Loup
y es-tu ? Le loup dans la langue française
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calendrier de 1539, mois de décembre (BnF, ms fr 1472) |
Illustration de Félix Lorioux pour la fable de La Fontaine dans
une édition de 1949.
Notons la disproportion des
animaux, la noirceur du loup, le couteau
gigantesque, la cape d'un beau rouge pourtant rapiécée. Le loup en
bandit des grands chemins rappelle que, depuis qu'il y a des écrits
relatifs au loup, sa première caractéristique est celle de la rapine,
d'où l'adjectif "ravisseur" ou "ravissant" qui lui est
systématiquement attribué.
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Le "loup" dans la langue aujourd'huiParmi les animaux sauvages de l'hémisphère nord, le loup semble avoir été, de tous temps, celui qui a suscité les réactions les plus extrêmes. Vénéré par les peuples de cueilleurs-chasseurs, autant en Amérique du Nord que dans les forêts sibériennes ou les steppes mongoles, il est exécré dans les populations sédentaires de l'Europe du sud ou de l'ouest. Ses méfaits, le danger qu'il représenterait, même lorsqu'il a disparu, comme en France au XXe siècle, continuent de se véhiculer dans les contes, dans les proverbes, dans des comparaisons ou métaphores encore utilisées, ainsi d'un personnage de L'Arbre-monde (Powers, 2019) qui ne trouve pas d'image plus adéquate pour exprimer la férocité avec laquelle elle a été attaquée par des collègues en désaccord avec elle (ce sont des biologistes) : ""—Une vraie meute de loups. Ils ne voulaient pas seulement me démentir. Ils voulaient du sang !" (traduction Serge Chauvin, 10x18, 2018, p. 337)Au fil des siècles, les livres de proverbes comme les dictionnaires rapportent nombre de formulations mettant le loup à contribution. Il en reste peu aujourd'hui, mais certaines locutions ont persisté, comme "avoir une faim de loup", "faire un froid de loup", "marcher à pas de loup", "aller à la queue le leu", "être connu comme le loup blanc" ou encore "entre chien et loup" définissant ce moment indécis du crépuscule. On continue de rencontrer des "jeunes loups" d'autant plus dangereux qu'ils "ont les dents longues". On peut aussi "tomber dans la gueule du loup" ou "se jeter dans la gueule du loup", de même que l'on ne néglige pas de faire remarquer que "quand on parle du loup on en voit la queue", formule déjà répertoriée aux XIIe/XIIIe siècles sous la forme "Qui dou louf parole, pres en a la coue". Le "Grand méchant loup" est encore invoqué, quoique le plus souvent sur le mode ironique, pour nommer une situation, un personnage, un événement suscitant une peur intense, le plus souvent non totalement fondée. Ainsi fait Laurent Guillaume dans Mako (2010), où un policier excédé interpelle ses collègues : "on dirait une bande de pucelles qui va à son premier rendez-vous avec le loup !" (p. 138) et l'image se poursuit avec "bande de chaperons rouges", l'expression "notre grand méchant loup", à l'origine de ces images, y désigne une crapule de première catégorie, certes, mais en tout état de cause un bandit, et rien de plus. La connotation de prédateur sexuel n'est pas une nouveauté née de la psychanalyse, comme il est souvent dit, puisqu'elle est inscrite dans la morale du conte de Perrault, avertissant les "jeunes filles / Belles, bien faites et gentilles" contre les beaux parleurs : "Je dis loup, car tous les loups / ne sont pas de la même sorte". Le même Laurent Guillaume intitule l'un de ses romans policiers Là où vivent les loups (2018), reprenant une ancienne expression, répertoriée par Larousse dans son Grand dictionnaire universel, "Un pays de loups" qu'il glose ainsi "pays à demi sauvage, contrée dont les habitants sont excessivement grossiers" ("grossier" à entendre au sens d'ignorants, non éduqués). Le titre du roman est à double sens, d'une part indicateur géographique désignant une région montagneuse des Alpes, et métaphorique désignant des hommes que la défense de leurs intérêts conduit à tout, y compris au meurtre. Lexis (1995) notait encore : Enfermer le loup dans la bergerie ("mettre quelqu'un là où il peut faire le plus de mal"), Hurler avec les loups ("se joindre avec ceux qui attaquent, critiquent quelqu'un ; faire comme les autres". Ce sens négatif n'a pas toujours été le seul), "Il fait noir comme dans la gueule d'un loup", expression caractérisant un endroit particulièrement obscur. Le point commun de toutes ces locutions réside dans le caractère inquiétant de l'animal évoqué. Elles sont toutes très anciennes ; toutefois, entre le XVIe et le XIXe siècles, les dictionnaires, les répertoires de proverbes en donnent des listes beaucoup plus longues et souvent amusantes. |
Et autrefois ?D'abord, se rappeler que jusqu'au XIXe siècle, les loups sont une réalité sur les terres de France même si, depuis au moins Charlemagne qui crée le corps de Louveterie (en 813) spécialisé dans la chasse au loup en vue de son extermination, l'animal est, partout et tout le temps, chassé, tué (pièges, poisons), ses tanières recherchées, les portées de louveteaux massacrées autant que possible. Cette réalité, présence et guerre incessante, explique la place qu'il occupe dans les manières de parler, dans les images qu'il suscite. D'autant plus sans doute qu'il est depuis longtemps un animal particulier dans les représentations symboliques en occident.Les répertoires de proverbes et les dictionnaires, comme on s'en doute, se copient les uns les autres. La sélection des locutions et proverbes qui suit s'est faite à l'aide d'Antoine Oudin, Curiositez françoises, pour supplement aux dictionnaires ou Recueil de plusieurs belles propriétez, 1640 ; de Furetière, Dictionnaire universel, 1690 ; du Dictionnaire de Trévoux, mis en oeuvre par les Jésuites dont la première publication date de 1704 et la sixième édition (augmentée) de 1771 ; de Pierre-Marie Quitard, Dictionnaire des proverbes, 1842 ; de Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, tome 10, p. 726 sq, 1873; de Claude Duneton et Sylvie Claval, Le Bouquet des expressions imagées, 1990. Nul ne s'étonnera d'y découvrir un loup conforme en tous points à un imaginaire qui remonte à l'antiquité gréco-latine : un dangereux prédateur à la gueule largement ouverte, armé de dents dévoreuses parce que toujours mû par son "grand appétit", dont il faut se garder, rusé comme dans les fables, poltron à l'occasion ; parfois, il apparaît comme le dragon dans les contes médiévaux pour le chevalier, la pierre de touche du courage et de l'expérience. Il répond le plus souvent à l'idée qu'en transmet Buffon dans son Histoire naturelle, une bête solitaire et cruelle, un nuisible à éliminer. |
Quand on a des filles, on est toujours berger Dessin de Grandville dans Cent
proverbes illustrés,
1845. Une version inverse de l'expression "avoir vu le loup" : à
l'arrière-plan le loup guette, fort élégant, tenant son chapeau haut de
forme derrière lui, légèrement incliné. La jeune fille de droite
présente sous son chapeau un profil de brebis, signe humoristique de la
séduction déjà à l'oeuvre.
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A chair de loup, dent de chien
: "Proverbe qui s’applique dans le même sens que : À rude âne rude
ânier. — À méchant méchant et demi. Les Danois disent très
originalement : Dur contre dur, s’écriait le diable en opposant son
derrière au tonnerre." (Quitard) A chair de loup sauce de chien : à un méchant un plus méchant pour le châtier (Antoine Oudin) L'âne de plusieurs le loup le mange : proverbe qui apparaît sous forme de conte illustré dans les Cent proverbes illustrés de Grandville dont la morale semble être qu'un bien changeant trop souvent de mains se déprécie jusqu'à sa disparition. A pas de loup : toujours utilisé, signifie "marcher sans bruit", Antoine Oudin disait "doucement et finement" et le Dictionnaire de Trévoux précise: "On dit aussi, Marcher à pas de loup, pour dire, doucement, et pour surprendre quelqu’un." Et Larousse, à son tour, insiste sur le caractère subreptice de ce pas: "doucement, sans faire de bruit, en se cachant, comme un loup qui s'approche de la bergerie." Aller à la queue leu leu: aller l'un derrière l'autre comme les loups. le premier "leu" est article, le second la forme ancienne de "loup". Furetière signale qu'il s'agit d'un jeu d'enfant (article "Queue") : "Les enfants ont un jeu qu'ils appellent à la queüe leu leu, quand ils se tiennent l'un l'autre par la robbe en marchant. Leu est un vieux mot qui signifiait autrefois loup, comme s'ils imitaient les loups, qui marchent ainsi à la queüe l'un de l'autre." Duneton (La Puce à l'oreille, 1978) rappelle que ce jeu, parfois appelé aussi "le petit train" est "toujours amplement pratiqué dans les écoles maternelles". A l'article "Loup", c'est l'expression "queue à queue" que glose Furetière : "des gens vont queue à queue comme les loups, quand ils s’entresuivent, quand ils arrivent l’un après l’autre. Car on dit que quand la louve est en chaleur, il y a une grande traînée de loups qui la suivent queue à queue, comme dit Phœbus de Foix en son livre de la Chasse." Explication que reprend le Trévoux. Avoir une faim de loup : Larousse ajoute "un appétit de loup", grande faim, "se dit à cause de la voracité de l'animal". L'expression est toujours en usage. Avoir des dents de loup : avoir faim, manger voracement, "avoir les crocs" ; progressivement, c'est le sens figuré qui l'a emporté, être ambitieux, "avoir les dents longues", comme dit une autre locution. Les dents de loup jouent un grand rôle dans l'imaginaire relatif à l'animal, les chasseurs de la préhistoire en faisaient des colliers. La croyance que faire porter une dent de loup à un enfant aidait à sa dentition est répertoriée par Pline et encore active en France au XVIIIe siècle, puisque rappelée dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Avoir un courage de loup : "avoir une fausse bravoure contre des gens hors d'état de se défendre" (Larousse). Aujourd'hui, certains croient y lire "un grand courage" (ce qui peut se justifier à la lecture de Vigny), témoignage d'un changement de point de vue sur le loup. Avoir vu le loup : l'expression recouvre plusieurs cas de figure. 1. ne pouvoir parler à cause d'un rhume (Oudin), les loups étant crédités d'une voix rauque. Le Dictionnaire de Trévoux précise "On dit d’un homme enrhumé, qu’il a vu le loup : ou plutôt on devrait dire, que le loup l’a vu le premier, suivant ce mot des Bucoliques de Virgile, Lupi Mœrim videre priores (Quelque loup aura vu Meris le premier). C’est une erreur populaire fondée sur un passage de Pline ; mais ce passage de Virgile fait voir que l’erreur est plus ancienne que Pline." La citation de Virgile provient de la 9e églogue des Bucoliques. De fait, l'idée est bien plus ancienne puisqu'on la trouve déjà chez Platon, La République, I-336d. Les Evangiles des Quenouilles (XVe s.) expliquent différemment cet enroument : "Se le loup poeult une personne approchier a sept piés pres et le veoir en la face, de son alaine rend la personne tant enroué qu’il ne poeult crier" (Si le loup peut approcher quelqu'un à 7 pieds et regarder son visage, son haleine le rend si enroué qu'il ne peut crier.) Une autre expression de même sens dit "Il a crié au loup", ainsi s'enroue-t-on à force de crier. 2. avoir affronté l'ennemi (Oudin). Trévoux ajoute "On le dit aussi de celui qui a vu le monde, qui est aguerri et expérimenté". 3. pour une jeune fille, ne plus être vierge (Alfred Delvau, 1867, Dictionnaire d'argot). Antoine Oudin ne relève pas ce sens ; peut-être faut-il en créditer la morale du Petit Chaperon rouge de Perrault qui fait de ce conte un avertissement sexuel aux jeunes filles assez naïves pour ne pas se méfier du "loup" : "Je dis loup, car tous les loups / Ne sont pas de la même sorte." |
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Ce que fait la louve plait au loup Dessin de Grandville dans Cent
proverbes illustrés,
1845. Grandville propose ici une image positive des loups : une famille
heureuse, la louve regarde le loup qui tient dans ses bras l'un de
leurs enfants, cependant que deux autres jouent sur ses genoux. La
posture dressée du père renforce l'identification. Aucune menace
n'émane de ce groupe.
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Brebis
comptée, le loup la mange
(brebis comptées, le loup les mange) :
construit probablement sur cette formule de la 7e églogue (Bucoliques) de Virgile, "Là, nous
craignons autant le
souffle glaçant de Borée, que le loup le nombre des agneaux, un torrent
sa rive". (Hic tantum Boreae curamos
frigora, quantum aut
numerum lupus
aut torrentia flumina ripas). Semble apparaître, en français, au
XVIe
siècle. Trop de précautions nuit. Autre possibilité : là où il y a gain, il y a perte et/ou dépense. Autre interprétation : "celui qui entend utiliser la force n'a jamais de scrupules" (Renzo Tosi, Dictionnaire des sentences latines et grecques, 2010) Grandville, et ses complices, en font un conte plaisant où le berger cesse de compter ses brebis, s'adonne aux charmes de la musique et, finalement, charme aussi le loup qui en oublie d'attaquer ses bêtes. Ce sont des agnelles de La Ferté, dont il ne faut que deux pour étrangler un loup : la formule est donnée par Larousse, "ce sont des femmes qui ne sont douces que d'apparence. Se dit par allusion à ce fait que les soldats de la garnison de La Ferté se déguisèrent en femmes pour surprendre l'ennemi." L'événement se serait passé en 1590 et n'est pas aussi glorieux que voudrait le laisser croire la formule. La ville assiégée avait obtenu de laisser sortir les femmes, ce qui donna l'idée du stratagème. "La Porte Saint Julien conserve, sur les parties hautes de la tour sud, les traces du siège de 1590 quand, pendant les guerres de religion, une armée d'Henri IV, dirigée par le prince de Conti, vint assiéger cette ville catholique, possession de la famille de Guise. C'est au cours de ce siège qu'eut lieu le célèbre épisode des agnelles de la Ferté. Des soldats déguisés en femmes tentèrent de piéger les troupes protestantes du prince de Conti ; mais la ruse échoua et la ville dut se rendre." Ce que fait la louve plait au loup : parfois inversé en "ce que fait le loup à la louve plait". A peut-être le sens d'une mise en garde devant les différences ; ce qui ne me convient pas ou à mon groupe, peut très bien être satisfaisant, voire valorisé par un autre. Tenons compte du contexte, et non de notre seul point de vue. C'est un vrai loup-garou "un homme qui fuit la conversation" (Antoine Oudin) ; "un homme bourru et fantasque qui ne fréquente avec personne et qui mène une vie cachée, qui vit seul et éloigné de toute compagnie" (Furetière). L'expression s'est simplifiée en "C'est un loup", "Il vit comme un loup". Connu comme le loup blanc : formule hyperbolique pour signifier "extrêmement connu, connu de tout le monde" et Larousse signale que la couleur n'a guère d'importance puisqu'il donne en doublet "comme le loup gris", animal plus courant en France que le loup blanc. Rey, dans son Dictionnaire historique (Laffont), répertorie" regarder comme le loup blanc" (en renvoyant à la date de 1200 : "comme blanc leu"), c'est-à-dire "comme une chose extraordinaire". Trévoux dit, lui, " Il est décrié comme le loup blanc" ce que reprend Larousse en ajoutant "avoir une détestable réputation". On dirait donc que la formule d'origine stigmatisait celui auquel elle s'appliquait. Courir un homme comme un loup gris : le poursuivre avec ardeur (Larousse). L'expression (qui a disparu) témoigne bien des politiques d'extermination contre l'animal. Danser le branle du loup / la danse du loup la queue entre les jambes : Le "branle" est "une ancienne danse des XVIe et XVIIe siècles au mouvement vif que les danseurs exécutaient en se donnant la main." TLF Deux interprétations à cette formule. La plus répandue, puisque trouvée aussi bien dans le Trévoux que chez Larousse, "fuir vivement et avec effroi". Le Trévoux entre dans le détail explicatif en proposant un dialogue entre deux personnages (les Jésuites accordaient une fonction didactique au théâtre): |
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Folle est la brebis qui au loup
se confesse.
Dessin de Grandville dans Cent
proverbes illustrés, 1845.
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" COSME. Tu parles
haut, comme
si j’étais sourd. SIMPLICIEN. Par-là vous pouvez connaître que je ne
danse pas le branle du loup, la queue entre les jambes, c’est-à-dire,
que je n’ai point de peur. COSME. Il est vrai que le loup étant un
animal cruel et lâche, porte ordinairement la queue entre les
jambes, qui est un signe de sa lâcheté et de mauvaise nature,
aussi-bien que de celle du chien, duquel un Poëte a dit que les chiens
de mauvaise race replient leur queue sous le ventre. Degeneresque canes caudam sub ventre reflectunt." Le second sens apparaît dans Le Dictionnaire Comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial de Philibert Joseph Leroux, Amsterdam, 1715: "Signifie en mots couverts, prendre ses plaisirs avec une femme. On dit ordinairement danser le branle du loup la queue entre les jambes." Danser comme un loup autour du puits : faire quelque chose en vain (formule grecque citée par Pastoureau, Le Loup. une histoire culturelle) Discours au vieux loup : impertinence, sans doute parce que s'adressant à quelqu'un d'expérimenté en la matière. Donner la brebis à garder au loup : mettre entre les mains de quelqu'un quelque chose qui court grand risque avec lui. Enfermer le loup dans la bergerie : Guiraud (Les Locutions françaises, 1980) note, lui, "Installer le loup dans la bergerie" et souligne que l'image du loup est toujours celle de la voracité. "Laisser quelqu'un dans un lieu où il peut faire beaucoup de mal", Napoléon Landais, 1836. Les images de bergeries, brebis et agneaux dans leur opposition avec le loup sont récurrentes. La formulation remonte à Plaute "Lupos apud oves... linquere" (laisser les loups près de la bergerie) et désigne une action particulièrement imprudente; Ovide, par exemple, s'en sert (Ars amatoria) pour qualifier la sottise de Ménélas s'absentant en laissant Pâris auprès d'Hélène... On connaît la suite. L'expression s'utilisait aussi en médecine pour désigner une plaie mal traitée qui suppurait et qu'il fallait rouvrir. On utilise aussi "Faire entrer le loup dans la bergerie" pour caractériser une action inconsidérée consistant à laisser "l'ennemi" (physique ou idéologique) s'installer dans une place (assemblée ou autre). En fuyant le loup on rencontre la louve : tomber de Charybde en Scylla, passer d'un danger à un autre. Entre chien et loup : au crépuscule, du soir (mais aussi du matin pendant longtemps), à cette heure indécise où on ne peut reconnaître un chien d'un loup. Notons aussi que le chien semble appartenir au jour et le loup à la nuit, ce qui s'entend sur le plan symbolique. Trévoux ajoute "cette expression est ancienne en France, elle se trouve dans Marculfe. Infra horam vespertinam, dit-il, inter canem & lupum, &c." Etre à la gueule du loup : se trouver en grand danger, mais avec encore une possibilité d'y échapper. Tomber dans la gueule du loup : être dans une situation périlleuse, n'avoir pu éviter un piège |
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La faim chasse le loup du bois Dessin de Grandville dans Cent proverbes illustrés, 1845. A noter que Grandville fait ici une satire sociale, le loup maigre, mal vêtu, en prolétaire voleur de pain, accompagné d'un enfant regardant avec envie ce pain (pour le XXIe siècle, l'image évoque inévitablement Les Misérables et Jean Valjean), interpellé par un bourgeois bien gras. Le loup sort ici du stéréotype, il est plus victime que bourreau, du moins d'un point de vue contemporain. |
Se jeter dans la gueule du loup
: agir avec imprudence en allant au devant de ce qu'on devrait éviter.
Ces trois expressions sont encore en usage, quoique la première soit
rare. Elles marquent une progression dans une situation difficile. La faim fait sortir le loup du bois : XVe siècle "la nécessité contraint les gens à travailler ou à mendier" dit Furetière, mais peut aussi s'interpréter comme mise en garde, la nécessité conduit à faire des sottises ; "pour dire, que la nécessité contraint les gens à travailler, ou à mendier. Villon dit en son Testament «nécessité fait gens méprendre, & fait saillir le loup du bois»." précise Trévoux. La formule apparaît dans la XXIe strophe du poème. Faire le loup plus grand qu'il n'est : "donner à entendre qu'un homme est plus riche ou plus méchant qu'il n'est" (Oudin) Folle est la brebis qui se confesse au loup : la même idée est fournie dans une autre formulation "Folle est la poule qui au renard se confesse". Dans les deux cas, il s'agit pour la future victime de se confier à son prédateur. Mise en garde pour les jeunes filles, comme dans Le Petit chaperon rouge? Ne pas faire confiance aux hommes, tous de potentiels prédateurs ? Froid de loup : Larousse commente "Grand froid, froid très vif, probablement parce que les loups se montrent surtout pendant les rigueurs de l'hiver" La guerre est la soeur du loup : 1. elle fournit au loup une nourriture abondante et peu coûteuse en efforts, 2. les hommes ne s'occupant plus des loups, ils peuvent se multiplier. F. de Beaufort (Le Loup en France, 1987) signale qu'avant sa disparition, dans les années 1930, le loup a connu en France deux sursis, la guerre de 1870 et celle de 14-18. Heureux come le chien de Brusquet qui alla au bois, et le loup le mangea : Oudin, à l'article "chien", y lit le sens de "malfortuné" (malchanceux), et juge l'expression vulgaire ; il y est aussi fait mention dans La Comédie des proverbes, attribuée à Montluc (III, 7), sous la forme "aussi chanceux que le chien de Brusquet" ; évocation aussi dans le Dom Juan de Molière. La formule est, bien sûr, ironique. Brusquet serait Lombard, fou de François Ier, qui remplaça Triboulet dans cette fonction. Son histoire est racontée par Paul Lacroix dans Les deux fous : histoire du temps de François Ier, 1837. Charles Nodier a imaginé une histoire pour expliquer la formule. Brusquet y devient Brisquet, et le chien un héros sauveur de petits enfants, quoiqu'il finisse quand même tué par le loup, Histoire du chien de Brisquet. Histoires au vieux loup : sottes histoires, fables (Antoine Oudin) L'homme est un loup pour l'homme : Homo homini lupus, la formule remonte à Plaute (dramaturge latin, 254 - 184 av. J.-C.). Dans L'Asinaire (La Comédie des ânes) le dramaturge fait dire à un personnage : "L’homme qu’on ne connaît pas n’est pas un homme, c’est un loup. " (II, 4, traduction Edouard Sommer, 1876), dans la traduction plus concise de Pastoureau "Tout inconnu ressemble à un loup." Le contexte est celui d'une somme d'argent qu'il refuse de remettre à un homme qu'il ne connaît pas sous prétexte que ce serait l'intendant de celui à qui il doit remettre l'argent. La formule n'a donc aucune valeur générale, sinon qu'il faut se méfier d'un étranger, qui peut être dangereux, ici en l'occurrence, un voleur possible (ce qu'il est de fait, dans la pièce). Hobbes va la transformer en généralité exprimant l'état de guerre permanent entre les hommes, dans l'état de nature : "la crainte permanente, et le danger de mort violente; et la vie de l’homme est solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève” ; l'organisation sociale, le politique, a pour but de mettre fin à cet état de fait. En échange d'une partie de leur liberté, au profit de l'Etat, les hommes acquièrent la sécurité qui permet le développement. Le dictionnaire de Trévoux précise que le mot "loup "se dit figurément aussi des "personnes malignes, médisantes, ou qui déchirent impitoyablement les autres. Les hommes sont des loups les uns aux autres." |
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Il faut hurler avec les loups Dessin de Grandville dans Cent proverbes illustrés, 1845. Le cabaret s'appelle "Au rendez-vous des dévoreurs". Le mot rappelle "dévorant" qui désignait un compagnon ouvrier que la littérature avait fait connaître, Balzac, Histoire des treize (1833), Sand, Le Compagnon du tour de France, 1840). |
Par exemple, dans Le Misanthrope
(Molière, 1666), Alceste qui vient de perdre un procès qu'il aurait dû
gagner, découragé par l'hypocrisie ambiante, s'écrie: "Tirons-nous de
ce bois et de ce coupe-gorge. / Puisque entre humains ainsi vous vivez
en vrais loups, / Traîtres, vous ne m'aurez de ma vie avec vous."(V, 1)
Hugo reprend la formule dans Notre Dame de Paris,
pour en faire l'une des devises inscrites sur les murs de l'antre de
Claude Frollo, dans la tour de la cathédrale, "Homo homini monstrum"
(VII, 4), le loup est devenu" monstre". Il n'est chasse que de vieux loup : les vieillards ont de l'expérience (Oudin à "chasse") Il n'y a pas de méchant lièvre, ni de petit loup : tombé en désuétude, mais témoigne de l'acharnement à détruire les loups, par la comparaison implicite, tout lièvre est bon à manger ("méchant" ayant ici le sens de "trop petit", "trop maigre"), tout loup est bon à tuer. Jamais charogne n'a empoisonné loup : certaines explications vont dans un sens positif : savoir se contenter de peu, comme le loup ne trouvant pas de proie se contente d'une charogne ; certaines autres soulignent le caractère négatif de l'image : ce qui est mauvais ne nuit jamais au mal. Jeune loup (expression récente, 1966 dit Rey) : jeune homme ambitieux que l'on soupçonne de vouloir prendre la place de son supérieur (domaine du politique, de l'entreprise) Loup de mer : marin aguerri dont la première caractéristique est d'être vieux. Le loup mourra dans sa peau : "le méchant ne changera point ses mauvaises habitudes" (Oudin). La formule est illustrée dans de nombreuses fables, d'Esope à La Fontaine en passant par Marie de France. Manger comme un loup : voracement Manger en loup : manger seul Pendant que le chien chie, le loup s'en va : tandis que l'on s'amuse l'occasion se perd. vulg. (Oudin à l'entrée "chien" et non loup). Furetière note, lui, "Tandis que le loup chie, la brebis s'en va." Plus mignonne qu'un petit loup : formule assez curieuse parce que, dans la bouche du personnage (certes, ridicule) qui la profère, elle est un compliment. Une des très rares expressions où la référence au loup n'est pas négative. Se trouve dans La Comédie des proverbes (III, 3) Quand on parle du loup on en voit la queue : Quitard glose ainsi l'expression : "Proverbe dont on fait l’application, lorsqu’il survient une personne au moment où l’on parle d’elle. Cette personne est probablement assimilée au loup, parce que sa présence inattendue déconcerte et fait taire, de même que l’apparition subite du loup produit un étonnement et une crainte qui coupent d’abord la parole. Mais pourquoi est-il question de la queue du loup, au lieu de la tête qui semblerait plus convenablement rappelée ? C’est peut-être parce que cet animal, qui aperçoit ordinairement l’homme avant d’en être aperçu, se détourne rapidement pour s’enfuir, et ne se laisse voir que par derrière, et peut-être aussi parce que le mot queue forme une assonance, une sorte de rime, avec le mot leu (loup), qui figura primitivement dans le proverbe." et il conclut par cette précision : "Le peuple parisien n’emploie guère que dans une acception de blâme le proverbe 'Quand on parle du loup on en voit la queue'. Toutes les fois qu’il veut montrer de la politesse ou s’exprimer dans un sens d’éloge, il ne manque pas d’y substituer une de ces phrases poétiques : Quand on parle du soleil on en voit les rayons. — Quand on parle de la rose on en voit le bouton." |
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Dessin de Grandville dans Cent proverbes illustrés, 1845. La caricature joue sur deux tableaux : elle illustre le proverbe et elle critique, par la même occasion, le monde des avocats et de la justice. |
Le proverbe est fort ancien, il est
répertorié sous la forme "Qui de lou parole, pres en voit la quoie"
dans les Proverbes ruraux et vulgaux,
au XIIe siècle. Il faut hurler avec les loups : faire la même chose que les autres, exprime une forme de civilité, cf. Oudin "il se faut accommoder aux personnes avec lesquelles on se rencontre", repris par le Trévoux "il faut s’accommoder à l’humeur de ceux avec qui on a à vivre." Puis la formule se fait péjorative, traduisant un conformisme social de mauvais aloi, avec une connotation d'hypocrisie, par exemple dans cette exclamation de Paul-Louis Courier : "Les éloges sont à la mode : il faut hurler avec les loups ; d'autres disent braire avec les ânes" (Lettres écrites de France et d'Italie, 25 juillet 1813). Les loups ne se mangent pas entre eux (au XVe : "Un loup ne mange point l'autre", Pastoureau signale aussi au XVIe "le loup ne mange pas la chair du loup") Le dictionnaire de Trévoux : "On dit encore, que la guerre est bien forte, quand les loups se mangent l’un l’autre, (autre version "Mauvaise est la saison quand un loup mange l'autre") ou que les loups des bois ne s’entremangent pas, pour dire, que les gens d’une même profession s’entresoulagent : ce qui se dit des Auteurs ou des gens de même profession, lorsqu’ils se déchirent, ou qu’ils plaident les uns contre les autres." La lune est à couvert des loups : "Ce proverbe vient du Latin, Luna tuta à lupis" signale Furetière. Larousse en fait une interprétation sociale "Dans les rangs élevés de la société, on n'a rien à craindre des personnes de basse condition." Quitard généralisait, quant à lui, "C'est aussi une opinion populaire que les loups ne peuvent souffrir la clarté de la lune, et qu'ils poussent des hurlements à sa vue. De là le proverbe traduit du latin [....] pour marquer l'impuissance des critiques et des envieux contre un mérite supérieur. Ce proverbe, dans le moyen âge, s'appliquait particulièrement aux impies vainement déchaînés contre l'Eglise, dont la lune est le symbole mystérieux." Prendre un loup par la queue : "entreprendre une chose dangereuse" (Oudin) Quand le loup est pris tous les chiens lui lardent les fesses : "Quand un homme est attrapé ou arrêté tout le monde l'accuse ou lui court sus" (Oudin) Pour Larousse, le sens est "Quand un puissant est tombé, les gens de bas étages se déchaînent contre lui". Qui se fait brebis, le loup le mange : mise en garde contre la faiblesse et vision plutôt pessimiste des rapports humains. La brebis, déjà dans la Bible, est l'animal emblématique de la faiblesse et de la docilité. C'est un proverbe médiéval (Quisquis ovem simulat, hunc lupus ore vorat). Antoine Oudin fournit cette variante : "qui se fait beste le loup le mange : qu'il ne faut pas souffrir tout avec lâcheté." Qui est le dernier le loup le mange : "Il faut être toujours des premiers à faire une chose" (Oudin) Savoir la patenôtre du loup : formule répondant à une menace par une menace voilée en retour, par "allusion à une prière ainsi nommée à laquelle la superstition du moyen âge attribuait la vertu d'éloigner le loup des bergeries" (Duneton citant Quitard, 1842) Tenir le loup par les oreilles : caractérise une situation difficile à résoudre car le sujet dans tous les cas de figure est perdant. Ou encore "On dit qu’on tient le loup par les oreilles, quand on est embarrassé dans une affaire douteuse, et où l’on envisage du péril de tous côtés. "Auribus teneo lupum" (Je tiens le loup par les oreilles) est déjà cité comme proverbial par Terence qui le glose au vers suivant "Je ne sais de quelle façon le lâcher ni comment le retenir". Larousse glose de même : "Etre dans une situation pénible dont on ne peut sortir sans courir un grand danger, comme serait un homme qui, tenant un loup par les oreilles, ne saurait le lâcher sans s'exposer à être dévoré." Vieux loup : Larousse glose "vieillard matois et rusé" |
Que retirer de
cette promenade dans le bois des formules toutes faites, en sus du
plaisir de s'y promener ? D'abord, une certaine compréhension de
la façon dont "la peur du loup" se répand et se conforte, avec ou sans
l'animal réel dans un paysage. Locutions et proverbes insistent, en
effet, sur le caractère dangereux de l'animal et en particulier sur sa
propension à dévorer ce qui se trouve sur son chemin (la gueule, les
dents sont le plus souvent mis en avant, sans compter le verbe "manger"
qui est, de toutes ses activités, celle qui est le plus souvent
évoquée). Ces rappels réitèrent ainsi ce que les fables disent depuis
toujours, que le loup est l'animal affamé par principe. Le danger qu'il
représente sert, par métaphore, à caractériser toute autre entreprise
risquée. Si cet animal est dangereux, c'est aussi qu'il est perçu comme puissant, et que face à lui, tout devient proie, c'est-à-dire "brebis" ; la puissance des mâchoires s'alliant dans l'imaginaire à la puissance sexuelle, elle-même caractérisée par la violence, et la majorité des dictionnaires en veulent pour preuve le discours de Gaston Phebus dans son Livre de la chasse, le loup est perçu comme la figure même du prédateur. C'était déjà le cas dans les fables de Phèdre (écrivain latin, Ier siècle de notre ère) qui en faisait l'image du puissant, au premier chef, l'empereur, comme cela le sera pour Marie de France qui fait de lui l'image du grand seigneur abusif et oppresseur. Qu'il croque sa proie au sens propre ("Le Loup et l'agneau") ou au sens figuré (Le Petit chaperon rouge), le loup reste toujours l'image du "méchant". Images que les sermons transportaient aussi puisque si Quitard (1832) rappelle que l'Eglise qualifiait de "loups" les hérétiques (ou ceux qu'elle jugeait tels au Moyen Age), Furetière (1690) le confirme pour son temps, les hérétiques étant alors les Protestants (l'Edit de Nantes qui les protégeait a été révoqué en 1685), lesquels trouvaient souvent refuge dans les forêts. Cette acception particulière provient de la Bible qui fait du loup l'incarnation de l'ennemi du peuple de Dieu, souvent déguisé sous la peau d'une brebis: "Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous couverts de peaux de brebis, et qui au dedans sont des loups ravissants." (Mathieu, 7-15, traduction Lemaître de Sacy). Comme le signale aussi Furetière, le peuple appelle loup, "pattes de loup, pattes pelues", ceux qu'il soupçonne de sorcellerie. |
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C'est ainsi que le loup est
toujours la figure de l'Autre. Par exemple, dans le livre de
Grandville, Cent proverbes illustrés
(1845) le loup figure souvent les travailleurs. L'ouvrier, dans le
regard du bourgeois, est dangereux, comme le rappelle le titre du livre
de Louis Chevalier, Classes
laborieuses et classes dangereuses (1958).
Selon les époques et les sociétés, le loup représente ceux qui
inquiètent le plus les gens en place et en même temps, dans un
mouvement inverse, il est la figure d'un pouvoir contre lequel il est
difficile, sinon impossible de se défendre. Le loup, après avoir été le
grand seigneur, est devenu le patron ou
le propriétaire. Mais ces proverbes et locutions mettent aussi en évidence une vie sociale perçue comme violente, fondée sur l'opposition des faibles et des forts, où il faut se garder de montrer sa faiblesse. Le monde appartient aux loups et pour y survivre, il convient d'en prendre les allures, à tout le moins. Le loup est, de tout les animaux du bestiaire symbolique, la figure à la fois la plus durable, et aussi la plus complexe. Cette complexité expliquant sans doute sa longévité, même dans des espaces où il n'est plus guère présent. |