Je conte, tu contes, il conte, elle conte...

coquillage



Pour explorer la variété des contes
: 1. une page biographique sur Charles Perrault ; 2. Les Contes de Perrault ; 3. un conte philosophique : Candide ; 4. Un conte de fées: Peau d'Ane, version XVIIIe en prose ; 5. Un conte de fées contemporain : Pierre de lune.




Parcours sémantique:

Raconter des histoires est une activité essentielle des groupes humains, sous toutes les latitudes et à toutes les époques. Le déverbal français CONTE est issu du verbe "conter", lequel provient du latin "computare", "calculer". Aux débuts de la langue française, "conter" renvoie aux deux notions, celle des chiffres et celle du récit ; leur point commun résidant dans l'idée d'énumérer, de constituer des listes. Cette indétermination va durer longtemps et ce n'est qu'à la fin du XVIIe siècle que deux orthographes différentes vont spécialiser chacun des sens, "compter", se calquant sur l'origine latine, désigne l'activité calculatrice et "conter" celle de relater des faits. Le verbe conter s'enracine ainsi dans une circulation de la parole, ce qui explique que le substantif "conte" s'attache, de préférence, à des récits courts, souvent oralisés.
Voilà pour le mot, mais le fait lui-même, le contenu, ce qui est "conté" a connu plusieurs désignations. Ainsi, durant tout le Moyen-Age, plusieurs mots servent-ils à le nommer, outre le mot "conte", sont utilisés les termes  "fabliau", "fable", "devis" (déverbal de "deviser"= parler), "dit",  "exemplum" (récit donné en exemple, dans les sermons), "lai", sans négliger le fait que ce que nous appelons "roman" a pu être dit "conte" ainsi du Conte del Graal de Chrétien de Troyes. Progressivement, seuls les mots "fable" et "conte" se conserveront jusqu'à ce que, au XVIe siècle, le terme "nouvelle" leur fasse concurrence. Même si ce dernier mot existe dans la langue française au sens d'information, c'est d'Italie que vient son usage littéraire, qui est d'abord celui de Boccace. Comme le mot "nouvelle" insiste sur le caractère véridique de ce qui est raconté, on perçoit que le mot "conte", lui, est marqué par l'irréalité (ce qui est aussi vrai pour le mot "fable"), sinon un mot nouveau n'eût pas été utile. Et, en effet, au XVIe siècle, le verbe "conter" s'est fixé dans le sens de "dire des choses fausses à dessein de tromper."
Ainsi, dès la Renaissance, le conte a-t-il partie liée avec l'invention, le mensonge, l'imaginaire, ce que les locutions "conte de bonne femme" ou "conte à dormir debout" véhiculent toujours.
Le mot "conte" est ensuite complété par des adjectifs (ou des compléments) qui en précisent la teneur : conte populaire, conte de fées, conte philosophique (une spécialité des Lumières concoctée par Voltaire), conte réaliste (qui se confond avec la nouvelle telle que Boccace puis d'autres écrivains l'ont codifiée, comme aussi Diderot le théorise à son tour ; c'est aussi le genre dans lequel s'illustrera Maupassant au XIXe siècle), conte fantastique (plus souvent exploité par les Romantiques, et d'abord les Romantiques allemands ; il se distingue du conte merveilleux en ce qu'il repose sur le doute) conte libertin voire licencieux (dont on a souvent fait de La Fontaine un maître, mais que le XVIIIe siècle a aussi utilisé en le combinant avec le conte philosophique et dont l'exemple le plus notoire est Thérèse philosophe de Boyer d'Argens, 1748).




"Et l'ogre le mangea", Boilly

Et l'ogre l'a mangé
, Louis-Léopold Boilly (1761-1845). Huile sur toile, 1824. (21,5 x 15,5)
Paris, collection Didier Aaron et Cie.
On retrouve la même distribution des personnages autour du livre dans le frontispice de Doré  aux Contes de Perrault publié par Hetzel en 1862.



Le conte que l'on dit "populaire" est la matrice de toutes les formes de contes, des plus élémentaires aux plus sophistiquées. Il s'agit de récits circulant de bouche à oreille, sur une durée que personne n'est vraiment à même d'établir, de même qu'il est impossible d'en localiser le point d'origine, les mêmes histoires paraissant circuler dans la quasi totalité des civilisations, ainsi de l'histoire de Cendrillon pour laquelle Aarne et Thompson répertorient 105 versions en Europe, mais dont on trouve aussi trace dans des contes chinois (Raymond Jameson, 1932). Relevant de l'oral, ces contes appartiennent bien à la culture populaire, paysanne, comme il se doit, puisque jusqu'au XIXe siècle les paysans représentent la majorité de la population. Mais depuis toujours aussi, semble-t-il, cette culture a irrigué la culture dite savante et des traces s'en trouvent dans l'écrit, ainsi de la belle au bois dormant qui apparaît dans un des romans de la Table ronde, Perceforest, au XIVe siècle, ou Cendrillon dans Les Propos rustiques de Noël du Fail, imprimé en 1547.



Walt Disney

Une vision inattendue et humoristique des fées, peut-être inspirée par Gustave Doré (les fées sont généralement décrites comme des créatures à la beauté irréelle) par les studios Walt Disney. Ici Fauna, Flora et Merryweather, les fées marraines de la Belle au bois dormant (1959).

Les ingrédients du conte populaire (dont le conte de fées est une variante)

1. le début et la fin sont des formules toujours reprises  : "Il était une fois" étant la plus célèbre pour le début et "Ils furent heureux", celle de clôture.
2. un récit atemporel (non inscrit dans un quelconque temps historique ; le temps n'y passe pas selon des normes réalistes, par ex. un château peut se bâtir en une nuit)
3. des personnages indéfinis, désignés par des surnoms "le petit Poucet", "Peau d'âne", par ex. mais surtout par leur "statut", "le roi", "la marraine", "le petit tailleur"...
4. une situation difficile qui s'ancre dans l'expérience paysanne et donc souvent liée à la famine, à la pauvreté, à la misère.
5. le personnage principal doit affronter une série d'épreuves qui sont le plus souvent au nombre de trois (qualifiante, principale, glorifiante)
6.  des épisodes à répétition (en général trois fois) souvent associés à la répétition d'une formule.
7. présence du merveilleux sous diverses formes : personnages (dans le conte populaire français le plus souvent réduits aux fées et aux ogres); objets (baguette ; bottes de sept lieues ; clé dans Barbe bleue... ; miroir parlant, etc.) ; lieux (châteaux, fontaines, forêts) ; créatures imaginaires (dragons, gnomes — sous forme plus réaliste de "nains")



La collecte des contes et leur traitement

La collecte

Le XIXe siècle, à partir du Romantisme, de son influence dans la construction des nationalismes, se penche sur les passés nationaux et trouve dans la tradition orale des contes populaires un terrain privilégié. Nombreux sont ceux qui se mettent à recueillir les contes. Les plus célèbres sont les frères Jacob et Wilhelm Grimm (Kinder und Hausemärchen, 1812), en Allemagne, ou moins connu pour cela, Henrik Ibsen, en Norvège. D'autres comme Andersen (1805-1875), au Danemark, imaginent des contes nouveaux tout à la fois à partir du vieux fonds des contes populaires, mais aussi de la tradition livresque, comme en Russie le font Gogol ou Pouchkine. Le même phénomène se produit aussi en France, un peu plus tardivement pour la collecte des contes (à la fin du siècle), mais dès le Romantisme pour l'utilisation du genre auquel se plient aussi bien Dumas, que Hugo ou Sand, voire Balzac avec ses Contes drôlatiques, dont les dix premiers sont publiés en 1832. Par ailleurs, Perrault est, pour les Français, la référence en matière de contes merveilleux, et la formule "Contes de Perrault" s'est substituée au titre original de l'ouvrage. Ses huit petites histoires, plus celle de "Peau d'âne" dans la réécriture en prose du XVIIIe siècle, alimentent le théâtre, les jeux pour les enfants, comme au XXe siècle, ils concurrenceront Grimm et Andersen pour fournir en scénarios l'industrie du cinéma voire de la télévision.

La classification

Un Finlandais, Annti Aarne (1867-1925) publie en 1910 une classification des contes populaires qu'il distribue en types. Un Américain, Stith Thompson (1885-1976) traduit son livre et en poursuit le projet. En 1927, il publie sous le double nom de Aarne-Thompson The Types of the Folk-Tale : A Classification and Bibliography, dont il donnera une seconde édition en 1961, revue et augmentée. C'est le manuel de base pour l'étude des contes. Cette classification en contes-types est très sophistiquée et fort précise, elle en contient 2340. On peut toutefois la ramener à trois grandes catégories :
 — Les contes d'animaux (AT 1 à 299)
 —Les contes stricto-sensu (AT 300 à 1199 qui peuvent varier du merveilleux au réalisme en passant par le religieux)
 —Les contes facétieux et les contes à formules (AT 1200 à 2340)
Elle met en évidence les ressemblances entre les contes européens ; elle permet de dire du conte ce que Lévi-Strauss disait du mythe : il n'y a que des variantes et il est impossible de trouver l'origine d'un conte, pas plus que d'un mythe.

La structure

Les contes varient beaucoup dans le détail et pourtant le lecteur les reconnaît toujours pour tels. Il revient à Vladimir Propp (1895-1970) et au groupe appelé "formalistes russes" d'avoir donné une raison à cela: "Dans l’étude du conte, la question de savoir ce que font les personnages est seule importante". Dans son ouvrage, Morphologie du conte, 1928, Propp a montré que le conte repose sur 7 types de personnages : le Héros, l'Objet de la quête, le Mandateur, le Donateur, l'Auxiliaire, L'Agresseur et le Faux Héros ; un personnage peut cumuler plusieurs rôles. Ces personnages remplissent 31 fonctions dont les plus importantes sont le méfait initial, le départ du héros, l'acquisition d'un auxiliaire magique, le combat victorieux, et le retour triomphal. De ces fonctions primordiales, dans la continuité de ces recherches, on a pu dégager la structure indéfiniment reconduite du conte.
Cette structure est la suivante :



1. situation initiale
2. élément perturbateur
3. péripéties / épreuves
4. élément rééquilibrant
5. situation finale


Essai de définition :

Le conte est un récit court, obéissant à la structure définie par les formalistes russes, qui garde des rapports étroits avec l'oral, c'est pourquoi il intègre le plus souvent le destinataire dans son propos, même lorsqu'il s'agit d'un conte littéraire imaginé par un auteur identifié (à l'encontre des contes populaires dont la source est non identifiable). Il s'organise autour d'un personnage principal. Il a, le plus souvent pour nous, partie liée avec l'imaginaire (merveilleux, fantastique), alors que les contes populaires se rapprochent davantage des contes réalistes, imaginés ensuite par des écrivains et qui répondent, aujourd'hui, plutôt au terme "nouvelle", et d'ailleurs, Perrault lui-même, dans la préface à l'édition de 1694 de ses contes en vers définit les "Nouvelles" comme "des Récits de choses qui peuvent être arrivées, et qui n'ont rien qui blesse absolument la vraisemblance". En règle générale, les aventures dans lesquelles les contes plongent le protagoniste se terminent à son avantage.
Si le conte est un récit bref, par nature, c'est parce que son effet doit être immédiat, il doit susciter la peur ou le rire dans le cadre du lieu où il est partagé, la veillée paysanne d'abord. C'est à partir de ces effets qu'il permettra ensuite les échanges, les commentaires, les évaluations qui en font certainement un instrument de sociabilité hors pair.



Les contes populaires, comme les mythes, sont des semences d'histoires. Ils sont réécrits,  détournés, parodiés,  transformés, ou comme les trois exemples suivants le montrent, ils alimentent la poésie et produisent des rêveries différentes, celle humoristique de Victor Hugo (qui joue sur l'expression "croquer le marmot" signifiant "attendre longtemps" et déjà répertoriée par le Dictionnaire de l'Académie française de 1694), celle beaucoup plus rêveuse de Verlaine, celle enfin mélancolique de Druilhet semblant évoquer une enfance perdue ; l'une tonitruante choisit l'ogre, l'autre pour évoquer la douceur d'un jour choisit les héros les plus faibles des contes ; la dernière enfin installe un paysage tout entier où se meuvent les personnages et construit ainsi une sorte d'hyper-conte où se retrouvent tous les personnages de Perrault.



Toute la lyre, VII, 11

L'amour fut de tout temps un bien rude Ananké.
Si l'on ne veut pas être à la porte flanqué,
Dès qu'on aime une belle, on s'observe, on se scrute;
On met le naturel de côté ; bête brute,
On se fait ange ; on est le nain Micromégas;
Surtout on ne fait point chez elle de dégâts;
On se tait, on attend, jamais on ne s'ennuie,
On trouve bon le givre et la bise et la pluie,
On n'a ni faim, ni soif, on est de droit transi;
Un coup de dent de trop vous perd. Oyez ceci:

Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Etait fort amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre coeur tout brut:
L'ogre, un beau jour d'hiver, peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot.

Lucien Létinois

XI

La Belle au Bois dormait. Cendrillon sommeillait.
Madame Barbe-bleue ? elle attendait ses frères ;
Et le petit Poucet, loin de l'ogre si laid,
Se reposait sur l'herbe en chantant des prières.

L'Oiseau couleur-du-temps planait dans l'air léger
Qui caresse la feuille au sommet des bocages
Très nombreux, tout petits, et rêvant d'ombrager
Semaille, fenaison, et les autres ouvrages.

Les fleurs des champs, les fleurs innombrables des champs,
Plus belles qu'un jardin où l'Homme a mis ses tailles,
Ses coupes et son goût à lui, — les fleurs des gens ! —
Flottaient comme un tissu très fin dans l'or des pailles,

Et, fleurant simple, ôtaient au vent sa crudité,
Au vent fort, mais alors atténué, de l'heure
Où l'après-midi va mourir. Et la bonté
Du paysage au coeur disait : Meurs ou demeure !

Les blés encore verts, les seigles déjà blonds
Accueillaient l'hirondelle en leur flot pacifique.
Un tas de voix d'oiseaux criait vers les sillons
Si doucement qu'il ne faut pas d'autre musique...

Ballade des contes de fées


Ecoutant chanter le grillon
Devant la noire cheminée
Seule, soupire Cendrillon.
Sur la haute branche, épargnée
L'hiver dernier par la cognée,
Poucet distingue, au fond des bois,
Une fenêtre illuminée.
Ô les beaux contes d'autrefois !

L'Ogre, passant en tourbillon,
Flaire la chair à peine née.
Le Chat enjambe le sillon,
Fier de sa botte éperonnée.
Peau d'Ane paît sa dindonnée.
Le loup cherche à prendre la voix
De Mère-Grand encourtinée.
Ô les beaux contes d'autrefois !

Quand dans un bruit de carillon,
Sonne enfin la centième année,
Tour, galerie et pavillon
S'éveillent... La garde étonnée
S'entrave aux toiles d'araignée.
Et la Belle aux charmants émois
Voit s'accomplir sa destinée.
Ô les beaux contes d'autrefois !


C'est très simple. Pourtant c'est aller un peu vite,
Même lorsqu'on est ogre et qu'on est moscovite,
Que de gober ainsi les mioches du prochain.
Le bâillement d'un ogre est frère de la faim.
Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe.
La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme.
As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai ?
Le bon ogre naïf lui dit : Je l'ai mangé.

Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire,
Jugez ce que devint l'ogre devant la mère
Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin.
Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin;
Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce;
N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe,
Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.

Victor Hugo, Toute la lyre, VII, 11, 1888 (publication posthume)

Peau d'Ane rentre. On bat la retraite — écoutez ! —
Dans les Etats voisins de Riquet-à-la-Houppe,
Et nous joignons l'auberge, enchantés, esquintés,
Le bon coin où se coupe et se trempe la soupe !

Verlaine, Amour, 1888



Ô Fée, elle est enrubannée
Encor, la baguette à tes doigts ;
Ta fable n'est pas surannée.
Ô les beaux contes d'autrefois !

Georges Druilhet, Roses de septembre, 1914




A consulter
: le site de la Fée Clochette, entièrement dédié aux contes.
A visiter : l'exposition virtuelle sur les contes de fées, à la Bibliothèque nationale.
A lire : Walter Benjamin, Le Narrateur. Réflexions à propos de l’œuvre de Nicolas Leskov, la plus remarquable des études écrite sur le conte.



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