Le Guépard, 1958, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, notes pour la lecture

coquillage




A propos du
Guépard sur ce site1. Présentation de l'auteur et du roman - 2. notes pour la lecture du texte  page 2 - 3. Le narrateur du roman - 4. Les personnages - 5. Un extrait des Princes de Francalanza, Federico de Roberto, 1894




Le roman de Lampedusa est un récit dont la densité repose en particulier sur de nombreuses allusions que le lecteur doit "déplier", d'une certaine manière, pour percevoir à la fois ce qui constitue la toile de fond du roman (moment historique, faits de civilisation) et sa dimension ironique.
Ces notes ont pour objet de faciliter cette appropriation.
La pagination renvoie à l'édition Seuil, coll. Points-roman, 2007, traduction de Jean-Paul Manganaro.


PREMIERE PARTIE


p. 9 : "Nunc et in hora mortis nostrae. Amen" : "Maintenant et à l'heure de notre mort. Ainsi soit-il." Fin de la prière "Je vous salue Marie".

p. 9 : Rosaire : Grand chapelet composé de quinze dizaines de petits grains (représentant les  "Ave" = "Je vous salue Marie...") précédées chacune par un grain plus gros (représentant le "Pater" = "Notre père qui êtes aux cieux...").
La tradition du rosaire semble bien implantée dans les grandes famille siciliennes de l'époque. On la retrouve chez Sciascia, dans Quarante-huit, 1958 (éd. Gallimard, coll. L'Imaginaire, traduction Mario Fusco, p. 18) :
"Chaque soir à la sonnerie de l'angélus, elle réunissait dans une grande salle nue toutes les femmes de la maison [...] pour réciter le rosaire. C'est une chose qui se faisait alors dans toutes les bonnes familles. [...] elle commençait le rosaire, et les femmes répondaient dans un murmure collectif. [...] "Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles" parce que les voix se faisaient plus nettes ; au gloria s'achevait une dizaine du chapelet, et il y en avait quinze en tout ; les femmes semblaient éprouver du soulagement à chaque dizaine qui se terminait..."


p. 9 : Mystères Douloureux : références à la vie du Christ et de Marie, sa mère. Un catalogue précis de ces "mystères" dans La Faute de l'abbé Mouret d'Emile Zola (livre premier, chapitre XIV).

p. 9 : Marie Madeleine : Dans les Evangiles une des saintes femmes qui assistent à la passion. Elle est identifiée à la femme (anonyme) qui essuie les pieds de Jésus avec ses cheveux et les parfume. Elle est l'image même de la pécheresse repentie et très souvent représentée dans la peinture. Par exemple, Pietro di Cosimo (1490) mais aussi Raphaël, Titien, etc.

p. 9 : Rococo : le terme qualifie le style de la fin du XVIIIe siècle. A l'origine, péjoratif (déformation du mot "rocaille" < rocher), il en conserve quelques traces et désigne un excès de décorations (guirlandes, volutes...).

pp. 9-10 : Andromède et Persée : héros mythologiques (Persée après avoir tué Méduse sauve Andromède sacrifiée à Neptune pour faire cesser sa vengeance : des monstres ravagent le royaume parce que la mère d'Andromède s'est déclarée plus belle que les Néréides, filles de Neptune. Andromède est attachée nue, sur un rocher au milieu de la mer, et Persée tue le monstre marin qui va la dévorer  – (Ovide, Métamorphoses, IV)

p. 10 : Tritons  : divinités masculines de la mer, dans la mythologie gréco-latine. A l'origine, Triton est unique, c'est le fils d'Amphitrite et de Neptune. Mais très vite, les récits en font une espèce et le démultiplient. Ils sont représentés mi-homme, mi-poisson, avec une conque à la main dans laquelle ils soufflent. Ils peuvent apaiser les vagues.

p. 10 : Dryades  : divinités féminines de la terre dans la mythologie gréco-latine (sources, arbres, rochers)

p. 10 : Conque d'or  : nom donné à Palerme et à sa baie, encerclée de montagnes qui lui donnent la forme d'un coquillage.

p. 10 : "Mouvements » du Quatre avril": tentative d'insurrection contre la monarchie dirigée par Francisco Riso, à Palerme, vite réprimée mais suivie d'autres insurrections et de manifestations, dans la ville comme aussi dans les campagnes, qui aboutissent à la marche sur Messine du 10 au 20 avril 1860, dirigée par Rosalino Pilo qui se fait tuer en mai 1860, après avoir rejoint Garibaldi. (cf. Alexandre Dumas, Les Garibaldiens, chap. 4). A mette en rapport avec les feux vus dans les montagnes entourant Palerme.
Cette tentative d'insurrection sert de détonateur pour l'expédition des "Mille" organisée par Garibaldi et financée en sous-main par le gouvernement de Piémont-Sardaigne.
Le prince y fait de nouveau allusion, plus loin, à propos des "coups de feu secs des tirs, comme il en avait retenti quelques temps plus tôt sur une place désolée de Palerme".


p. 10 : Saint François de Paule (1416-1508) : fondateur d'un ordre religieux, celui des Minines ; né en Calabre, François de Paule a vécu en partie en Sicile et en France où il assiste Louis XI au moment de sa mort.

p. 14 : Danseuse de l'Opéra  : dans la seconde moitié du XIXe siècle, il était de bon ton (pour un homme) d'afficher son luxe et sa fortune en entretenant une danseuse de l'Opéra. L'évocation relève presque du cliché.

p. 15 : De Profundis : début d'un psaume, chanté chez les catholiques pour le repos des morts.

p. 16 : La "secte" : renvoie avec mépris à toute l'opposition aux Bourbons, et en particulier à la franc-maçonnerie (association "secrète" oeuvrant pour la liberté, soupçonnée, toujours et partout, de fomenter des complots dès les XVIIe et XVIIIe siècles).

p. 16 : Le roi [...] qui était mort depuis peu : Ferdinand II ; le roi actuel : François II, fils du précédent.

p. 16 : Caserte, Naples : Palais royal construit au XVIIIe siècle, à 35 km au nord de Naples, capitale du royaume des Deux Siciles ; PorticiCapodimonte : actuellement inclus dans la ville de Naples, emplacement de deux palais royaux.

p. 16 : Le roi Ferdinand : Ferdinand II, règne sur les deux Siciles de 1830 à 1859. Après 1848, reçoit de l'opposition et du peuple le surnom de roi "Bomba" (bombe) pour avoir fait bombarder Palerme.

p. 17 : La reine actuelle :  Lucia Migliaccio, duchesse de Floridia et princesse de Castura que Ferdinand II épouse en 1814, après la mort de Maria Carolina, sa première épouse, princesse autrichienne.

p. 17 : Une Madone d'Andrea del Sarto :  La "Madone" est la mère du Christ ; peintre de la Renaissance (1486-1530). Le déterminant indéfini se justifie par le fait que le peintre en a produit de nombreuses. Dans une de ses lettres (troisième partie), Trancredi trouve qu'elle lui rappelle "Mademoiselle Sedara".

p. 17 : DG  : Deo Gratias (grâce à Dieu / par la grâce de Dieu)

p. 18 : Castelcicala, Paolo, prince de (1791 -1865) : lieutenant général et conseiller du roi Ferdinand puis de son fils François II. Lieutenant (titre qui a remplacé celui de Vice-roi) de Sicile de 1855 à 1860. Fort détesté, comme le prince le signale, ayant entendu dire "pis que pendre" de lui, aussi bien des Bourbonniens que des opposants libéraux qu'il pourchassait farouchement.

p. 19 : Le Piémontais, le 'Galantuomo' , l' 'Honnête homme' "qui faisait tant de vacarme dans sa capitale perdue" : Victor Emmanuel, roi de Piémont-Sardaigne dont la capitale est Turin (Torino) qui deviendra après l'unification le premier roi d'Italie.

p. 19 : Don Peppino Mazzini : Guiseppe Mazzini, 1805-1872, patriote et révolutionnaire italien qui milite toute sa vie pour l'unité italienne dans une République. Le combat de Garibaldi commence à ses côtés. Ami de Victor Hugo et des républicains français. Il a passé la plus grande partie de sa vie en exil. L'appellation "Don Peppino" qui associe un "don", en apparence respectueux, avec le diminutif, est colorée de mépris. Selon Sergio Romano, Histoire de l'Italie du Risorgimento à nos jours, Seuil 1977, c'est lui qui "donna aux Italiens, plus que tout autre, le sentiment que Rome conférait à l'Italie une légitimité particulière, une mission spécifique." (p. 20) 

p. 20 : Lampe carcel :  lampe à huile inventée par Guillaume Carcel  (horloger, 1750-1812) ; elle comporte une pompe aspirante refoulante actionnée par un moteur d'horlogerie, qui assure l'alimentation constante de la mèche. Le réservoir n'est plus latéral mais sous le brûleur. Cette lampe, sur pied, a un brûleur à mèche cylindrique et un porte-verre mobile pour régler la flamme. Le verre-cheminée est à étranglement au niveau de la flamme.
La lampe Carcel était réputée coûteuse et fragile, réservée à une clientèle fortunée. Le système est perfectionné en 1837


p. 20 : Murano  : célèbre verrerie de Venise installée sur l'île de Murano, dans la lagune, depuis le XIIIe siècle.

p. 20 : Capadimonte : porcelaine réputée, dès le XVIIIe siècle, fabriquée à Naples dans la manufacture royale.

p. 24 : Maniscalco, Salvatore, chef de la police de Palerme de 1849 à 1860.
A propos d'un de ses personnages, dans Quarante-huit (op. cit, p. 76), Sciascia écrit "... un homme qui était célèbre en Sicile à cause de sa haine envers les libéraux et des sévices qu'il leur faisait subir. Après celui de Maniscalco, le nom du lieutenant Desimone signifiait la prison et la mort, car il était le bras droit de Salvatore Maniscalco et son plus brutal exécutant."  


p. 27 : Granité :  boisson glacée à base de fruits (congelée puis pilée).

p. 28 : "Pot de basilic qui trahissait la facilité..." : le basilic (plante aromatique) marque les habitations de prostituées. Peut-être cette tradition vient-elle des Romains, le mot "ocimum" désignant à la fois la courtisane et la plante aromatique, l'expression "ocima cantare", "chanter basilic" signifie "à vendre". 

p. 30 : "Seigneur, donnez-moi...", Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857, "Un voyage à Cythère" (88e poème de la 1re édition), mais la fin du poème se trouve p. 211. poésie "farfelue" ? le poème associe étroitement l'amour et la mort puisque sur "Cythère", l'île de Vénus, il n'y a qu'un pendu. Après le jardin, les roses et le souvenir du jeune soldat mort, c'est la deuxième évocation d'une étroite association entre amour et mort, Eros et Thanatos, qui est une des lignes musicales essentielles du roman.

p. 30 : La Farina : Giuseppe La Farina, 1815-1863, journaliste et homme politique, patriote italien, proche de Garibaldi.

p. 30 : Crispi : Francesco Crispi, 1819 - 1901, patriote italien, participe à l'expédition des Mille ; d'abord républicain, il se rallie à la monarchie en 1865 ; il sera deux fois premier ministre en 1887-91 et en 1893-96. Sergio Romano dans son Histoire de l'Italie du Risorgimento à nos jours, Seuil 1977, en fait un portrait contrasté mais un bilan plutôt positif considérant  qu' "il avait poursuivi une vision "nationale" et dessiné un Etat plus large, moins inféodé aux factions, donc plus fort ; et cela dans la tentaive de socialiser les grandes masses qui restaient étrangères pour des raisons socio-économiques et religieuses à l'expérience unitaire. Ce faisant, il avait eu le mérite de poser concrètement, quoique par des moyens discutables, les véritables problèmes de la société italienne et d'envisager une solution nationale." (p. 92)

p. 32 : Franceschiello : diminutif de Francesco (François II, successeur de Ferdinand II en 1859), le roi.

p. 32 : Le tricolore, le drapeau des insurgés. Imité du drapeau français, pour la République cisalpine en 1797, il devient le drapeau du Piémont-Sardaigne en 1848, puis en 1861 celui du royaume d'Italie, et celui de la la République en 1946 : vert, blanc et rouge.

p. 33 : La petite tête de Méduse : l'épingle de cravate représente le personnage mythologique vaincu par Persée. Le regard de Méduse pétrifiait.

p. 37 : Nicias  : stratège et homme politique athénien  (Ve siècle av. J.-C.) qui dirige l'expédition vers la Sicile pendant la guerre du Péloponèse, vaincu par les Syracusains, il est arrêté et mis à mort par ces derniers en  413 av. J.-C.

p. 39 : Juin quarante-huit : après la Révolution de février 1848, le peuple (les travailleurs) de Paris se soulève parce qu'aucune des promesses n'a été tenue par la toute nouvelle République. Des barricades et un début de guerre civile, l'armée qui tire sur les révoltés, ces événements seront un traumatisme pour les républicains français. Le prince y voit sans doute l'irruption violente du "peuple" (comme on disait alors) dans le monde politique, celui avec lequel aucune transaction n'est possible.

p. 40 : Ordre de Saint  Janvier : décoration la plus importante du royaume des deux Siciles (Saint Janvier est un saint particulièrement vénéré à Naples).

p. 40 : Ordre de Saint Maurice : décoration, plus ancienne que la précédente, d'ailleurs, et rattachée à la maison de Savoie (jusqu'à aujourd'hui)

p.41 : Bitonto : ville italienne, lieu d'une bataille entre Autrichiens et Espagnols, en 1734, gagnée par les Espagnols reconquérant ainsi le sud de l'Italie qui devient le Royaume des deux Siciles dont le roi sera Charles de Bourbon (Charles III) , royaume et royauté reconnus par le traité de Vienne en 1738.

p. 41 :  Jupiter n'était pas le roi légitime de l'Olympe : renvoie à la mythologie gréco-latine. Zeus (Jupiter) prend le pouvoir en détrônant son père Cronos (Saturne), lequel Cronos avait lui-même prit le pouvoir à son père, Ouranos.

p. 51 : Vulcain : nom romain du dieu grec Héphaïstos. Il est le seul dieu qui travaille : il forge les armes des dieux et orfèvre les bijoux des déesses. Epoux d'Aphrodite (Vénus), elle le trompe avec Arès (Mars), le dieu de la guerre. Apollon, pour se venger d'elle, les prend tous deux dans un filet et Héphaïstos se voit rédiculisé par tous les dieux comme mari trompé (cocu).

p. 51 : "Salve Regina, Mater miséricordiae..." : début d'une prière à Marie "Je vous salue Reine, mère miséricordieuse..."

DEUXIEME PARTIE

p. 56 : Le  maréchal Bugeaud, militaire français (1794-1848). Est envoyé en Algérie en 1838, nommé gouverneur général de l'Algérie en 1840, donne sa démission en 1847. 

p. 58 : Donnafugata : nom réel (ville près de Raguse), lieu imaginaire. A Donnafugata  se trouve un château, celui du marquis Corrado Arezzo (1824-1895), doté d'un somptueux jardin. Le marquis, libéral, s'opposa au régime des Bourbons.  (Cf. Dominique Fernandez, Palerme et la Sicile). Lampedusa a mêlé, comme très souvent dans son roman, des éléments issus de son histoire personnelle (la demeure de Santa Margherita de Belice appartenant à sa grand-mère maternelle) et d'autres empruntés à d'autres histoires. La localisation, à trois jours de voyage de Palerme, sa dépendance d'Agrigente (dont vient Chevalley) renvoient à Santa Margherita bien davantage qu'à Donnafugata, qui se trouve à 273 km au sud-est de Palerme. Le paysage, quant à lui, ne renvoie ni à l'une, ni à l'autre de ces villes, alors villages bien davantage.
Le nom a pu le séduire pour son personnage en raison de "Donna" (la dame / la femme) et de "fugata" (fuite).


p. 59 : le Dictateur : titre de Garibaldi, dès le 15 mai 1860, après le débarquement en Sicile (sens romain du terme : homme qui a les pleins pouvoirs pour un temps déterminé). Ambivalence du terme dans les pensées de Don Fabrizio.

p. 61 : "Vi ravviso..." : grand air de Rodolfo, acte I, scène 4 de  La Somnambule, 1831, opéra de Vicenzo Bellini, auteur compositeur sicilien (1801-1835)

p. 61 : Aleardo Aleardi  (1812 - 1878 ) : poète italien, publie des Canti patrii, en 1857. Impliqué dans le Risorgimento, il est emprisonné et, plus tard, sera sénateur.

p. 62 : Le prince de Satriano : Carlo Filagieri (1784 –1867),  a été lieutenant de Sicile de 1849 à 1855, devient ministre de François II en 1859.

pp. 63-64 : "Noi siamo zingarelle" (Nous sommes bohémiennes) : choeur des bohémiennes, un des morceaux les plus connus de  La Traviata, 1853, opéra de Giuseppe Verdi (1813-1901) dont le livret est écrit à partir de La Dame aux camélias, Alexandre Dumas fils.

p. 65 : Carrelages de maïolique : (majolique : provenant de l'île de Majorque, en Espagne) faïence italienne du temps de la Renaissance.

p. 65 : Rosolino Pilo : 1820-1860, patriote italien qui  a participé aux mouvements du 4 avril 1860, rejoint Garibaldi dans sa marche sur Palerme et se fait tuer le 21 juin 1860 à San Martino di Montreale.

p. 65 : Te Deum, hymne religieuse chantée (Te Deum laudumus : nous te louons, Seigneur) lors des occasions solennelles, victoire militaire, par exemple. 

p. 66 : "Amami Alfredo" (Aime-moi Alfredo): extrait de La Traviata  (op. cit.), un des grands airs de Violetta, l'héroïne de l'opéra.

p. 66 : Rossolis  : liqueur à base de miel, d'huile de rose et de divers alcools aromatisés d'où les couleurs différentes de la boisson selon les plantes utilisées. Il en sera de nouveau question à propos du plébiscite.

p. 77 : Amphitrite, tritons, naïades, Neptune : mythologie gréco-romaine. Amphitrite, déesse de la mer, épouse de Neptune ; tritons : divinités marines démultipliées, faisant cortège au dieu de la mer, à partir de Triton (voir p. 10 ) ; naïades : divinités des eaux douces, fontaines et rivières.

p. 79 : agricola pius : agriculteur bienveillant, pieux... Le  mot "agricola" fait aussi écho avec le nom propre Agricola dont Tacite, historien romain, son gendre, fait l'éloge et qui est devenu le modèle des vertus républicaines, au sens latin du terme. L'ironie de Tancredi prend ici des dimensions multiples.

p. 83 : Dalila, Judith, Esther  : personnages bibliques (Ancien Testament) exemples de femmes dangereuses et fortes; Dalila trahit Samson et le fait prendre par les Philistins, Judith séduit Holopherne et lui coupe la tête pour sauver sa ville de Béthulie ; Esther épouse Assuérus, roi de Perse, et fait cesser la persécution des Juifs, les Juifs sauvés se retournent contre leurs ennemis.
Dans ces trois cas, les femmes sont porteuses de mort pour ceux qu'elles séduisent.
Personnages qui, avec Salomé, alimentent un imaginaire de la "femme fatale" qui se développe à la fin du XIXe siècle.


p. 87 : Gibilrossa : localité près de Palerme dans la montagne, sert de place forte à Garibaldi pour l'attaque de Palerme.

p. 87 : Bixio (Nino Bixio, 1821-1873), un des organisateurs, avec Garibaldi, de l'expédition des Mille, plus proche de Cavour que de Mazzini ; il organise le plébiscite du 21 octobre 1860. Son frère, Alexandre Bixio (1808-1865) était médecin à Paris et grand ami de l'éditeur Hetzel. Homme politique aussi et homme de lettres, il fonda, avec Buloz, La Revue des Deux Mondes.


p. 87 : La Masa (Giuseppe La Masa, 1819-1881), selon le témoignage de Dumas (Les Garibaldiens, 1861) patriote sicilien, organisateur des guérillas après le 4 avril 1860, combat aux côtés de Garibaldi après le débarquement des Mille : "La Masa, né à la Trebbia, peut avoir trente-cinq ans ; il est blond, il a des yeux bleus, et il est bien taillé."

p. 87 : La scène entre Bixio et La Masa : pas de référence précise à un incident entre les deux hommes. Mais peut-être s'agit-il de désaccord quant à la tactique à suivre. Bixio avait commandé le second bateau de l'expédition de Garibaldi ; La Masa avait joué un grand rôle en 1848, et organisait la guerrilla depuis de 4 avril. Suggère sans doute les difficultés de compréhension entre les hommes du nord et du sud, même lorsqu'ils ont un objectif commun.

p. 87 : Porte de Termini : la porte par laquelle les Garibaldiens investissent la ville de Palerme, le 27 mai.

p. 87 : Semper purus : toujours pur.

TROISIEME PARTIE

p. 99 : Une Utopie imaginée par un Platon rustique : Platon, philosophe grec du Ve siècle av. J.-C.  Elève de Socrate, il passe quelques temps à la cour de Denys de Syracuse (le jeune, - 397 - 344)  ; il revient deux fois en Sicile, au cours de sa vie. Dans La République, il imagine un état parfait (une utopie, selon le terme inventé par Thomas More, à la Renaissance).
La référence a ici pour fonction de multiplier l'éloignement provoqué par la nature : "le tissu d'un avenir rêvé".


p. 102 : Scrupules à la Rousseau :  philosophe des Lumières, 1712-1778 ; sans doute faut-il comprendre à la fois des scrupules excessifs (sur le modèle du vol du ruban rapporté dans les Confessions) et des scrupules relatifs à une vision de l'égalité entre les hommes développée par Rousseau. La propriété et le travail ayant détruit l'égalité naturelle, selon lui : Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité entre les hommes, 1755.

p. 104 : Raccourci jacobin : raccourci de  "révolutionnaire extrémiste". Pendant la Révolution française, le mot "Jacobin" désigne ceux qui fréquentent un club dont les membres se réunissent dans l'ancien couvent des Jacobins (il 'agit de l'ordre des Dominicains héritant de ce nom en raison de l'emplacement de leur principal couvent,  rue St-Jacques à Paris). C'est dans ce club que se proposent la cocarde tricolore et le bonnet phrygien comme symboles de la Révolution, on lui doit les mots d'ordre  "vivre libre ou mourir", "plutôt la mort que l'esclavage", il contribue largement au succès du "Chant de l'Armée du Rhin" tôt devenue "La Marseillaise", et il invente, en 1791, ce Credo qui est encore celui de la République française: "Liberté, égalité, fraternité." 
Les Jacobins représentaient l'aile "gauche" de la révolution. Robespierre, Saint-Just, Marat  en font partie.
Dans l'esprit du prince, le mariage de Tancredi et ses justifications "politiques" sont ce que l'on peut imaginer de plus révolutionnaire, et donc par leur excès même se dénoncent comme "ironiques".


p. 105 : La charge des cuirassiers : formule napoléonienne ; renvoie à sa tactique militaire. Napoléon Bonaparte a toujours développé sa cavalerie. La grosse cavalerie des Cuirassiers et des Carabiniers sont des forces maintenues en réserve, elles sont destinées aux charges décisives qui doivent anéantir ou disloquer les positions difficiles (Redoutes, carrés coalisés ou positions d’artilleries). Double ironie du narrateur et du prince à l'égard de Stella (et des femmes en général).

p. 108 : Artémis : déesse grecque, soeur jumelle d'Apollon. Elle est associée à la Lune. Déesse des animaux sauvages et de la chasse.

p. 109 : Les bastions de Gaète : Gaète est une ville au nord de Naples. Dernier refuge des Bourbons. Le siège  de Gaète dure d'octobre 1860 à février 1861.

p. 110 : Cialdini : (Enrico, 1811-1892) général piémontais qui dirige le siège de Gaète. Député dès 1861, il organise la lutte contre "le brigandage" (la résistance à l'unification) avec la même absence de pitié qui était la sienne pendant le siège. Il sera ambassadeur à Madrid puis à Paris.

p. 111 : Le jour du Vingt et un : 21 octobre 1860, jour du plébiscite pour le rattachement du royaume des deux Siciles à la jeune Italie. La question était "Voulez-vous une Italie une et indivisible avec Victor-Emmanuel comme roi constitutionnel et ses descendants légitimes ?" (source : Histoire de la renaissance politique en Italie : 1814 - 1861, Rodolphe Rey, 1864)

p. 112 : "Ad limina gattopardorum" : au seuil du guépard. Imitation de "Ad limina apostolorum", périphrase pour dire : à Rome, vers le Saint-Siège c'est-à-dire la résidence du pape. On dit par abréviation : faire un pélerinage "ad limina". Formule ironique certes, mais qui n'en contient pas moins une dose sérieuse d'orgueil.

p. 113 : La Bella Gigougin : chanson populaire, originaire de Lombardie, qui se diffuse à partir de 1848. 

p. 113 : "magnifiche sorti e progressive" : citation d'un vers de Giacomo Leopardi ( 1798-1837). Rémy de Gourmont l'estimait le génie le plus sombre de l'humanité. Ce vers est une définition de la mort si bien que son insertion dans le discours optimiste des tenants du "oui" au référendum fonctionne comme une antiphrase. Extrait de "La Ginestra, o fiore del deserto", ("Le Genêt, fleur du désert",  24e des Chants, 1831).

p. 114 : Les arts du Quadrivium: allusion très approximative au système de classement des sciences dans l'enseignement du Moyen-Age, puisque la rhétorique ne fait pas partie du Quadrivium.  Les sept arts (techniques)  étaient rangés en Trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et Quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie).  Se souvenir que le narrateur dit aussi qu'il est impossible de savoir quand Don Fabrizzio se trompe ou ironise. Ici, il fait les deux, il ironise en se trompant : les "étrangers" (les Piémontais et ceux qui sont d'accord avec eux) plutôt que de chercher à convaincre (rhétorique) truquent le vote (mathématique).

p. 115 : Un chromo  ("oleografia") : abréviation de "chromolithographie", à connotation péjorative (absence de sens artistique, mièvrerie, bon marché) ; procédé permettant de reproduire en couleurs des gravures. Les couleurs en étaient souvent simples et violentes. Le mot italien désigne une autre technique de reproduction sur papier de toile imitant la peinture à l'huile. Le point commun entre les deux étant le caractère fruste du résultat dans des productions en grande quantité.

p. 120 : La reine Isabelle, l'Espagnole : deuxième épouse de François Ier, père de Ferdinand II. Elle est duchesse de Calabre puisque c'est le titre de son mari en tant que fils aîné du roi et avant son accession au trône en 1825. Ce qui permet de comprendre que don Ciccio est un homme relativement âgé, un peu plus âgé que le prince, puisque son éducation s'est faite au temps des guerres napoléoniennes ("quand les Anglais étaient ici"), de l'exil de la famille royale. 

p. 123 : Sainte Rosalie : serait une jeune fille sicilienne, d'une grande famille, qui aurait vécu en ermite sur le mont Pellegrino, près de Palerme, au XIIe siècle. En 1624, une épidémie de peste se déclenche et elle apparaît, indiquant où se trouvent ses reliques. On les retrouve, les ramène à Palerme, ce qui fait cesser la peste. Depuis, elle est la  patronne de Palerme qui la fête le 4 septembre.

p. 126 : "non olet / optime faeminam ac conturbernium olet" : la pensée du Prince qui "brave l'honnêteté" s'exprime donc en latin. Approximativement : "elle ne sent pas", sous entendu l'odeur du grand-père, "elle sent magnifiquement la femme et le gynécée." Image qui n'est pas très loin du "parfum de paradis" que don Ciccio confèrera à Angelica un peu plus loin et qui agacera d'autant plus don Fabrizio qu'elle rejoint sa propre pensée. [merci à Claire, Violaine et Marcos pour leurs explications]

p. 126 : Rutilio Benincasa : écrivain (1555- vers 1626) auteur d'un Almanach Perpétuel, imprimé à Naples pour la première fois en 1593, constamment réédité et retouché périodiquement (en particulier par Ottavio Beltrano). Les almanachs étaient des calendriers  donnant les divisions de l'année, les fêtes, les cours de la lune et des informations diverses sous formes de proverbes, de dictons, de courts récits.

p. 126 : Aristote : philosophe grec du IVe siècle av. J.-C., donné ici comme référence essentielle de la pensée, de la connaissance.

p. 129 : Don Quichotte et Sancho : les deux personnages de Miguel Cervantès, écrivain espagnol, 1547-1616, dans Don Quichotte (1605-1615). Le premier symbolisant l'idéal, le rêve, l'autre la réalité, le prosaïsme. Mais la remarque signale une intervention du narrateur et une mise à distance des personnages.

p. 129 : Un de ces tableaux historiques : La Reddition d'Ulm, peinture de Charles Thévenin, 1805 ; Reddition de Mantoue, peinture d'Hyppolite Leconte.

p. 130-31 : Pallas Athena, Ulysse : référence aux épopées homériques (L'Iliade, L'Odyssée). La déesse Athéna est la protectrice d'Ulysse et combat à ses côtés.

p. 134 : Rue Condotti : par métonymie, l'Ordre de Malte qui possède dans cette rue romaine son palais magistral.

p. 136 : Marvuglia, Giuseppe Marvuglia, architecte sicilien, 1729-1814.

p. 136 : Serenario, Gaspare Serenario, peintre sicilien, 1707-1759, a décoré à Palerme de nombreux palais.

p. 138 : Tithon et Bérénice : mauvaise prononciation de Sedara, et confusion entre Triton (fils de Neptune) et Titus (empereur romain de 79 à 81) amoureux de la reine Bérénice qu'il ramène de Jérusalem mais renonce à épouser devant l'opposition des Romains. Racine et Corneille en ont fait tous deux un sujet de tragédie : le premier, Bérénice, 1670,  le second, Tite et Bérénice, 1670.
Dans tous les cas, la formulation dénonce l'inculture de Sedara, tout autant que sa perception d'une noblesse des Salina remontant proprement à des temps immémoriaux. Elle est un fait, non un processus historique. A moins que ce ne soit aussi un moyen d'en souligner l'absurdité. Et peut-être tout cela à la fois.


p. 138 : Ferdinand IV  : (1751-1825) roi de 1767 à 1825. Devient Ferdinand Ier, roi des deux Siciles, en 1816, pour simplifier puisqu'il était à la fois Ferdinand IV roi de Naples et Ferdinand III, roi de Sicile (l'île) ; père de François Ier et grand-père de Ferdinand II. Ce qui rend les prétentions nobilaiires de Sedara bien ridicules parce que sans commune mesure avec la noblesse, qui s'estime légitime, du Prince, remontant au Moyen-Age.

p. 138 :  ségréage : terme de droit féodal correspondant à un pourcentage sur l'exploitation des bois.

p. 138 : accointance : connaissance, personne qui peut résoudre une question. Le terme connote des idées de "trafics", manipulations diverses.


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