Histoires
ou contes du
temps passé Avec
des
moralités, Charles Perrault, 1697
|
Sur les Contes de Perrault : 1. Charles Perrault — 2. Les Contes de Perrault : un témoignage sur le XVIIe siècle ? — 3. Le plus célèbre des illustrateurs de Perrault, Gustave Doré — 4. La version en prose de Peau d'âne (XVIIIe siècle) — 5. Les trois contes en vers (Grisélidis, Les Souhaits ridicules, Peau d'Ane) — 6. Les contes en prose — 7. définir le conte — |
"Ce même libraire imprime
aussi Les
Contes de ma mère
l'Oye,
par monsieur Perrault. Ce sont bagatelles auxquelles il s'est
amusé autrefois pour réjouir ses enfants."
(Lettre de
l'abbé Dubos à Pierre Bayle, 23 septembre 1696) —
Dubos
et Bayle sont deux amis de Perrault, le second étant alors
en
exil en Hollande —
|
||||
|
Frontispice de la
première édition des Contes,
dessiné par Ch. Perrault, et gravé par
François
Clouzier, Paris, librairie Claude Barbin,
1697.
La scène représente une veillée : une femme en bonnet et sabots, tenant une quenouille, assise devant un feu, parle à trois jeunes gens : une jeune fille et deux jeunes garçons élégamment vétus ; une chandelle brûle sur le manteau de la cheminée, c'est donc la nuit, et un chat se chauffe dans l'âtre. |
UNE MODELe conte a une histoire probablement aussi ancienne que celle des sociétés humaines, mais c'est la seconde moitié du XVIIe siècle qui le fait advenir en littérature.Le 6 août 1677, Mme de Sévigné écrit à sa fille, non sans ironie :
|
première de couverture de l'édition Omnibus des Contes, 2006 |
||||||||
Bien que La Fontaine soit aussi auteur de contes, mais toujours en vers et sur des sujets empruntés aux mythologies antiques, le conte en prose est un genre qui commence au féminin. Et il s'inscrit, comme le récit de Madame de Sévigné le montre, dans cette catégorie que l'on appelle "conte de fée". Les premiers auteurs à s'y faire connaître sont, en effet, des femmes. Mme d'Aulnoy d'abord, suivie de Melle Lhéritier (nièce de Perrault). Entre 1697 et 1702 se succèderont les oeuvres de Mme d'Aulnoy, de Mme de La Force, de Mme Murat, de la comtesse d'Auneuil (qui vers, 1700, témoigne, à sa manière, du déclin de la vogue), et de dizaines d'autres. Cette mode ne sera détrônée que par l'arrivée des Contes des Mille et une nuits traduits par Galland pour resurgir de nouveau dans les années vingt du XVIIIe siècle. Le conte de fées s'inspire de la littérature galante, comme le fait Perrault avec Grisélidis et Riquet à la Houppe, voire avec La Belle au bois dormant ou Peau d'Ane. Les contes populaires, s'ils sont connus (ainsi de Peau d'âne), ne sont pas (ou peu) utilisés par ces conteuses, du moins en tant que "matière", car leur structuration obéit bien à ce que Propp et les formalistes russes appelleront le "schéma narratif" : situation initiale - élément perturbateur - péripéties - élément rééquilibrant - situation finale. Mais leurs récits doivent beaucoup, en revanche, à la préciosité. L'ORIGINALITE DE PERRAULT : Perrault se différencie donc de ses contemporaines en ce qu'il écrit des contes issus de la tradition orale, même si une grande part de la critique actuelle juge que cette origine n'est peut-être pas aussi fondatrice que l'avait pensé Soriano, par exemple. Pourtant, tous les contes, y compris Peau d'âne et même Les Souhaits ridicules qui, pour appartenir à la littérature facétieuse, n'en connaît pas moins de multiples versions orales, se retrouvent dans les relevés auxquels ont procédé les folkloristes du XIXe siècle. Les multiples versions qu'ils enregistrent sont souvent très éloignées des récits de Perrault par leur violence, surtout. Seul Grisélidis relève de la littérature écrite, encore Perrault prend-il le soin de signaler qu'il l'emprunte dans la version diffusée par la littérature de colportage. Par ailleurs, on trouve trace de cet intérêt pour les contes populaires, chez Perrault, dès Le Parallèle des Anciens et des Modernes (1688-1697) où il évoque "ceux qui font des contes de Peau d'âne où ils introduisent de certains hommes cruels qu'on appelle des Ogres, qui sentent la chair fraîche et qui mangent les petits enfants ; ils leur donnent ordinairement des bottes de sept lieues, pour courir après ceux qui s'enfuient. Il y a quelque esprit dans cette imagination." Perrault a peu altéré les récits qu'il reçoit de la tradition orale, dans leur structuration, en revanche il les a largement polis, en extirpant dans un savant dosage qui n'en ôte pas la totalité, souvent par l'humour et l'ironie, la brutalité et la violence que les contes récelaient ; par exemple, contrairement à bien d'autres conteurs après lui, il ne sauve pas le petit Chaperon rouge qui est dûment croquée par le loup ; en donnant à ses personnages et à leur environnement des caractéristiques appréciées de son temps, il les a radicalement transformés. Il semble voir, dans les contes populaires, une source autochtone de création qui ouvre la voie à l'innovation : il est possible d'inventer un genre nouveau, que les Anciens n'avaient pas cultivé ; il est possible, à partir d'un matériau de peu de valeur, hors de la littérature, de produire une oeuvre d'art susceptible de plaire aux "honnêtes" gens, ainsi que l'affirme la dédicace des Souhaits ridicules. Double exploit, en somme, apte à mettre en valeur le talent et les ressources des contemporains et par contre-coup de mettre en valeur ce que Voltaire appellera "le siècle de Louis XIV". Joue sa partie dans l'entreprise, l'adjonction des moralités (qui, dans de nombreuses éditions contemporaines, ont été éliminées), toujours versifiées, ce qui coule de source dans les contes en vers, mais qui change le registre des contes en prose, les insérant par ce biais dans la littérature savante. Les moralités rappellent, en effet, que ces contes peuvent (et doivent) être interprétés puisqu'ils indiquent, indirectement, un art de vivre en société; ainsi du "Maître chat ou le chat botté" qui propose des conseils aux jeunes gens ambitieux dont celui-ci "Aux jeunes gens pour l'ordinaire, / L'industrie et le savoir-faire / Valent mieux que des biens acquis", ou celle du Petit chaperon rouge mettant en garde les jeunes filles contre les séducteurs : "je dis le loup, car tous les loups / Ne sont pas de la même sorte..." A l'encontre de ce que ses amis disaient "bagatelles [...] pour amuser ses enfants", les Contes s'adressent à un public averti et cultivé —un public susceptible de sourire aux traits d'humour du conteur, de comprendre les allusions à l'actualité — même si les enfants y trouvent, depuis, aliments à leurs rêveries, dans la mesure où, le plus souvent, à l'exception du Petit Chaperon rouge, les faibles finissent toujours par y vaincre les forts. Les psychanalystes, et Bruno Bettelheim en particulier, ont beaucoup étudié cette dimension de réconfort qu'apportent les contes. |
|||||||||
Pierre Larousse,
dans l'article consacré aux Contes de Perrault (tome 4 du Grand dictionnaire...,
p. 1071) conclut ainsi :
|
A lire : Si les fées m'étaient contées, éd. Omnibus, 2003 (100 contes choisis et présentés par Francis Lacassin) Des réécritures de contes : Métamorphoses de la reine, Pierrette Fleutiaux, 1984 ; Le Coq de bruyère, Michel Tournier, 1978 ; Pierre Gripari, Contes de la rue Broca, 1967 ; Les Sept femmes de Barbe Bleue et autres contes merveilleux, Anatole France, 1909. Un conte de Monsieur de Préchac (1647 - 1720), Sans Parangon, qui contient un panégyrique de Louis XIV (description élogieuse de Versailles — palais projeté dans le monde des fées et construit dans le monde des hommes —, de la construction du Canal du Midi, oeuvre surhumaine accomplie pour plaire à Belle-Gloire). Se documenter : en lisant la thèse de Christine Rousseau, Les Enchantements de l’éloquence : contes de fées et stratégies hyperboliques au XVIIe siècle. A écouter : les contes, c'est sur Littérature audio. A visiter : l'exposition virtuelle sur les contes de fées, à la Bibliothèque nationale. |