30 octobre 1871 : Paul Valéry
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PréambuleOn ne lit plus guère Valéry, et il n'est pas très sûr que les jeunes gens de ce début de XXIe siècle sachent même de qui il s'agit.Pourtant, il fut, pour le XXe siècle, un maître à penser, tout autant que Gide ou Alain, qui, eux-mêmes, d'ailleurs, semblent passés à la trappe... Poète, et surtout essayiste c'est-à-dire homme de réflexion, pour ne pas dire philosophe, il a marqué les aventures les plus importantes du XXe siècle. Breton, avant même que le surréalisme ne devienne le mouvement que l'on sait, en réfère à lui, et c'est sur son conseil que la première revue du groupe est baptisée Littérature, et s'honore de publier dans son premier numéro le Cantique des colonnes. Aux yeux de ces jeunes gens exigeants, il devait apparaître comme le modèle du Poète, devenu silencieux à force de rigueur, à l'instar de ce qu'ils imaginaient de Rimbaud. Plus tard, dans les années 1960, ce qui deviendra le structuralisme lui emprunte le titre de « Tel quel » pour baptiser une revue dont le rôle a été essentiel dans l'élaboration et la diffusion d'une théorie littéraire qui a fécondé toute la critique littéraire au point que nombre de ses postulats sont devenus des lieux communs dans la compréhension du phénomène littéraire. C'était moins au Poète que se référaient les futurs "structuralistes" qu'au théoricien, au professeur de poétique du Collège de France. Il n'est donc ni inutile, ni mauvais de renouer avec ce grand écrivain. |
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Un début dans la vieIl est né à Sète (orthographié alors Cette), ville qu'il rendra célèbre grâce à son poème Le Cimetière marin (1920), dans une famille de petite bourgeoisie, 8 ans après son frère aîné, Jules, né en 1863. Son père, d'origine corse, travaille dans les Douanes et sa mère est la fille du consul d'Italie à Sète (Sète est un port important pour le commerce méditerranéen, situé au débouché du canal du Midi). Baptisté Ambroise Paul Toussaint Jules, c'est avec son deuxième prénom seul qu'il se fait connaître. En 1884, la famille déménage et s'installe à Montpellier, il y fait ses études secondaires et passe son baccalauréat en 1887-88 (en ce temps-là, le baccalauréat était constitué de deux parties). 1887 est aussi l'année du décès de son père. Son frère aîné, Jules, devient son tuteur. Cette enfance et cette adolescence dans le Languedoc (Montpellier est à 37 km de Sète) sont sans doute pour quelque chose dans le caractère solaire et sensuel d'une oeuvre qui est, par ailleurs, mise par son auteur sous le signe de l'esprit le plus abstrait. A quoi il faut sans doute ajouter les séjours réguliers en Italie, dans la famille maternelle. Si le jeune Valéry lit beaucoup, il écrit déjà, de la poésie bien sûr, puisqu'il est un adolescent et que son époque place encore la poésie au sommet de la hiérarchie littéraire, et il peint. Ce goût pour le dessin, la peinture, plus tard la gravure, perdurera.Il s'est inscrit à la faculté de droit en 1888. En 1890, lors des festivités de commémoration du 600e anniversaire de l'université, il rencontre un étudiant parisien, Pierre Louÿs. Cette amitié va jouer un rôle essentiel dans la vie de Valéry. D'abord le Parisien le met au contact de la vie lttéraire dans la capitale (Mallarmé, Régnier, Hérédia), rêve de tout jeune provincial féru de littérature, puis il publiera ses vers dans la revue qu'il fonde, La Conque. C'est Louÿs aussi qui l'incite à écrire à Mallarmé, ce qu'il fait dès octobre 1890. L'année suivante, lors d'un voyage à Paris, il fait sa connaissance. Mallarmé éclipse alors toutes les influences jusqu'alors ressenties (Baudelaire, Verlaine) et fait même glisser au second plan celui qu'il admirait entre tous, Huysmans (mais auquel il rend aussi visite) dont le personnage de Des Esseintes, dans A rebours, l'avait fortement marqué. Toutefois, en 1895, il écrivait encore à un ami :"J'en suis toujours à relire A rebours ; c'est ma Bible et mon livre de chevet. Rien n'a été écrit de plus fort ces derniers vingt ans." C'est encore grâce à Louÿs qu'il fait la connaissance de Gide dont l'amitié l'accompagnera toute sa vie. |
Portrait de Paul Valéry,
photographie de Pierre
Louÿs
(1870-1925), 1894.
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Contexte : symbolisme et symbolistes Si la seconde partie du XIXe siècle est marquée, en
art,
par le
réalisme (Courbet, Zola en sont les noms phares), son revers ou son
avers — cela dépend du point de vue — ne pouvait manquer de se
manifester. Un certain nombre d'artistes résistent au primat de la
matière, du réel, et continuent d'explorer tout ce qui se dérobe au
positivisme du temps. S'intéresser à la seule réalité matérielle leur
semble insuffisant, parce que partout affleure le mystère,
l'incompréhensible. Les réalistes ne seraient pas totalement en
désaccord avec cette perception, mais c'est aux sciences qu'ils
demandent de réduire cette part d'obscurité, à la médecine, à la sociologie, à la
psychologie
naissante ; les non réalistes, eux, vont tenter de le débusquer dans le
langage. Ils vont
préférer l'idée ou le signe au réel, la suggestion à la
représentation, l'impression, la réaction individuelle, le moi au
monde.
C'est autour de Mallarmé (1842-1898), qui fait figure de Maître, que se
réunissent ces poètes, dramaturges, musiciens, entraînant d'ailleurs
dans leur aura un certain nombre d'anciens Parnassiens. Il
revient à Jean Moréas (1856-1910) d'avoir baptisé la constellation (il
n'est pas de terme plus adéquat pour des créateurs si différents qui ne
firent jamais une école) des
poètes, de Baudelaire à Verlaine, en passant par les jeunes
gens qui se réunissent chez Mallarmé le mardi, du nom de "symbolistes"
dans un article publié dans Le Figaro
en
1886. Nom commode mais qui recouvre des créations souvent fort
éloignées les unes des autres, quoique leur point commun soit une très
haute idée de la poésie et la quête de ce que Hugo avait déjà formulé :
"La poésie c'est tout ce qu'il y a d'intime dans tout" (Odes et ballades, 1828). C'est dire
que pour eux la poésie est voie de connaissance. |
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En 1892,
selon ce qu'il racontera dans les années 1930, au cours d'un séjour en Italie
(septembre-novembre), il prend
la résolution de ne plus écrire, du moins de ne plus écrire de poésie.
Il parlera à ce propos de "crise sentimentale". L'adjectif semble
destiné à caractériser tout ce qui relève du "sensible" (les émotions
et en particulier les émotions amoureuses) rejeté parce que troublant
la seule activité que déclare alors essentielle le jeune-homme : la
connaissance de soi et l'exercice rigoureux de la pensée. En 1894, Valéry s'installe à Paris. Cette année-là, il commence à rédiger le premier de ses Cahiers. Toute sa vie, Valéry commencera ses journées par cet exercice de pensée et d'écriture. A sa mort, on compte 261 cahiers. Ce qui fascine dans ces cahiers, c'est l'exercice têtu de la réflexion; comme d'autres, en nos temps nouveaux, se précipitent dans une salle de sport pour y entretenir avec persévérance leurs muscles ou la souplesse de leur corps, Valéry faisait jouer son intelligence, sa pensée avec la même persévérance et la même efficacité. Tout lui est bon, de la politique à la physique, des questions militaires à la littérature et à la langue (pas encore empaquetée dans la linguistique) pour "muscler" et affiner sa pensée, pour en clarifier, souvent avec humour, les idées, les notions (on n'abusait pas encore du mot "concept"), pour en suivre les voies quitte ensuite à les corriger ou à les constater sans issue. A travers cet exercice journalier, il poursuit le but qu'il s'était fixé en 1892 : approcher, au plus près, le fonctionnement de l'esprit, tenter d'en comprendre les rouages. En 1895, sur les conseils de Huysmans, il passe le concours de rédacteur au Ministère de la guerre, est reçu et entre en fonction en 1897. Ce travail lui permettra de vivre car il n'a aucune fortune personnelle. Il le quittera en 1900, après son mariage avec Jeannie Gobillard, nièce de Berthe Morisot (1841-1895), pour devenir le secrétaire particulier d'Edouard Lebey, administrateur de l'agence Havas, tâche qu'il remplira pendant vingt ans, jusqu'à la mort de Lebey en 1922, et qui avait l'avantage de lui laisser du temps pour poursuivre ce que nous appelons aujourd'hui son oeuvre. Les années de silence poétique ne sont pas pour autant des années sans publications : Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895), La Soirée avec M. Teste (1896) sont deux textes essentiels dans le parcours de l'écrivain. Gide insiste pour qu'il publie ses poèmes de jeunesse et Valéry consent à les reprendre en 1912. Il les retravaille, et ce faisant trouve la voie (et la voix) de nouveaux textes poétiques dont le premier sera "La jeune Parque" (1917), puis les poèmes qu'il rassemblera dans Charmes (1922). Les poèmes de jeunesse (1890-93) ayant été publiés en 1920 sous le titre Album de vers anciens, l'année où il entame une liaison tumultueuse avec Catherine Pozzi qui durera dix ans. Valéry écrit alors beaucoup et publie abondamment en revues ; il est aussi un conférencier fort couru, en France comme à l'étranger (Angleterre, Italie, Allemagne, Hollande). Il le faut puisqu'il n'a plus que son talent d'homme de lettres pour assurer sa subsistance et celle de sa famille, une épouse et trois enfants. Il mène aussi une vie mondaine très active dans ce que l'on peut encore appeler des Salons qui poursuivent, au début du XXe siècle, des habitudes bien ancrées au XIXe. En 1924, la NRF publie le premier volume de Variété qui réunit les écrits dits de "circonstance" (conférences et/ou articles, préfaces, souvent issus de commandes). Entre 1929, date à laquelle paraît Variété II et 1944, trois autres volumes s'ajoutent aux deux premiers, formant ainsi une série au contenu très varié. Il entre à l'Académie française en 1925, occupant le fauteuil d'Anatole France. Son discours de réception (23 juin 1927) est un étonnant exercice de style dans lequel l'éloge (obligatoire) frôle souvent le blâme (il se raconte qu'il n'avait pas pardonné à Anatole France d'avoir refusé de publier un texte de Mallarmé, ce qui n'est sans doute qu'un souvenir écran destiné à masquer leur opposition dans l'Affaire Dreyfus. Valéry, antidreyfusard, a dû se sentir "humilié" d'avoir à ce point manqué de lucidité) et glisse parfois à l'autoportrait. Personnage alors très en vue, il est sollicité pour diverses fonctions qu'il accepte (présidence du Pen Club français, 1924-34 ; membre du Conseil des Musées nationaux ; fonctionnaire de la Société des Nations pour les affaires culturelles ; Administrateur du Centre universitaire méditerranéen, de 1933 à sa mort avec l'intervalle de la guerre où Vichy le destitue). En 1937, le Collège de France crée pour lui la chaire de poétique qu'il occupera jusqu'à sa mort. Il meurt le 20 juillet 1945. |
Une page du Cahier 85, dont la première porte la mention "Cahier 1918, n° I (sur 3)" et en haut à droite "20 janvier 1918"). Les Cahiers mêlent les réflexions parfois brêves, parfois développées, à des croquis, des schémas, des études plastiques. |
Couverture du Magazine littéraire, octobre 1892, dont le dossier est consacré à Valéry. Dessin Raymond Moretti (1931-2005) |
Narcisse et FaustL'oeuvre de Valéry est multiforme mais irriguée par deux grands mythes. Le choix d'un mythe est toujours révélateur et bien qu'Orphée apparaisse dans l'oeuvre, comme on pouvait s'y attendre dans les dernières décennies du XIXe où il devient (ou redevient) une figure centrale dans l'expérience poétique, c'est Narcisse qui retient l'imaginaire de Valéry (Narcisse parle, 1891 ; Fragments du Narcisse, réunis et publiés la première fois en 1926 ; Cantate du Narcisse, rédigée en 38, publié en 39 ; et en 1945, sous le titre L'Ange, un texte en reprend les données essentielles), avant qu'il ne se décide vers la fin de sa vie, à donner une forme à son intérêt pour celui de Faust à travers une pièce (Mon Faust) restée à l'état d'ébauche, comme l'indique le titre de l'édition de 1944, Ebauches de Mon Faust dans la Table ronde, n° I (éd. du Centre), ce qui ne l'empêchera pas d'être montée à plusieurs reprises.Narcisse est ce personnage dont Ovide raconte l'histoire dans ses Métamorphoses (chant III) comme exemple de l'infaillibilité de Tirésias. Celui-ci annonce que Narcisse vivra longtemps "S'il ne se connaît pas". Mais celui qui est indifférent aux autres, voit son reflet dans une mare et meurt de ne pouvoir rejoindre celui dont il est tombé amoureux et dont il comprend que c'est lui-même. Le premier "Narcisse parle" était un sonnet, dont Valéry a expliqué qu'il tirait sa source de l'inscription sur la tombe de la fille du poète Young, Narcissa, dans le jardin botanique de Montpellier où il se promenait volontiers ; mais l'occasion n'est pas explication ; ce poème, plusieurs fois retravaillé pour aboutir à la suite de 11 strophes publiée en 1920, fonde un imaginaire personnel. Et il se retrouve dans presque toutes les figures poétiques de Valéry, à commencer par La Jeune Parque. Narcisse y est la figure, le symbole, de la découverte de soi qui commence par être celle de son corps, démarche que l'on retrouve dans le très bref conte Journal d'Emma, nièce de M. Teste. Eléments physiques (publié en 1950) : "Je me regarde au bain, je me dis : mon corps est-il moi ?". "Mais moi, Narcisse aimé, je ne
suis curieux
La découverte de soi dans le miroir est le premier pas de la
connaissance et l'on voit comment les deux mythes pour Valéry
s'articulent l'un à l'autre. Faust
est aussi ce personnage, éminemment
théâtral, à tous les sens du terme —il vient du théâtre et il joue, met
en scène, le drame, ou la tragédie peut-être, du besoin, toujours
inassouvi, de savoir, de comprendre. Quête-enquête nécessairement vouée
à un échec relatif, toujours à l'état d'ébauche, comme l'oeuvre de
Valéry, y compris les poèmes qui nous paraissent les plus achevés et
qui, pour leur auteur, étaient toujours susceptibles de révisions.Que de ma seule essence" (Fragments du Narcisse) |
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Après tout, j'ai fait ce que j'ai pu Cahier, 1945
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A découvrir et à feuilleter pour le plaisir, quelques-uns des Cahiers manuscrits sur Gallica : un de 1900 et un de 1921. A écouter : l'émission de Concordance des temps (France culture) du 17 septembre 2016 (rediffusion d'une émission de 2009). Jean-Noël Jeanneney y dialogue avec Michel Jarrety (biographe de Valéry) sur le caractère de "penseur du contemporain" de l'écrivain. |