Germinal, Emile Zola, 1885

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A propos de Zola, ce site contient
: 1. Une présentation des Rougon Macquart - 2. Une biographie de l'auteur - 3. Une présentation de L'Oeuvre, 1866. - 4. Une présentation de La Curée, 1871. - 5. Le Ventre de Paris, 1873 -




Un puits de mine : son beffroi et sa machine d'extraction, gravure, fin du XIXe siècle.


puits de mine, gravure

Etienne [...] retrouvait chaque partie de la fosse, le hangar goudronné du criblage, le beffroi du puits, la vaste chambre des machines d'extraction, la tourelle carrée de la pompe d'épuisement.

Germinal, I, 1

Constantin Meunier, Au pays noir, 1890

Constantin Meunier, 1890


Le projet :

Dans son ébauche du roman, Zola écrit : "Le roman est le soulèvement des salariés, le coup d'épaule donné à la société, qui craque un instant : en un mot la lutte du capital et du travail. [...] Je le veux prédisant l'avenir, posant la question la plus importante du XXe s."
La lutte du capital et du travail se déroule dans le cadre de la mine parce que c'est un aspect essentiel de l'économie de son temps, parce que c'est le lieu de l'exploitation la plus dure et que, partant, les luttes des ouvriers y seront les plus caractéristiques d'un prolétariat en train de se constituer et de prendre conscience de lui-même.
Les ouvriers de la mine (avec ceux du textile) ont été les premiers à se révolter contre leurs conditions de travail. Leur première grève a lieu à Anzin, en julllet 1846.
Mais Zola choisit aussi ce cadre parce que la mine est alors d'actualité (Grèves à Anzin en 1878, puis en 1884 ; grève à Denain, en 1884) et qu'elle offre d'emblée un caractère symbolique : la noirceur (un chercheur, Philip Walker, a identifié 157 occurences de la couleur noire dans le roman ; et sur 40 chapitres, 10 seulement se déroulent le jour), le souterrain dans lequel il faut s'enfoncer, les galeries, tous éléments qui connotent aisément le mythe de l'enfer, des enfers.
Zola a déjà dépeint le monde ouvrier, dans L'Assommoir, dont il donne un résumé dans Germinal, mais il considérait n'avoir abordé que la sphère privée (les moeurs : misère, difficultés, problèmes quotidiens) quand il fallait montrer aussi la sphère publique : le domaine socio-politique. C'est d'ailleurs ce caractère privé que rappelle Germinal dans le premier dialogue entre Etienne et Catherine (I, 4) :


" — Où est-elle donc ta mère ?
   — A Paris... Blanchisseuse, rue de la Goutte-d'Or.
[...] Il revoyait son enfance, sa mère jolie encore et vaillante, lâchée par son père, puis reprise après s'être mariée à un autre, vivant entre les deux hommes qui la mangeaient, roulant avec eux au ruisseau, dans le vin, dans l'ordure. C'était là-bas, il se rappelait la rue, des détails lui revenaient : le linge sale au milieu de la boutique, et des ivresses qui empuantissaient la maison, et des gifles à casser les mâchoires."



Pour rédiger son roman, Zola va se documenter avec le plus grand soin, non seulement en lisant mais en allant sur place, dans les mines du nord, et en descendant au fond. De cette documentation sur le terrain, témoignent ses Carnets d'enquête. Il dira : "j'ai pris et résumé toutes les grèves qui ont ensanglanté la fin de l'Empire, vers 1869, particulièrement celle d'Aubin et de la Ricamarie."
Mais il est aussi allé à Anzin, en 1884, lorsqu'en février, 12.000 mineurs se mettent en grève en raison du licenciement de 400 d'entre eux et de l'obligation d'entretenir eux-mêmes les voies. La grève durera 56 jours.
Sur son manuscrit, Zola indique qu'il a commencé le roman "le 2 avril 1884" — très peu de temps après le vote de la loi Waldeck-Rousseau (mars) autorisant la création de syndicats, ce qui a son importance pour la trajectoire du personnage principal, Etienne Lantier — et qu'il l'a terminé le "23 janvier 1885".




La grève de Ricamarie (dans le bassin houiller de St-Etienne)
    16 juin : mineurs arrêtés, la foule déborde, la troupe tire  = 13 morts (dont deux femmes) et 9 blessés.
    7 octobre 1869 : à Aubin (Aveyron) : 14 morts + 20 blessés
Dans Le Rappel du 16 octobre, Rochefort écrit :
    « L'Empire continue à éteindre le paupérisme*. 27 morts et 40 blessés, voilà encore quelques pauvres de moins. » (cité dans la Pléiade, p. 1812)

* Napoléon III (Louis Bonaparte) avait écrit un opuscule, De l'extinction du paupérisme, publié en 1844. le mot "paupérisme" désigne l'état permanent de misère, mot emprunté à l'anglais, "pauperism", lui-même forgé sur le mot latin "pauper" : pauvre.




Dans une lettre de décembre 1885 à un certain David Dautresme, Zola expliquait ainsi son projet :




Ce que j'ai voulu, c'est crier aux heureux de ce monde, à ceux qui sont les maîtres : "Prenez garde, regardez sous terre, voyez ces misérables qui travaillent et qui souffrent. Il est peut-être temps encore d'éviter les catastrophes finales. Mais hâtez-vous d'être justes, autrement, voilà le péril : la terre s'ouvrira et les nations s'engloutiront dans un des plus effroyables bouleversements de l'Histoire.




Si le ton est grandiloquent, il correspond à une réelle inquiétude devant trop d'injustices et de misères, et l'actualité se charge vite de donner quelques raisons à la fiction puisque le 26 janvier 1886 éclate une grève aux mines de Decazeville. Un ingénieur est tué.
La lettre sert ensuite de préface pour la publication dans Le Petit rouennais (27 décembre 1885 - 15 mai 1886)
Cet imaginaire du souterrain où couvent les révolutions de l'avenir n'est pas propre à Zola ; les romantiques, au début du siècle, aussi bien Balzac que Hugo, avaient largement usé de cette image. Zola en en reprenant la force mythique lui donne, toutefois, un caractère concret que ses prédécesseurs avaient à peine effleuré, encore que Hugo décrivant les caves de Lille, dans le poème "Joyeuse vie" de Châtiments (1853) où s'entassaient la population misérable de l'industrie textile, n'en était pas loin.


Le titre

Dès la mi-84, le titre est fixé, ce sera Germinal, mais Zola en avait envisagé plusieurs avant celui-là :
Château branlant, La Maison qui craque, La lézarde, Coup de pioche, Vieux toit pourri (cette première série de métaphores architecturales marque la menace d'effondrement d'un système, et seul "Coup de pioche" implique une intervention volontaire. Les autres titres suggèrent que le système s'effondre de lui-même)
Le grain qui germe, L'Orage qui monte, L'Avenir qui souffle, Moisson rouge, Le sang qui germe, La misère qui germe  (cette série emprunte ses métaphores à la nature en même temps que l'association avec "orage", "souffle", "rouge" et "sang" introduit à une violence directe et coûteuse, en particulier dans "Le sang qui germe" : l'avenir naît de la souffrance et de la mort violente. Par ailleurs, le verbe "germer" est employé trois fois sur six titres)
Le feu qui brûle, Le feu souterrain, Le sol qui brûle (menace souterraine, feu destructeur et purificateur)
L'assiette au beurre (seul titre qui donne aux "profiteurs" une place visible l'expression désigne populairement l'occasion de tirer des profits sans efforts)
La liquidation, Table rase, Légion, Les Affamés, Le 4e ordre, Le Cahier des pauvres, (cette série offre à la fois l'image de la révolution et de la foule, du nombre.  "Table rase" rappelle les premiers vers de L'Internationale (Eugène Pottier, Pierre Degeyter, 1871) : "Du passé faisons table rase, ni dieu, ni césar, ni tribun / Producteurs sauvons-nous nous-mêmes, décrétons le salut commun.", ce qui est sans doute une pure coïncidence puisque l'hymne ne fut joué publiquement qu'en 1888, à la fête des travailleurs de Lille ;  "Le 4e ordre", qui est ici celui des "affamés", comme le souligne le titre précédant immédiatement, rappelle la divison en trois ordres de l'Ancien Régime avant 1789, "Le Cahier des pauvres", les cahiers de doléances dans lesquels le peuple rapportait ses réclamations pour les Etats-Généraux de 1789. "Légion" a une tonalité plus biblique, évidemment détournée ici, puisque dans la Bible elle désigne les démons, le mal, "Et son nom est Légion".

Le titre est donc né de la conjonction entre la deuxième série (l'idée de naissance, de germination) et la cinquième (l'idée de révolution poursuivant la Révolution de 1789).  "Germinal" est le nom d'un mois du calendrier révolutionnaire. Sans compter, naturellement, qu'il contient à la fois les mots "germe" et "mine".

Quatre ans après la parution de son roman, Zola écrit, le 6 octobre 1889, à Jacques Van Santen Kolff (un journaliste hollandais avec lequel il entretient une correspondance depuis 1878) :

"Quant à ce titre de Germinal, je ne l'ai adopté qu'après bien des hésitations. Je cherchais un titre exprimant la poussée d'hommes nouveaux, l'effort que les travailleurs font, même inconsciemment, pour se dégager des ténèbres si durement laborieuses où ils s'agitent encore. Et, c'est un jour, par hasard, que mot Germinal m'est venu aux lèvres. Je n'en voulais pas d'abord, le trouvant trop mystique, trop symbolique ; mais il représentait ce que je cherchais, un avril révolutionnaire, une envolée de la société caduque dans le printemps. Et, peu à peu, je m'y suis habitué, si bien que je n'ai jamais pu en trouver un autre. S'il reste obscur pour certains lecteurs, il est devenu pour moi comme un coup de soleil qui éclaire toute l'oeuvre."

La structure :

En accord avec le titre, on comprend pourquoi le roman est divisé en sept parties et en quarante chapitres (évoquant ainsi à la fois l'idée de création et celle de destruction — les 7 jours de la création, les 40 jours du déluge, toujours la Bible) et qu'il faille neuf mois pour mûrir une grève (Etienne arrive en mars et la grève éclate fin novembre). Si Zola est "réaliste" dans sa précision, dans son travail d'enquête minutieux et dans son utilisation de la documentation qu'il rassemble, sa force vient de cette capacité de fabriquer du symbole avec ce "réel", voire de renouer, en profondeur, avec des mythes (celui du "Moloch" à qui il faut des sacrifices humains auquel se superpose celui du minotaure lié au labyrinthe, celui du "Veau d'or", dieu lointain autant qu'impitoyable, celui de la guerre éternelle des gras et des maigres, celui des enfers aussi avec le Tartaret). A Henry Céard, écrivain naturaliste, et son ami depuis 1876, le 22 mars 1885, il écrivait "[...] Nous mentons tous plus ou moins, [...] Or — c'est ici que je m'abuse peut-être — je crois encore que je mens pour mon compte dans le sens de la vérité. J'ai l'hypertrophie du détail vrai, le saut dans les étoiles sur le tremplin de l'observation exacte. La vérité monte d'un coup d'aile jusqu'au symbole."
Henri Miterrand (Zola et le naturalisme, PUF, 1986) interprète ainsi la distribution 7/40 : "Un nombre pair de chapitres, mais un nombre impair de parties : la structure se calque sur celle de la phrase périodique oratoire, avec une protase de trois parties, suivant la montée de la misère et de la tension parmi les ouvriers mineurs, une partie palier, ou pivot (la quatrième), qui est celle de la mobilisation dans la forêt, et l'apodose des trois dernières parties, symétriques des trois premières, conduisant les grèvistes de la révolte violente à la répression, puis à la soumission."

La publication :

La préoriginale sort en feuilleton dans le Gil Blas  (quotidien) du 26 novembre 1884 au 25 février 1885 (c'est le tiré à part de ce feuilleton qui constitue l'édition originale du roman)
Il sort en librairie (librairie Charpentier) en mars 1885.
Le feuilleton est ensuite repris dans La Vie populaire  (bihebdomadaire) du 2 avril au 23 juillet 1885.
Le succès du roman fut grand : en mars 1890, 85.500 exemplaires avaient été tirés. Nombreux ont été les journaux ouvriers qui ont demandé l'autorisation (toujours accordée) de reproduire ce récit.
A l'enterrement de Zola, en 1902, une délégation de mineurs de Denain accompagna le convoi et Zola fut enterré aux cris de "Germinal ! Germinal !"



Alexandre Steinlein, 1893

Théophile Alexandre Steinlein (1859-1923)
Les ouvriers en grève
(décembre 1893, 800 mineurs licenciés dans le Pas-de-Calais)


Pour accompagner la lecture du roman, une fiche à remplir.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur l'histoire du charbon et des mines : une histoire du puits Couriot (mines de Saint-Etienne) ; une rapide histoire de l'exploitation du charbon sur mine-image.
Plus de détails ICI.
Des cartes postales anciennes montrant les activités des mineurs, sur la page mineralogica.

Les mines de charbon dans la seconde moitié du XIXe siècle deviennent le cadre de nombreux autres romans, par exemple :
Jules Verne, Les Indes noires, 1877
Hector Malot, Sans Famille (deuxième partie, chapitres II à VI), 1878


A découvrir
: La condition ouvrière au XIXe siècle sur le site d'un professeur d'histoire
L'histoire de l'exploitation du charbon sur les archives nationales.
A lire : un excellent article d'Henri Mitterand sur le travail d'enquêteur de Zola "Zola à Anzin, les mineurs de Germinal" sur le site du Cairn. L'article propose aussi quelques réactions à la sortie du roman et les réponses de Zola.
A écouter : France culture, Concordance des temps, "Le peuple de la nuit, le monde de la mine", 20 août 2011, Jean-Noël Jeanneney et Diana Cooper-Richet.
Le puits chanté par Yves Montand, une chanson de Vline et Buggy (1957 ?), pseudonymes de deux parolières, Évelyne Yvonne Konyn et Liliane Konyn.




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