'étoile dans sa mythologie personnelle, l'occupent tout entier. Ses liens avec le groupe le plus proche de Breton se distendent quelque peu. La rupture intervient vraiment en 1930, mais dès l'adhésion de Breton, Baron, Eluard, Aragon, Unik et Péret au Parti Communiste en 1927, les relations s'étaient envenimées, Desnos trouvant incompatibles l'engagement dans un Parti et son sens de la liberté. En mars-avril 1928, il séjourne à Cuba, et en rapporte, fasciné, une passion nouvelle pour l'Amérique latine et surtout pour ses musiques, sans compter de nouveaux amis dont Alejo Carpentier.  Il ajoutera ainsi à ses chroniques cinématographiques des chroniques musicales, rassemblées elles aussi sous un titre hugolien, Les Voix intérieures. C'est la même année 1928 que Man Ray met en images un de ses poèmes, "Qu'elle est belle" sous le titre L'Etoile de mer.



En 1930, après avoir signé "Un cadavre" et assumé ainsi sa rupture avec Breton, il revendique, dans Le Troisième manifeste du surréalisme, son droit à être surréaliste hors de toute contrainte : "Moi qui ait quelques droits à parler du surréalisme, je le déclare ici, le surréel n'existe que pour les non-surréalistes. Pour les surréalistes, il n'y a qu'une réalité unique, entière, ouverte à tous."
Cette année-là aussi Youki Fujita, connue deux ans plus tôt, devient sa compagne, elle le restera jusqu'à la fin. En 1932, il écrit pour elle Le Livre secret qu'il illustre de gouaches, et Les nuits blanches où alternent les récits de rêves de Youki et ses propres compositions poétiques. Il rédige aussi deux livres de poèmes pour les enfants de ses amis Paul et Lise Deharme : Le Parterre d'Hyacinthe et La Ménagerie de Tristan. Plus tard, il récidivera pour le fils des Milhaud, Daniel, avec La Géométrie de Daniel (1939) et dans la même veine Trente chantefables pour les enfants sages, en 1944. En 1952, Les Chantefleurs seront ajoutées par l'éditeur aux précédentes et donneront le titre du recueil, tel qu'il se rencontre en librairie, en 2013, Chantefables et chantefleurs.
Entre sa poésie pour les adultes et sa poésie pour les enfants, la différence n'est pas si grande, mêmes jeux avec les mots, même fantaisie, même humour, même légèreté grave.




Le livre secret pour Youki

Une page du Livre secret pour Youki, rédigé et illustré de gouaches, sur un cahier japonais (qui se déplie comme un accordéon). Sous la rose, le livre ouvert porte écrit "J'aime Youki"

transcription du poème

La ville jadis la ville naguère la ville passée
Ô ciel noir comme une veuve
neige étoile tour comète remparts
à Villeneuve et à Chaville
à Deauville et à Trouville
à Tancarville à la Vieuville
La ville jadis la ville naguère la ville passée
Un incendie surgit d'un toit comme un pigeon
et la rose de minuit éclate au ciel
à Villeneuve et à Chaville
à Villevieille à Ville l'Evêque
à Melleville à Villeville
que la rose s'effeuille



Le livre survivra
La ville jadis la ville naguère la ville passée
Le ciel de la rose à minuit
Et le livre ouvert à la page où l'amour
retentit comme un univers de porcelaine
s'écroulant d'abîmes en abîmes
avec l'étincellement des constellations
la blancheur de la neige
et les parfums des grands parterres à l'heure
où ta main viendra cueillir les roses.


L'homme de radio

En 1933, la vie matérielle difficile du couple s'améliore lorsque Desnos va travailler pour la radio. Il réalise d'abord (avec Paul Deharme et Alejo Carpentier) La Grande complainte de Fantomas, sur une musique de Kurt Weil, en douze tableaux, 25 couplets et un final pour une centaine d'interprètes ; puis il devient rédacteur publicitaire dans l'entreprise créée par Deharme, Information et publicité, où grâce aussi à Salacrou, son vieil ami, il est chargé des réclames pharmaceutiques. Jusqu'en 1939, il anime diverses émissions, dont "Le Salut au monde" (l'émission du 4 juillet 1936 était consacrée au poème de Whitman qui donne son titre à l'émission) et "la clé des songes" en 1938-39, dont le principe était de mettre en ondes les rêves des auditeurs.
Ces années, extrêmement créatives, ne donnent pourtant que peu de textes édités. Le temps manque à Desnos qui, outre ses activités radiophoniques, se fait parolier (pour Fréhel, Margot Lion ou Marianne Oswald), écrit des cantates que met en musique Milhaud, imagine des opéras, rédige des scenarii.




Desnos va devenir selon sa propre expression le poète le plus célèbre de France pas simplement à cause de la publicité, mais parce que justement, il va y avoir une continuité dans ses activités à la radio. C'est-à-dire qu'il va faire à la fois des messages publicitaires, des ritournelles, etc. ; il va faire aussi un certain nombre d'émissions littéraires, il va créer des fictions radiophoniques, il va intervenir sur les ondes et finalement il va devenir ainsi un poète très célèbre, ce qui était relativement rare et qui l'est toujours. 
Cécile Méadel, Histoire de la radio des années trente, à Concordance des temps, France-Culture, 21/11/2008




Le résistant

En septembre 1939, Desnos est mobilisé. En août 1940, il rentre à Paris et va travailler à Aujourd'hui, journal que vient de fonder Jeanson. La parole y devient de moins en moins libre, mais le peu de tâches qui lui incombent lui laissent enfin le temps d'écrire. En 1942, il rejoint le réseau "Agir". Lui qui, depuis les années 1930, a ressenti vivement la montée et les menaces du fascisme, qui déjà s'était engagé dans la défense des libertés, participe activement à la Résistance, d'une part en transmettant les informations que son travail à Aujourd'hui lui permet de connaître et, d'autre part, en écrivant pour les publications clandestines. Le résistant n'en reste pas moins poète et continue son exploration des forces vives du langage. Il écrit ainsi une série de sonnets en argot, vilipendant le régime de Vichy. Ils seront publiés sous le pseudonyme de Cancale, dans la revue Message, quelques mois après sa déportation.
En 1942, paraît Fortunes qui rassemble les oeuvres écrites entre 1930 et 1937, puis c'est Etat de veille, en 1943. La même année paraît un roman, Le Vin est tiré.
Il est arrêté le 22 février 1944, déporté à Auschwitz, et après un parcours compliqué, interné au camp de Floha pour travailler dans une fabrique de carlingues d'avions Messerschmitt. Le 14 avril 1945, les prisonniers sont évacués sur le camp de Terezin (Tchécoslovaquie) où Desnos meurt du typhus le 8 juin 1945.
Dans la dernière lettre que reçoit Youki, Desnos écrivait : "Pour le reste, je trouve un abri dans la poésie. Elle est réellement «le chemin qui court au-dessus des montagnes» dont parle Rrose Sélavy dans un de ses poèmes et qui pour moi se justifie mot pour mot."



Lire Desnos

Le poète avait peu de foi dans la survie de son oeuvre. Il confiait à son Journal, le 8 février 1944 : "Ce que j'écris ici ou ailleurs n'intéressera sans doute dans l'avenir que quelques curieux espacés au long des années. Tous les 25 ou 30 ans on exhumera dans les publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes. Les poèmes pour enfants auront survécu un peu plus longtemps que le reste. J'appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée."
Son oeuvre est pourtant de celles que l'on n'a pas envie d'oublier.
Dans les brefs textes rassemblés sous le titre "Réflexions sur la poésie" (janvier 1944), Desnos se donne comme références Nerval, Villon, Gongora et "le grand Baffo" et ajoute "Unir le langage populaire, le plus populaire, à une atmosphère inexprimable, à une imagerie aiguë ; annexer des domaines qui, même de nos jours, paraissent incompatibles avec le satané 'langage noble' qui renaît sans cesse des langues arrachées du cerbère galeux qui défend l'entrée du domaine poétique, voilà qui me paraît besogne souhaitable sans oublier, je le répète, certains motifs impérieux d'inspiration actuelle."
Il note aussi : "Il me semble qu'au-delà du surréalisme il y a quelque chose de très mystérieux à réduire, au-delà de l'automatisme, il y a le délibéré, au-delà de la poésie il y a le poème, au-delà de la poésie subie il y a la poésie imposée, au-delà de la poésie libre il y a le poète libre."
Lire Desnos, c'est d'abord rencontrer cette liberté. Liberté des mots, libertés des tons, liberté des sujets, liberté des vers qui souvent se déguisent en proses, qui se disloquent, mais aussi renouent, à l'occasion, avec les rythmes les plus traditionnels. Desnos est un poète sans à priori.
C'est ensuite faire l'expérience de la puissance sonore de la poésie. Plus que d'autres, les poèmes de Desnos exigent l'oralisation. Le lecteur ressent alors la jubilation du poète qui, comme les dompteurs de cirque, avec les puces ou les lions, invente des acrobaties lexicales, étonne, surprend, amuse, inquiète, émeut aussi. Avec Desnos, le langage en voit de toutes les couleurs, mais c'est pour mieux nous émerveiller au détour d'une rue comme au détour d'un vers. Il joue avec les sonorités, avec les formules, avec les proverbes, ne se prive ni du calembour, ni de l'argot, ni des "gros mots" — comme disent les enfants —
Poésie boulimique qui absorbe la totalité du monde comme le rappelle le premier poème du dossier "Sens" (dont les textes sont publiés dans Europe en 1972), justement intitulé "Art poétique" qui rassemble la violence et les déchets, la beauté du paysage et la tendresse pour se clore sur ces vers :
Restent l'écume et la boue
Et la joie de vivre
Et une main dans la mienne
Et la joie de vivre
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître.





autoportrait

autoportrait


Desnos chante la ville, Paris, mais une ville où transparaît continûment un souffle de grand air, la mer, les arbres, les plantes de toutes sortes, aussi bien que les animaux. Il chante aussi l'amour et le désir, la douleur qui en dessine toujours les profondeurs, ainsi dans "Si belles soyez-vous" (Destinée arbiraire) . Il chante encore et toujours la beauté de la femme aimée, la beauté qui transcende le temps et l'âge, par exemple dans "La belle que voilà", surprenante et merveilleuse variation sur le "Quand vous serez bien vieille..." de Ronsard.
Le regard du poète sur le monde est celui-là même que prônaient tant les surréalistes : il débusque la merveille dans le plus banal et le plus quotidien. Il n'en finit pas de réenchanter le réel avec toutes les puissances du rêve et de la nuit.




A écouter : un des récits de rêve mis en onde et dit par Desnos, 1938.
des poèmes de Desnos :  "Les quatre sans cou" dit par Jean-Louis Trintignant- "jamais d'autre que toi", dit par Serge Reggiani - "Une fourmi" chanté par Juliette Gréco (musique de Joseph Kosma)
le très émouvant poème d'Aragon "Robert le diable" mis en musique et chanté par Jean Ferrat
A regarder : L'Etoile de mer, poème mis en images par Man Ray, 1928.
un petit film biographique de Fabrice Maze construit à partir de documents.
A découvrir : quatre poèmes des temps de guerre sur le site du CNDP, "Le veilleur du Pont-au-Change", "Couplets de la rue Saint-Martin", "Ce coeur qui haïssait la guerre" et "Demain".
Pour en savoir plus sur les Halles : une conférence de Bertrand Lemoine, le 30 octobre 2012.



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