24 janvier 1776 : Ernst Theodor Amadeus Hoffmann

coquillage


C'est la fontaine de jouvence de l'imagination.
Charles Nodier, Du fantastique en littérature, Revue de Paris, 1er janvier 1830.








Hoffmann

E.T.A. Hoffmann, auteur inconnu, (longtemps attribué à Hoffmann lui-même), huile sur bois, vers 1820.

Ernst Theodor Amadeus Hoffmann qui, en réalité, naît E. T. Wilhelm Hoffmann, le  24 janvier 1776, à Königsberg (Prusse ; aujourd'hui Kaliningrad, Russie) est un écrivain allemand qui va jouer un rôle essentiel dans la première moitié du XIXHoffmann s'en sert pour construire son personnage exemplaire de l'Artiste aux prises avec les exigences et les tentations de la vie terrestre. Ce mythe, seule réponse, pour Hoffmann, aux questions que pose l'incompréhensible, l'absurde condition humaine, tout enchevêtrée de mystérieuses complications, est l'unique sujet de toutes ses œuvres réussies. Car son effort majeur, à l'inverse de la plupart des romantiques allemands, tend toujours à s'accom- moder du réel, à y imposer la présence de l'individu exceptionnel, plutôt qu'à s'en échapper par une évasion dans l'imaginairesiècle en devenant le "modèle", si l'on peut dire, de l'écrivain romantique et lister les romanciers et poètes français qui ont subi son influence revient à les citer tous, de Nodier à Baudelaire, sans oublier Gautier qui lui doit tant. Il a de même joué un rôle essentiel chez les écrivains russes, jusqu'au XXe siècle où un Mikhaïl Boulgakov lui doit encore beaucoup.
     Les premières traductions, en France, apparaissent dès 1823 (un an après sa mort, donc) mais c'est l'entreprise de François-Adolphe Loève-Veimars, commencée en 1828 et terminée en 1833 qui va lancer Hoffmann comme une mode, faisant de lui dans sa très brève préface un "artiste maudit", ne concluait-il pas par ces mots : il appartient à ce groupe d'écrivains "dont la route a été marquée à travers toutes les afflictions humaines, et dont un fatal destin a nourri l’imagination par des maux inouïs et par une éternelle misère", ce que le texte liminaire signé Walter Scott ne dément pas, bien au contraire.
Hoffmann est exemplaire de la confusion (qu'il a sans doute mis lui-même en place dans ses oeuvres) entre oeuvre et auteur ; un écrivain explorant les abîmes de l'esprit humain, dans ses zones d'ombre, ne peut être qu'un fou et sa biographie va le prouver, du moins pendant quelques années.

Qui est donc Ernst Theodor Amadeus Hoffmann ?

    C'est le fils d'un avocat de Königsberg, troisième enfant de la famille. C'est une famille désunie et, deux ans après sa naissance, le père disparaît de sa vie en emmenant son frère aîné, Johann, né en 1768. Il est élevé dans la famille de sa mère qui meurt en 1796, le père meurt l'année suivante, toujours sans avoir revu son fils.
N'oublions pas non plus qu'il s'agit d'une famille allemande en terre d'occupation, en réalité. La Pologne, où il va passer la plus grande partie de sa jeunesse, est un territoirepartagé entre la Prusse, l'Autriche et la Russie.
Soumis à la tutelle de sa grand mère, d'une tante Sophie et surtout d'un oncle qu'il surnomme "oncle catastrophe" ("Onkel Oh Weh!", jeu de mot homophonique entre les initiales du prénom et le mot allemand pour "souffrance", "douleur" ), il fait des études classiques et entre en 1792 à l'université pour y étudier le droit ce qui ne le passionne guère. En revanche, sa correspondance est remplie de ses lectures. La musique est aussi de longtemps sa grande passion et il dessine avec talent.
Ses biographes s'accordent pour voir dans ces multiples talents un amateurisme certain. Il ne s'est formé à aucune techniques, pas davantage celle de la  composition musicale, que celle de la peinture, et il est fort ignorant alors des transformations du monde littéraire qui sont en train de s'opérer en Allemagne. En tous cas, il semble hésiter longtemps entre les diverses voies qui s'offrent à lui.



Une vie de juriste (1796-1806)

     La famille, toujours présente, se soucie de lui et avant même d'avoir achevé ses études, en 1795, il est engagé comme clerc par un grand oncle notaire. Puis, diplôme en poche, il est envoyé chez un oncle maternel, Johann Ludwig Doerffer (1743-1803), lui aussi magistrat, à Glogau (en Silésie, au sud-ouest de la Pologne), avec lequel il travaillera deux ans comme auditeur. Ce séjour est surtout l'occasion de fréquenter les artistes locaux. Il fait la cour à sa cousine Mina et quand son père et elle partent à Berlin, il demande et obtient son transfert. En 1798, il est à Berlin, toujours juriste mais aussi plus que jamais artiste, il peint, dessine, compose.
En 1800, devenu assesseur, il est nommé à Posen (Poznan, Pologne). Il va y faire les 400 coups et se mettre à dos la bourgeoisie de la ville, ses supérieurs comme ses collègues qu'il caricature à plaisir (Albert Béguin écrit de lui qu' "il avait le don de se rendre insupportable") et sa famille par la même occasion quand il rompt ses fiançailles avec Mina, en 1801.
     En 1802, il est nommé à Plock, ce qui est une manière de sanction, une petite ville où il se rend avec celle qu'il a épousé le 26 juillet 1802, Maria Thekla Michalina Rorer-Trzynska (1781-1859), une jeune Polonaise avec laquelle il va passer sa vie, même si, comme son journal le prouve, d'autres amours lui montent parfois à la tête. A Plock, Il va s'ennuyer sérieusement, fréquentant les cafés et buvant, peut-être plus de raison (peut-être parce que cela cadre si volontiers avec la légende qui l'auréole qu'il est difficile de savoir au juste). Finalement grâce aux appuis de ses amis (dont Theodor Gottlieb von Hippel, ami de longue date, puisqu'ils se sont rencontrés en 1786), il est nommé à Varsovie et rejoint son poste en 1804. A Varsovie, il fait la connaissance de Julius Eduard Hitzig (1780-1849) qui va lui faire découvrir la littérature contemporaine. Il continue à composer et à dessiner, caricaturant volontiers ceux qui l'entourent, ce qui ne lui vaut pas que de l'admiration. Lorsque l'armée française occupe Varsovie, en 1806, il démissionne (ou il est démissionné, les sources se contredisent) et rejoint Berlin en 1807, en laissant à Posen, auprès de sa belle-famille (n'oublions pas que c'est la guerre) sa femme et leur petite fille, née en 1805, qui mourra deux ans plus tard. 
Durant toutes ces années, il a beaucoup composé, parfois été joué. Il a aussi mené sa carrière, malgré ses frasques, avec beaucoup de sérieux et de dédication.
En somme, ces années de juriste ont été de bonnes années, tranquilles en terme de réussite matérielle, malgré son goût pour le sarcasme et la moquerie et ses conséquences parfois désagréables (Plock) mais peu terribles en regard de ce que les années de guerre lui réservent pour les huit années suivantes.





Bernardo Bellotto

Vue de Varsovie, 1770.
Bernardo Bellotto (1722-1780)

"Tu me demandes comment je me trouve à Varsovie? C'est un monde bruyant, trop étourdissant, trop fou ; c'est un pêle-mêle, un vacarme à vous donner le vertige..." (Lettre à Hippel, citée par Egmont)


Entrée en littérature

     L'année qu'il va passer à Berlin sera une des plus difficiles de sa vie, Hoffmann est sans ressources et vit au jour le jour, plus souvent d'emprunts à des amis qu'autrement. Il finit par obtenir un poste de chef de musique au théâtre de Bamberg (Bavière). Il va chercher sa femme et arrive à Bamberg en septembre 1808, c'est là qu'il décidera (en 1812 précise Albert Béguin) de changer Wilhelm, son troisième prénom, en Amadeus, en hommage à Mozart, faisant par la même occasion disparaître le souvenir de "l'oncle catastrophe". Il va rester 5 ans à Bamberg, composant toujours. Si Hoffmann semble avoir beaucoup aimé son séjour à dans cette ville et son activité dramaturgique (il y a tout fait depuis des livrets d'opéra, de la musique, des décors, des costumes), la vie n'y a pas toujours été facile. Il lui a été parfois nécessaire de donner des leçons de musique pour survivre. Il se met aussi à la critique musicale, source de revenus par les articles publiés, et d'une certaine manière cheminement vers la littérature
     Le premier conte connu "Le Chevalier Glück" (Gluck, mort le 15 novembre 1787 à Vienne) date de 1808. Il publie ensuite les Kreislerania entre 1813 et 1815, qui sont des manières de critiques musicales attribuées au personnage de Johannes Kreisler, musicien fou et génial, qui va se retrouver tout au long de l'oeuvre depuis Fantaisies dans la manière de Callot (1813-1815) jusqu'au Chat Murr (1819-1821).
Hoffmann écrivain va prendre le pas sur Hoffmann musicien et Hoffmann dessinateur. Ces dix ans de création littéraire vont faire de lui ce qu'admirent avec passion les Romantiques européens, puis tous ses lecteurs à venir : l'explorateur des mondes intérieurs, à la fois sombres, grinçants et aériens, lumineux avec le zest adéquat d'ironie et, parfois, de sarcasme.
En 1813, il quitte Bamberg pour s'installer à Dresde où on lui a proposé un emploi de directeur musical mais c'est la guerre et il n'est pas aisé de remplir sa tâche. Il va beaucoup voyager entre Dresde et Leipzig pour les besoins de sa fonction. Sa santé ne l'aide guère, il est sujet à des accès de fièvre qui l'épuisent. Néanmoins, il pousuit à la fois son oeuvre musicale (il compose la musique de l'opéra Ondine, tiré de l'oeuvre de son ami La Motte-Fouquet) et son oeuvre littéraire : des contes (Le Vase d'or, Ignace Denner, Le Magnétiseur), et commence la rédaction d'un roman qui deveindra Les Elixirs du diable, publié en 1816.
L'année suivante, rien ne va plus avec son directeur, et de nouveau sans emploi, il sollicite ses amis pour être réintégré dans la magistrature. C'est encore une fois à Hippel qu'il doit d'être réintégré, à Berlin, où il reprend des fonctions de juriste en 1814.

dessin de Hoffmann

Johannès Kreisler dansant, maître de chapelle, dessin d'Hoffmann






Le vase d'or

Illustration de Richard Teschner, 1913, pour Le Vase d'or.
Le personnage enfermé dans sa bouteille fait penser au roman de Lesage, Le Diable boiteux.

Les dernières années

     Hoffmann n'est plus un inconnu, la publication en quatre volumes des Fantaisies dans la manière de Callot lui a donné une renommée suffisante pour qu'il soit sollicité par revues, journaux et éditeurs. Tout ce qu'il écrit trouve preneur. Et il écrit sans arrêt. Les Contes nocturnes sont publiés en 1817, Les Contes des frères Sérapion en 1819 et 1829 . Maître Puce, Petit Zacharie, La Princesse Brambilla. Sa dernière publication est Le Chat Murr, deux volumes en 1819 et 1820.
Un certain nombre de textes ne connaîtront qu'une publication posthume.
Ondine est monté avec grand succès, malheureusement, le théâtre brûle après la 25e représentation. Et les démons de Hoffmann ne sont jamais loin, son esprit caustique le conduit à se moquer de son entourage (dans Maître Puce, il se moque de la police, dans Le Chat Murr c'est la vie de Cour qui en fait les frais) ce qui risquait de se terminer aussi mal qu'au début de sa carrière, par un exil dans une lointaine bourgade comme Plock. Il n'en sera rien, la maladie se chargeant de l'exiler bien plus loin. Les fièvres se multiplient à partir de 1816 et à partir de 1821 ses membres se paralysent progressivement (conséquence probable d'une syphilis) si bien qu'il lui faudra dicter à son épouse ses derniers écrits. Il meurt le 25 juin 1822, sans avoir jamais cessé d'écrire.  Il n'avait que 46 ans.

     Il laisse une oeuvre qui n'en finira pas de faire couler beaucoup d'encre, alimentant rêveries et fantasmes, inspirant poètes, écrivains et musiciens. Offenbach en tirera un opéra-bouffe dont le succès a diffusé le nom d'Hoffmann à tous les vents.
L'oeuvre d'Hoffmann et son auteur sont exemplaires des modifications que le temps et les points de vue, les questionnements, apportent à la réception d'une oeuvre. Oeuvre d'un fou halluciné dans les premiers temps du romantisme, les lecteurs ne semblent y voir que l'invraisemblable des personnages et des situations, des délires que l'on peut qualifier de "poétiques" mais qui n'en sont pas moins des délires attribuables à l'abus d'alcool et/ou de tabac comme pour le personnage d'Anselme dans Le Vase d'or. Puis, lorsque passent les temps du romantisme frénétique, les lecteurs découvrent la complexité de la construction, le regard aigu des narrateurs sur les réalités qui les entourent, la force d'évocation de l'imaginaire, mais aussi la profondeur psychologique où s'enfoncent les récits. Ces aspects de l'oeuvre vont progressivement dominer, d'autant plus après les réflexions de Freud, en particulier dans Das Unheimlich (1919) dont la tradition fait "L'inquiétante étrangeté", traduction qui fait perdre la rupture incluse dans le terme allemand. Tous les textes de Hoffmann se situent dans cet univers familier qui, à un moment, cesse de l'être, se fissure, laissant apparaître autre chose, de l'ordre du désir.
Mais c'est aussi, et toujours, une réflexion sur l'art et la création qui en font un écrivain toujours vivant. Les multiples profondeurs où sa lecture entraîne en font une oeuvre inépuisable.




A Ecouter
: quelques compositions de Hoffmann sur le site musicologie.
A consulter : une réflexion sur les portraits de Hoffmann, Ingrid Lacheny, Patricia Viallet, Savoirs en Prisme, 2020.
A lire : un article de Victoire Feuillebois "Pourquoi des fictions autour de la musique ? L'exemple du Sanctus d'E. T. A. Hoffmann" (Revue de littérature comparée, 2014)
Le texte de Walter Scott que Loève-Veimars place à l'ouverture de son premier volume des traductions de Hoffmann "Sur Hoffmann et les compositions fantastiques". Pour en savoir plus sur l'article de Walter Scott, lire l'article de Ana Pano Alamán, 2004.
La présentation d'Henry Egmont des nouvelles traductions qu'il propose en 1836
L'article de Gautier consacré à la traduction d'Egmont qui prend le contre pied de la position de Walter Scott que Gautier partageait en 1830.



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