Les Trois mousquetaires, Alexandre Dumas, 1844

coquillage




A propos de Dumas, ce site contient
: 1.Une biographie de Dumas - 2. Une présentation du Comte de Monte-Cristo - 3. Lire La Dame de Montsoreau 4. Une présentation d'Antony





Le XIXe siècle, a-t-on dit, est le siècle des historiens. Mais les savants, les chercheurs ne sont pas les seuls à se pencher sur le passé, les écrivains aussi. Dumas est de ceux-là et il consacre au  XVIIe siècle une trilogie dont Les Trois mousquetaires est la première partie, Vingt ans après la deuxième et Le Vicomte de Bragelonne, la troisième et dernière.

Un roman historique

Le temps

Le récit commence le "premier lundi d'avril 1625", et les aventures de D'Artagnan et de ses trois amis vont se dérouler sur presque trois ans jusqu'à la fin du siège de La Rochelle, en 1628. Louis XIII règne alors sur la France et son premier ministre est Armand Duplessis, duc de Richelieu. En mai-juin 1625, le duc de Buckingham vient en ambassadeur chercher l'épouse de Jacques Ier, roi d'Angleterre (il a épousé Henriette de France, soeur de Louis XIII). C'est à cette occasion  qu'il aurait fait la cour à la reine.
Malgré cette alliance, les relations sont tendues entre la France et l'Angleterre, en raison, en particulier, de la politique maritime de Richelieu qui inquiète l'Angleterre. En mars 1627, la France et l'Angleterre rompent leurs relations diplomatiques. En juillet 1627, Buckingham débarque à l'île de Rê pour aider les protestants français. Une manière d'affaiblir Richelieu. Les Anglais seront toutefois repoussés.
En mai, puis septembre 1628, les Anglais tentent de nouveau d'aider les protestants en forçant le blocus de la Rochelle mais la ville finit par capituler le 28 octobre. Buckingham est assassiné le 23 août 1628, alors qu'il s'embarquait pour La Rochelle, par un personnage assez étrange, John Felton, qui semble surtout avoir exercé une vengeance personnelle contre un supérieur détesté.
On reconnaît dans ces événements, ceux du roman.  Dumas a donc utilisé une trame historique.

Les personnages

Dumas mêle, habilement, les personnages empruntés à l'histoire  à ceux qu'il crée lui-même pour leur faire vivre des aventures surprenantes.
Parmi ces personnages historiques, deux catégories : ceux qu'on trouve dans les livres d'histoire et qui sont représentés ci-dessous :




portrait de Richelieu

Philippe de Champaigne, portrait de Richelieu (détail), 1637

Louis XIII, Philippe de Champaigne

Philippe de Champaigne, portrait de Louis XIII (détail), vers 1629

Anne d'Autriche

Rubens, portrait d'Anne d'Autriche, la reine (détail), 1625

George Villiars, Duc de Buckingham

Rubens, portrait de George Villiers, duc de Buckingham (détail), vers 1625

Tréville

Le Nain, portrait de Tréville (détail), vers 1644.


et ceux dont la trace est enregistrée mais dont on sait peu de choses et pour lesquels Dumas invente caractères, apparence physique, habitudes et comportement. C'est le cas de d'Artagnan et de ses compagnons, Athos, Porthos et Aramis. Tous les quatre apparaissent dans Les Mémoires de D'Artagnan, lequel a vraiment existé et été mousquetaire. Mais ses mémoires ont été écrits par un autre, un certain Courtilz de Sandras (un spécialiste des Mémoires "posthumes"), qui les publie en 1700, longtemps après la mort du vrai mousquetaire tué au siège de Maastrich en 1673. Quoique les érudits aient retrouvé les noms véritables cachés par ces pseudonymes, on sait peu de choses des hommes qui ont porté ces noms, et Athos, par exemple, n'est pas du tout Comte de la Fère (invention de Dumas). Pour toujours, ils resteront ce que Dumas les a faits : Athos le taciturne ; Porthos, grand, fort, hâbleur, vaniteux, mais bon garçon ; Aramis, l'âme de tous les complots, force et délicatesse mêlées. Et D'Artagnan, le plus jeune, le plus impulsif, courageux, orgueilleux, généreux, mais aussi séducteur peu regardant sur les moyens — il faut bien que jeunesse se passe, dirait Athos le sage.
D'autres personnages sont totalement créés par le romancier, comme les quatre valets qui finissent par ressembler à leurs maîtres comme des doubles un peu ironiques ou des ombres exagérant les qualités et défauts de leurs maîtres; Constance Bonacieux, la lingère de la reine, dont D'Artagnan tombe amoureux ; Milady, même si elle aussi apparaît dans les faux mémoires de D'Artagnan comme une dame anglaise de l'entourage d'Henriette, soeur de Louis XIII et épouse du roi d'Angleterre, avec laquelle D'Artagnan aurait eu une aventure, mais la belle et cruelle espionne doit tout à Dumas et rien à l'Histoire des historiens.
Un roman historique est donc un roman qui mêle  les faits historiques (Buckingham en France, la guerre entre la France et l'Angleterre, le siège de La Rochelle), et la fiction (dans ce roman-là, les mobiles de tous les protagonistes se rattachent à des sentiments personnels : amour ou haine), les personnes réelles dont le lecteur peut retrouver la trace dans les livres d'histoire et les dictionnaires et les personnages construits par l'imagination de l'auteur.
Mais Dumas n'a pas manqué de souligner la primauté du roman sur l'histoire en ouvrant son roman par deux références : celle au Roman de la rose de Jean de Meung, et celle de Don Quichotte de Cervantès dont il fait le modèle du jeune D'Artagnan "Figurez-vous Don Quichotte à dix-huit ans". Par ailleurs, il modifie l'âge de Richelieu qui a 30 ans en 1625 et auquel il en donne 37 et des cheveux grisonnants.


Un roman d'aventure

Les Trois mousquetaires c'est d'abord et avant tout un roman d'aventures.
La première est la plus connue. On pourrait l'intituler "Les ferrets de la reine" [les ferrets sont de "petites broches de métal souvent ornée de pierres précieuses, et rivées à l'extrémité d'un lacet, d'un ruban", TLF]  (chapitre I au chapitre XXIII) : D'Artagnan arrive à Paris, y fait la connaissance de ceux qui deviendront ses amis inséparables, puis à la demande de son logeur, M. Bonacieux, se charge de retrouver sa jeune femme enlevée. Cela l'entraînera à protéger l'entrevue secrète de la reine avec Buckingham puis à partir pour Londres récupérer les ferrets qu'Anne d'Autriche a donnés au gentilhomme anglais en souvenir et que le roi exige qu'elle porte. Athos, Porthos et Aramis seront blessés en aidant leur ami. D'Artagnan découvrira ainsi, à l'occasion, une partie de leur passé.
Le chapitre XXII conclut heureusement cet épisode, mais le chapitre XXIII introduit un rebondissement puisque Constance Bonacieux est enlevée et disparaît.
La deuxième est celle de la découverte du secret de Milady qui va déclencher son désir de vengeance à l'encontre de D'Artagnan (chapitre XXIV au chapitre XLIX). Il se termine par la victoire des mousquetaires qui récupèrent le blanc seing que Richelieu avait accordé à Milady, et l'emprisonnement de Milady en Angleterre par son beau frère, Lord de Winter.
La troisième aventure est centrée sur le personnage de Milady : emprisonnée, elle doit s'échapper, mais cette évasion et la poursuite de sa vengeance contre D'Artagnan entraînent le lecteur avec les mousquetaires jusque dans le Nord de la France, à Béthune, où se dénoueront toutes les aventures.
Comme dans tous les romans d'aventures, les personnages se battent beaucoup, échappent à des pièges, piègent à leur tour leurs adversaires ; les enlèvements, les poursuites, les renversements de situation donnent au roman un rythme de chevauchée.

Un roman feuilleton

Petit retour en arrière. En 1836, Emile de Girardin lance un nouveau journal, La Presse (le premier numéro est daté du 1er juillet 1836). Son idée est double ; d'abord baisser de moitié le prix des abonnements pour conquérir une nouvelle clientèle et compenser la perte par les recettes de publicité, qu'on appelle alors les annonces ; ensuite, proposer aux lecteurs, outre des informations, un roman qui fera feuilleton, c'est-à-dire dont le contenu sera distribué sur plusieurs numéros, annoncé par une formule devenue fameuse "A suivre". L'idée était bonne et d'autres journaux la suivirent dont Le Siècle qui, en 1846, avait plus de 30.000 abonnés. Tous les écrivains du temps ont apporté leurs contributions (payées d'ailleurs à prix d'or), des plus grands (Balzac, Dumas qui ont inauguré le genre en 1836, Balzac dans La Presse et Dumas dans Le Siècle) aux plus célèbres (Eugène Sue. Quand son roman Le Juif errant est publié dans Le Constitutionnel, celui-ci passe de 5000 abonnés à vingt-quatre mille) en passant par les gloires éphémères de l'époque, oubliées aujourd'hui, comme Frédéric Soulié.
Dumas a publié une très grande partie de son oeuvre d'abord sous cette forme. C'est le cas des Trois mousquetaires publiés dans Le Siècle du 14 mars au 14 juillet 1844.
C'est un genre fort décrié, dès le début, et Sainte Beuve, en 1839, dans un article fameux, en fera l'un des facteurs de développement de la  "littérature industrielle", ce qui n'est pas faux pour la plus grande partie de cette production. Restent quelques chefs-d'oeuvre.
Le feuilleton a ses règles :
1. Chaque épisode doit se terminer sur un suspens : il faut que le lecteur ait envie d'acheter le numéro suivant. Le rebondissement est donc constant.
2. Il faut régulièrement rappeler au lecteur les événements passés pour ne pas qu'il se perde, aussi le narrateur intervient-il souvent ce qui lui permet aussi de "dialoguer" avec le lecteur et de réveiller son attention et son intérêt.  Ainsi, dans Les Trois mousquetaires au chapitre XIII, Dumas en plaisante-t-il avec le lecteur :"Heureusement — le lecteur se le rappelle ou ne se le rappelle pas — heureusement que nous avons promis de ne pas le perdre de vue." (il s'agit de M. Bonacieux enfermé à la Bastille) ou au chapitre LII, il rappelle toutes les raisons de la haine de Milady à l'encontre de D'Artagnan. L'intervention, de fait, sert de pense-bête au lecteur mais en même temps souligne un des caractères du personnage, la force de ses ressentiments qui alimentent sa cruauté et sa volonté de vengeance.
3. Il convient de varier la tonalité des épisodes pour éviter la monotonie ; ainsi des épisodes tragiques seront-ils suivis de scènes de comédie et inversement ; l'inquiétante entrevue avec Milady du chapitre XXXI est suivie du déjeuner chez le procureur (chapitre XXXII) où Porthos espère obtenir de sa "duchesse" son équipement pour partir à la guerre. Ces variations, Dumas les assure par ses personnages mêmes : Athos entraîne le lecteur dans la tragédie alors que Porthos, au contraire, le conduit constamment dans la comédie.
4. Pour entraîner les lecteurs, le feuilleton doit éviter les temps morts : descriptions et portraits sont esquissés à grands traits plutôt que développés (à la notable exception de Balzac qui ne change pas de style en publiant en feuilleton) ; utilisation importante du dialogue (pour l'auteur le dialogue a l'avantage de multiplier les lignes et donc son gain puisque le texte est payé à la ligne ; pour le lecteur, il rend plus vivant l'événement puisqu'il le propose en "temps réel", comme au théâtre, sans compter que les redondances, les répétitions, la brièveté des répliques donnent à ces dialogues une allure extrêmement naturelle et souvent amusante).







illustration des "Trois mousquetaires"

Gravure de Maurice Leloir (1853-1940). Il illustre le roman de Dumas en 1894, pour une édition de Calmann-Lévy. Lithographie colorée de Huyot.

Un roman de l'amitié et de la jeunesse

Si le roman s'intitule Les Trois mousquetaires, son personnage principal en est D'Artagnan, jeune noble gascon, pauvre comme un Gascon qui se respecte, venu chercher fortune à Paris, c'est-à-dire à la Cour. Recommandé à monsieur de Tréville, il aspire à devenir mousquetaire du Roi.
Les Trois mousquetaires, légèrement plus âgés que lui, appartiennent à ce corps prestigieux aux yeux de D'Artagnan. En se battant bravement avec eux contre les gardes du Cardinal, il obtient leur amitié et la protection de Tréville, lui-même proche du Roi et entre dans la Compagnie des gardes sous le commandement de M. des Essarts.
Athos est le plus âgé, "une tête noble et belle". Silencieux, il est aussi le plus déterminé et le plus brutal. C'est un grand seigneur, ce qui transparaît dans sa façon de donner des ordres ou de faire face à Richelieu qu'il traite d'égal à égal. Il cache un mystère. Il est profondément misogyne.
Porthos est présenté, lui, dans l'attitude et le costume qui illustrent sa vanité : "un mousquetaire de grande taille, d'une figure hautaine et d'une bizarrerie de costume qui attirait sur lui l'attention générale". La grande préoccupation de Porthos est l'argent.
Quant à Aramis, il est, lui, longuement décrit : "c'était un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans à peine, à la figure naïve et doucereuse, à l'oeil noir et doux et aux joues roses et veloutées comme une pêche en automne ; sa moustache fine dessinait sur sa lèvre supérieure une ligne d'une rectitude parfaite..."
Mousquetaire rêvant d'être abbé (lorsqu'il sera abbé dans Vingt ans après, il ne rêvera plus que coups et blessures), Aramis complote avec passion pour peu que de ravissantes jeunes femmes en soient. Ici, c'est avec Madame de Chevreuse qu'il se range dans le camp de la reine contre Richelieu.
Malgré leurs différences d'origine et de caractère, ces quatre hommes deviennent inséparables. Leur première aventure sera dominée et menée par D'Artagnan, mais la seconde et surtout la troisième donnent un rôle essentiel à Athos.





Maurice Leloir

Gravure de Maurice Leloir (1853-1940). Il illustre le roman de Dumas en 1894, pour une édition de Calmann-Lévy. Lithographie colorée de Huyot.


Pourtant leur devise "Tous pour un, un pour tous", rendue célèbre par le cinéma, n'apparaît pas dans ce roman mais dans Le Vicomte de Bragelonne.
Loyauté, générosité, tendresse sont les sentiments qui les unissent ; sentiments que, dans Vingt ans après, Dumas impute à la seule jeunesse: "[...] ce ne sont pas les guerres civiles qui nous déunissent; c'est que nous n'avons plus vingt ans chacun, c'est que les loyaux élans de la jeunesse ont disparu pour faire place aux murmures des intérêts, au souffle des ambitions, aux conseils de l'égoïsme." (Pléiade, p. 988)
De fait, tous les protagonistes du roman sont jeunes, comme Constance Bonacieux, Milady, Aramis et sans doute Porthos, auxquels le récit attribue 22 à 23 ans ;  Buckingham a 27 ans (dans la réalité comme dans le roman), comme Athos; et D'Artagnan, le plus jeune, a entre 18 et 19 ans. Cette jeunesse justifie tout l'enthousiasme qui habite les personnnages comme la dimension pédagogique des aventures pour D'Artagnan qui, à la fin, a atteint l'âge adulte fixé par le roman à 22-23 ans.
Si le roi et la reine sont vieillis (au regard de leur réalité historique) comme Richelieu, c'est qu'ils sont du côté du pouvoir en place, donc du côté des adultes.
L'épilogue du récit laissera D'artagnan seul puisque ses compagnons se retireront du service : Athos, quelque part en Touraine (pour élever son fils apprendra-t-on dans Vingt ans après), Aramis pour enfin entrer en religion, et Porthos pour se marier à sa "duchesse", veuve d'un procureur fortuné, en réalité.

Mais le bonheur de la lecture qui peut mieux le dire qu'Alexandre Vialatte :



 Ce ne sont que reines et secrets d'Etat. Et c'est beau comme l'invraisemblable. Car il faut rendre cette justice à Dumas qu'entre le beau et le vraisemblable il a toujours préféré le beau. Qui est plus grandiose. Un romancier n'est pas obligé de tolérer les caprices de l'histoire de France. L'histoire propose, le romancier dispose. La vraisemblance a souvent tort d'avoir raison. Un romancier doit être impitoyable.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.
Chronique de La Montagne, 23 mai 1961 (éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, tome 1, 2001)








A lire : pour en savoir plus sur la collaboration entre Auguste Maquet et Dumas, une étude de Gustave Simon, Crès, 1919
A explorer : la documentation rassemblée sur le site du lycée collège Marcel Gambier.



Accuei           Dumas