La Dame de Monsoreau, Alexandre Dumas, 1846

coquillage


Le contexte

     La Dame de Monsoreau appartient à un ensemble dit "cycle des Valois" qui comprend divers romans et la première pièce de théâtre de Dumas, celle qui, en 1829, lui vaut célébrité et succès, à la fois pour lui et pour la jeune scène romantique qui s'affirme, Henri III et sa cour.
Mais l'originalité de Dumas est relative. Tous les romantiques ont la fibre historique et cette période tumultueuse de l'histoire de France, celle des guerres de religion qui s'étend sur presque tout le XVIe siècle, depuis l'affaire des Placards (1534) jusqu'à la signature de l'Edit de Nantes (1598), et ensanglante périodiquement le royaume, puisque huit guerres vont se succéder entre l'exécution d'Anne du Bourg (1559) et la prise de Paris par Henri IV, en 1594, les a particulièrement intéressés. Le sujet est si à la mode que Balzac prête au héros des Illusions perdues dont la publication commence en 1837, Lucien de Rubempré, la rédaction d'un roman intitulé L'Archer de Charles IX et que Mérimée a signé une Chronique du règne de Charles IX (1829). Les romanciers ne sont d'ailleurs pas seuls concernés, les historiens fournissent eux aussi leur tribut.
      A la fin de 1844, Dumas publie en feuilleton dans La Presse, La Reine Margot (du 25 décembre 44 au 5 avril 1845) ; puis le roman paraît chez Garnier, en six volumes, la même année. Le récit se situe entre août 1572 (18 août : le mariage d'Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, fille de Catherine Médicis et soeur du roi régnant, Charles IX / 24 août : le massacre de la saint Barthélémy) et mai 1594 (la mort de Charles IX).
      Il enchaîne aussitôt avec La Dame de Monsoreau (en feuilleton, dans Le Consitutionnel, du 27 août 45 au 12 février 46) qui paraît à la fin de l'année chez Pétion en huit volumes.
      En 1847, ce sera Les Quarante-cinq (feuilleton, dans Le Constitutionnel, du 13 mai au 20 octobre, suivi d'une publication chez A. Cadot, en dix volumes). Alors que le deuxième volume n'avait aucun lien avec le premier, sinon par le contexte historique, Les Quarante-cinq est vraiment la suite de La Dame de Monsoreau où se scelle le destin de tous les personnages. Dans un joyeux anachronisme, le romancier nous entraîne vers la Navarre où Henri se prépare à prendre le pouvoir, en commençant par récupérer Cahors (1580), vers les Flandres, où François d'Alençon devenu duc d'Anjou entend se faire sacrer roi (1580-83), à Château-Thierry où ce dernier meurt,  empoisonné par la dame de Monsoreau. Or François est mort en 1584 (de tuberculose) et le roman s'ouvre sur cette date : "Le 26 octobre de l'an 1585" qui est bel et bien l'époque où Henri III constitue sa garde rapprochée des 45.
    Mais l'intérêt de Dumas pour cette époque ne s'arrête pas là puisqu'en 1858, il revient sur cette période, mais pour une date bien antérieure, dans L'Horoscope qui se déroule sur quelques jours en 1559 ("Vers le milieu du mois de juin de l'année 1559") et dont le cadre historique est celui de l'exécution d'Anne du Bourg.
Tous romans travaillés en collaboration avec Auguste Maquet, parmi lesquels nous préférons La Dame de Monsoreau.




Alexandre Dumas

Lithographie de Léon Noël pour L'Artiste, 1832. Maison de Victor Hugo, Hauteville-House.





collection Nelson

Jaquette de l'édition Nelson, tome 1, 1931, représentant Diane de Méridor et la biche apprivoisée du parc du château paternel.

Un roman historique

     Le roman débute, comme toujours chez Dumas, par une date : "Le dimanche gras de l'année 1578..." Comme dans La Reine Margot, la fête qui ouvre le récit est lourde de dangers pour ses personnages. L'écrivain a puisé, dans les chroniques, pamphlets du temps, la plupart de ses personnages, mais en leur inventant des caractères et des aventures en grande partie imaginaires. Bien des éléments composant l'intrigue reprennent ceux de la pièce de 1829, en particulier, les divers aspects du complot visant à déposer Henri III et fomenté par les Guise (Henri de Guise dit Le Balafré, ses frères le cardinal de Lorraine et le duc de Mayenne, sa soeur, Madame de Montpensier), soutenus par François d'Alençon duc d'Anjou, le frère du roi, dont Dumas fait un personnage encore plus retors si possible que ce que nous en apprennent les historiens. L'histoire malheureuse de Saint-Mégrin et de la duchesse de Guise va trouver un écho aussi dans celle de Diane et de Bussy.
Le récit est resserré puisque tout se déroule en quelques mois, entre février et juin, avec un dernier chapitre simplement intitulé "Conclusion" formant épilogue, en septembre.
Dans son caractère plaisant de roman d'aventures mâtiné de roman sentimental, entre l'idylle du jeune couple formé par Jeanne et Saint-Luc, favori du roi exaspéré par son mariage, se réfugiant dans le château du baron de Méridor et celle de Bussy d'Amboise et de Diane de Méridor contrainte, malgré ses réticences, d'épouser le comte de Monsoreau, cette excursion dans le monde troublé et trouble de la seconde moitié du XVIe siècle est une occasion de réflexion sur le pouvoir, mais aussi sur les passions qui gouvernent les hommes et leurs actions. Guerres de religion ? c'est vite dit. Le monde que brosse le roman (comme celui de La reine Margot ou des Quarante-cinq, d'ailleurs) est celui de haines, d'appétits démesurés, de peurs, de manipulations de tous ordres, du haut jusqu'au bas de l'échelle sociale. Pour mettre en évidence cette noirceur générale qui fait bien mentir le mot de "Renaissance" accolé à ce temps, il fallait quelques personnages hors du commun.

Les personnages

     Comme chez Racine, les jeunes amoureux sont la pierre de touche. Jeanne de Cossé-Brissard et François d'Epinay de Saint-Luc sont jeunes, beaux, loyaux, généreux. Il en est de même de Bussy d'Amboise qui a toutes les qualités (généreux, courageux, loyal et amoureux dévoué et fervent), et tout autant de Diane. L'adultère de cette dernière est largement excusé par la traîtresse de celui qui lui a imposé un mariage, en manipulant les faits, en manipulant son malheureux père, pour ensuite faire croire à ce dernier que sa fille était morte.
Deux autres personnages complètent la galerie des héros, le jeune médecin, Remy le Haudouin qui se définit lui-même comme "un pauvre apprenti chirurgien" qui soigne Bussy (dans un grand mystère) et devient par là-même son ami. Ces amitiés, celle de Bussy et de Remy, celle de Bussy et de Saint-Luc, commencent dans la reconnaissance et sont indéfectibles. Rappelons que tous les romans de Dumas en font l'éloge. 





jaquette 1931 tome 2

Jaquette de l'édition Nelson, tome 2, 1931

Enfin, Chicot.
De tous les personnages, c'est la création la plus fascinante du roman (qui continuera à jouer un grand rôle dans Les Quarante-cinq). Chicot est le "fou" d'Henri III. Malgré tous les défauts de son maître, il l'aime et le protège du mieux qu'il peut tout en le morigénant souvent. Il apparaît comme une sorte de projection de l'auteur, chargé d'éclairer les différentes facettes des hommes de pouvoir (voire des femmes quand il s'agit de Catherine de Médicis). Personnage historique dont Jules Mathorez (1873-1823) retrace la biographie, en 1914, bien plus soldat que bouffon, Dumas en fait une manière de sage politique (dans Les Quarante-cinq, il lira Montaigne et se ralliera à Henri IV, dont il admire le sens politique, après la mort d'Henri III) qui, sous couvert de plaisanteries, dévoile la réalité des actions et des caractères des personnages. Dumas lui a conservé ses qualités militaires, c'est un combattant redoutable et un homme courageux, capable de se mettre dans des situations périlleuses pour le service du roi, malgré la peur qui l'étreint, parfois. Le roi a, de fait, grande confiance en lui. Ainsi, alors que Charles IX attend, après une énième brouille, un ambassadeur de son frère, que ses mignons envisagent de malmener, il regarde Chicot "Le roi, voyant Chicot réfléchir, se souvint que Chicot avait un jour, dans un point difficile qui s'était éclairci depuis, été de l'avis de la reine mère, laquelle avait eu raison.
Il comprit donc que Chicot était la sagesse du royaume, et il interrogea Chicot."
Mais c'est aussi, selon ce qu'exige le rôle, un personnage cocasse, dont l'amitié avec le gros moine quêteur Gorenflot, goinfre et porté sur la "dive bouteille", sot d'une bêtise pouvant conduire à tout, y compris à exciter le goût du meurtre de ses contemporains, vaut au lecteur quelques passages burlesques tant en situations qu'en dialogues. Le dramaturge, chez Dumas, n'est jamais loin, et nul ne sait mieux que lui trousser un dialogue qui, quelquefois peu utile pour l'intrigue, l'est toujours pour mieux comprendre un personnage.
Et puis, il y a le camp des "méchants" : les deux "affreux" de l'histoire sont d'abord François d'Alençon, ensuite Monsoreau, le grand veneur. Le premier, frère du roi, est depuis toujours dans cette histoire des Valois la bête noire de Dumas. C'est lui qui est responsable de la décapitation de La Mole et Coconas dans La Reine Margot, où il est même responsable de la mort de son frère, Charles IX, qu'il avait d'ailleurs essayé de tuer à la chasse (Dumas suit les pamphlets de l'époque, alors que le roi est vraisemblablement mort de maladie). Il ne rêve que de couronne et complote autant que faire se peut contre son frère, avec les Guise, avec Henri de Navarre, avec tous ceux qui, pour une raison ou une autre, à un moment ou un autre, lui prêtent main-forte. Le narrateur le définit d'emblée par cette convoitise, "cette ambition sourde et irrésolue qui, durant tout le cours de son existence, devait lui valoir tant de douleurs et rapporter si peu de fruits". Il est traître sur tous les plans, qui plus est lâche, toujours secondé par son confident- musicien- homme de main, Aurilly.
Le comte de Monsoreau, une brute, un soudard dont on ne sait trop s'il est amoureux de Diane, est, lui aussi, un traître de la plus belle eau. Supposé l'allié de François, il lui enlève la femme qu'il avait d'abord enlevée pour lui, il trompe celle-ci en lui faisant croire qu'elle est menacée, il trompe son père, mais il trompe aussi François puisqu'allié, en réalité, aux Guise. Le lecteur pourrait voir en lui un personnage racinien qui ne connaît de l'amour qu'une possession maladive où l'autre n'est qu'une chose.


jaquette Nelson tome 3

Jaquette édition Nelson, tome 3, 1931.
Les éditions Nelson ont choisi d'attirer les lecteurs en privilégiant l'histoire des amours de Bussy et de Diane.

Et les autres :
d'abord Henri III : le roi est un personnage complexe, mélange de faiblesse, de courage épisodique, de religiosité versant superstition qui croit aux fantômes, aux esprits, d'où le double tour qui lui est joué au début du roman. Double puisque d'une part Saint-Luc tente de le terroriser (ce à quoi il parvient) et que, d'autre part, sous prétexte de le protéger, Chicot avoue toutes ses mauvaises actions, pour le plus grand profit du lecteur. Un roi, fait ainsi remarquer, ailleurs, le narrateur, n'est qu'un homme : "un roi de ce temps-là surtout, un roi du seizième siècle [...] car un roi était en ce temps-là un homme, et la civilisation seule en a pu faire un fac-similé de Dieu comme Louis XIV, ou un mythe non responsable, comme un roi constitutionnel." (éd. Nelson, tome 3, p. 135). Actif par à-coups, plus impulsif que raisonnable, il n'est pas vraiment un roi à respecter, encore moins à admirer.
Ses Mignons ensuite, jeunes gens futiles et batailleurs, pour un oui ou pour un non, l'épée à la main. Courtisans plus soucieux d'obtenir des prébendes que de conseiller leur roi. Ils sont quatre (comme les mousquetaires et, s'ils ne manquent pas de panache, il leur manque tout le reste, et par exemple, se mettent à quatre pour tendre une embuscade à Bussy) : Schomberg, Maugiron, Quélus, d'Epernon. Le dernier, pour mettre le comble à la condamnation du lecteur trempera dans un sordide assassinat.
Catherine de Médicis, la reine mère, qui joue ici un rôle assez effacé, mais n'en reste pas moins la vraie tête politique du royaume.

Un roman d'aventures

     En inventant ses personnages tout en les puisant dans le réservoir de l'histoire, en les transformant de manière à leur faire incarner des qualités enviables (fidélité, loyauté, courage de Saint-Luc, Bussy et Chicot), tout en gommant leurs aspects négatifs que rapportent les historiens, pour qu'ils permettent, par comparaison, la dénonciation des aspects les moins honorables de l'humain (lâcheté, jalousie, envie, haine de François ou de Monsoreau) Dumas propose à son lecteur un récit plein de rebondissements, voire de surprises qui se succèdent à un rythme accéléré. Que l'on en juge, deux mariages, deux duels (le premier disqualifiant les assaillants qui sont à quatre contre un /le dernier particulièrement spectaculaire), un complot (dont les ramifications vont jusqu'au Pape), un enlèvement, un chantage, plusieurs assassinats, des chevauchées, une procession...
Un mot sur le dernier duel du roman qui met aux prises gentilshommes du roi (les Mignons) et gentilshommes du duc d'Anjou. Dumas s'est servi d'un véritable duel, mais qui était supposé vider une querelle entre deux des Mignons du roi, en avril 1578, et qui s'était soldé par le mort de quatre des protagonistes.


Dans toutes ces aventures, Chicot est, en fait, le personnage essentiel, d'abord parce qu'il en dénoue une, à lui seul, celle du complot. Ensuite, parce que son regard sur la Cour, sur son entourage, roi compris, sur les situations dans lesquelles il se voit entraîné, permet au lecteur de s'en distancer grâce à son humour, sa capacité de se moquer de tout et de lui-même au premier chef. Non qu'il ne soit capable de ressentir vivement, sa haine à l'égard des Guise, en général, et de Mayenne, étendue à ses accolytes, en particulier, est là pour le prouver, mais à l'encontre des autres personnages, plus souvent jouets de leurs passions, il est celui qui peut s'arrêter et réfléchir. Cela ne l'empêche pas de tuer son ennemi, tout comme un autre, ou de saisir l'occasion d'une vengeance tant rêvée dans une magistrale fessée sur le derrière dodu du duc de Mayenne coincé dans une sortie trop étroite. Vengeance qui amuse autant le lecteur qu'elle satisfait sa vindicte à l'encontre d'un personnage que son orgueil nobiliaire rend insupportable. L'humiliation est certes, à ce niveau-là, plus efficace que l'assassinat.
En même temps, Chicot est le personnage qui guide, nous l'avons dit, le lecteur dans l'évaluation, la compréhension, voire le jugement des hommes au pouvoir, les ramenant toujours vers cette réflexion de Montaigne qu'il pourrait reprendre à son compte "au plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sus notre cul" (Essais, III, 13, De l'expérience).
Roman d'amour et de mort, dont le tragique s'écrit aussi dans le burlesque, La Dame de Monsoreau doit peut-être bien plus à Shakespeare qu'au substrat historique dont il se construit. Shakespeare, en effet, lui aussi, opposait, comme le notait Hugo, dans ses "Fantômes éternels, les uns terribles, les autres adorables. [...] tous ces monstres, toutes ces fées. Les deux pôles du coeur humain" (préface à la traduction des oeuvres de Shakespeare de François-Victor Hugo, 186) Comme lui, Dumas oppose l'innocence de la jeunesse et la noirceur sociale (pensons à Roméo et Juliette), sans oublier le "fou" proférant ses vérités amères à ceux qui n'aiment guère les entendre.





A écouter
: une conférence à l'Ecole nationale des Chartes de Marie Palewska, archiviste paléographe, professeur agrégée de lettres classiques, et Daniel Compère, maître de conférences de littérature française, le 25 mai 2020, intitulée «“Quand le roman monte à la hauteur de l’histoire” : “Les Quarante-Cinq“» pour y découvrir l'historique du feuilleton aussi bien que le travail du romancier historique.
Sur France culture, ce que disait Antoine Blondin du roman de Dumas.


  
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