31 août 1811 : Théophile Gautier

coquillage


L'inexprimable n'existe pas



Chatillon, portrait de Gautier

Auguste de Chatillon (1808- 1881), portrait de Théophile Gautier, 1839, Paris, Musée Renan-Scheffer

Une jeunesse romantique

OUi, 31 août, et non 30. Les poètes ont toujours raison. L'acte de naissance, établi à Tarbes, de Pierre Jules Théophile Gautier, qui ne va conserver que son troisième prénom, porte la date du 30 août. Dans un article de 1867 pour L'illustration, il affirme, lui, être né le 31 août. Et il y tenait, comme le confirme une note des Goncourt, dans leur Journal, en date du 31 août 1862 : "Nous avions reçu ces jours-ci, un petit morceau de papier imprimé, portant ceci «Monsieur, vous êtes prié d"assister à la petite fête de famille qui sera donnée à Neuilly, rue de Longchamp, 32, le 31 août 1862, pour l'anniversaire de la naissance de M. Théophile Gautier.»" (Laffont, Bouquins, tome 1, p. 855). Fêtons donc son anniversaire à la date qu'il avait choisie.
Son père est originaire d'Avignon mais, employé des Contributions indirectes, il est fonctionnaire, et comme tel soumis aux aléas des nominations. C'est donc à Tarbes, capitale de la Bigorre, avec son horizon bleu de montagnes à chaque coin de rue, dans cette petite ville où l'on parle alors plus gascon que français, que le jeune Gautier passe ses trois premières années. Bien que l'adulte ait raconté à plusieurs reprises avoir été profondément attaché à cette ville natale, il n'y est retourné qu'une seule fois dans sa vie, pour 24h, en 1860. Peut-être alors, lui et Isidore Ducasse, tout jeune homme, poursuivant ses études au lycée Impérial (aujourd'hui lycée Théophile Gautier), se sont-ils croisés ! d'autant que le poète, alors célèbre, raconte y avoir fait une visite incognito. Amusante rencontre imaginaire entre le tenant d'une esthétique maîtrisée et l'inventeur de la poésie débridée du comte de Lautréamont.
Gautier quitte la ville en 1814, son père ayant été nommé chef de comptabilité de l'octroi, la famille déménage et s'installe à Paris. Elle s'agrandit aussi de deux filles, Emilie née en 1817 et Zoé en 1820. Le jeune Théophile apprend à lire, s'émerveille de Robinson Crusoë, entre autres lectures, puis poursuit ses études comme externe, au lycée Charlemagne, après trois mois difficiles d'internat à Louis-le-Grand, dont il rapporte en 1867 : "Je fus saisi d’un désespoir sans égal que rien ne put vaincre. La brutalité et la turbulence de mes petits compagnons de bagne me faisaient horreur. Je mourais de froid, d’ennui et d’isolement entre ces grands murs tristes..."
C'est à Charlemagne qu'il rencontre Gérard Labrunie (Nerval en littérature) et Auguste Maquet (futur collaborateur d'Alexandre Dumas) avec lesquels se noue une amitié durable. C'est à Nerval, par ailleurs, qu'il doit d'avoir découvert la littérature allemande.
C'est aussi pendant ses années de lycée qu'il développe ses talents de dessinateur. Il fréquente, durant ses dernières années d'étude, l'atelier de Louis-Edouard Rioult (1790-1855). La peinture lui paraît être alors sa voie et la vie de rapin (argot du temps désignant l'apprenti peintre) lui convenir.


Mais la littérature est aussi à l'horizon, le mouvement qui entraîne les jeunes gens du temps, le romantisme, y est en première ligne. Nerval, déjà célèbre pour ses vers — les premiers ont été publiés en 1824, et sa traduction du Faust de Goethe, en 1828— a présenté Gautier à Hugo pour lequel il éprouve une admiration passionnée, sans doute en 1829, et l'enrôle pour défendre Hernani face aux tenants des classiques. Tout le monde se retrouve le 25 février 1830 au théâtre français pour la première des trente représentations qui vont constituer la mémorable "Bataille d'Hernani". En se souvenant, devenu vieux, Gautier constatait : "25 février 1830 ! cette date reste écrite dans notre passé en caractères flamboyants : la date de la première représentation d'Hernani ! Cette soirée décida de notre vie. Là nous reçûmes l'impulsion qui nous pousse encore après tant d'années et qui nous fera marcher jusqu'au bout de la carrière."
Théophile Gautier reste dans les annales pour avoir porté ce jour-là, outre sa longue chevelure, un gilet que tout un chacun dit rouge, mais dont L'Histoire du romantisme, inachevée et publiée après sa mort (1874), précise que le tissu en était "de satin cerise ou vermillon de Chine" dans le chapitre qu'il consacre à "La légende du gilet rouge".



Le petit Cénacle

Voilà donc le jeune Gautier (il a 19 ans), fer de lance du romantisme. Malheureusement, son premier recueil de poèmes (42 textes), dont l'édition a été financée par son père, paraît fin juillet 1830, alors qu'éclate la Révolution de Juillet. Il passe totalement inaperçu.
Les "jeunes" du mouvement vont se réunir, à l'instar de leurs aînés du Cénacle de Hugo, dans un petit Cénacle qu'ils inaugurent à la fin de l'année 1830 et qui perdure jusqu'au début de 1833. Se retrouvent chez le sculpteur Jean Duseigneur, Gautier, Nerval, Petrus Borel (qui en est l'âme dira plus tard Gautier), Philothée O'Neddy (pseudonyme d'Auguste Marie Dondey), Auguste Maquet, Célestin Nanteuil et quelques autres, peintres, dessinateurs, architectes ... pour y refaire le monde en commençant par le monde des arts.
Gautier s'engage de plus en plus dans la voie de l'écriture. En 1831, il publie une nouvelle fantastique, La Cafetière, dans Le Cabinet de lecture, et une critique d'art, la première d'une longue série, "Arts. Buste de Victor Hugo" dans le Mercure du XIXe siècle.
A la fin de l'année 1832, une oeuvre va être davantage remarquée, Albertus ou l'Ame et le Péché, légende théologique. Le recueil est republié en 1833, chez Paulin, accompagné des poèmes parus en 1830. La préface qui les précède est déjà comme une ébauche de celle qui ouvrira Mademoiselle de Maupin (publiée en 1835 pour le premier tome et en 1836 pour le second). Elle commence par le portrait du poète en paresseux, enfermé chez lui, et sans aucun souci du monde extérieur, et encore moins de ses agitations sociales et politiques, puis il précise "Quant aux utilitaires, utopistes, saint-simonistes qui lui demanderont à quoi cela rime, — il répondra : le premier vers rime avec le second quand la rime n'est pas mauvaise, et ainsi de suite. / A quoi cela sert-il ? — Cela sert à être beau. — N'est-ce pas assez ?"


Grandville

Grandville (1803-1847), Balzac, Frédérick Lemaître et Gautier, en 1836 ou 1837


Ainsi voit-on que les idées, que les poètes formalistes et les Parnassiens, de la seconde moitié du siècle, vont puiser chez Gautier, ne datent pas des années 1850 et de la publication d'Emaux et Camées (première édition 1852), mais sont déjà bien présentes en plein romantisme triomphant. C'est que Gautier, comme les autres grands du romantisme, s'agace quelque peu de la "mode" que le mouvement est en train de devenir. Balzac en fait autant dans La Peau de chagrin.
Le petit Cénacle avait imaginé d'écrire des contes du Bousingot (surnom donné aux jeunes romantiques, tapageurs — c'est une des acceptions de "bousingo", boucan en somme — et surtout vêtus n'importe comment, le "bousingot" étant un chapeau de marin en cuir bouilli, pas exactement un modèle d'élégance), Gautier l'a fait sous le titre Les Jeunes France sous titré romans goguenards, publié en 1833. Il a lui-même défini ce recueil comme une "espèce de précieuses ridicules du romantisme" (L'Illustration, 1867), ce qui soulignait à la fois sa veine humoristique et son désir d'épingler les extravagances d'une mode qui n'avait plus grand chose à voir avec les idées qui avaient présidé et accompagné les premières années du mouvement, quand il s'agissait encore de lutter contre une littérature "dépassée" à leurs yeux, inadaptée à leur temps.
En 1834, Gautier quitte sa famille et s'installe, seul, non loin du domicile de ses amis Nerval, Arsène Houssaye et Camille Rogier (peintre). Il a passé un contrat avec La France littéraire pour une série de 12 articles consacrés à de "vieux poètes français". Ils paraissent entre janvier 1834 et septembre 1835, en commençant par Villon. Ils sont rassemblés en volume en 1844, sous le titre des Grotesques, après que Gautier y a ajouté un article sur Scarron, prévu dans le contrat de 1833, mais non publié par La France littéraire. Les autres poètes appartiennent à la première moitié du XVIIe siècle, à un temps où la rigueur "classique" n'avait pas encore étouffé toute fantaisie.



1836 : année cruciale

1836 est l'année où commence pour Gautier ce qu'il a appelé ses "ses norias hebdomadaires et quotidiennes", une carrière de journaliste qui lui assure une certaine sécurité matérielle, mais l'astreint à la "copie". Son oeuvre de journaliste est bien plus considérable, en termes quantitatifs, que son oeuvre proprement littéraire. Il collabore à plusieurs quotidiens, dont La Presse d'Emile Girardin, Le Figaro, mais aussi à des hebdomadaires et place ses nouvelles dans des revues. La totalité de ses textes, y compris les romans, ont d'abord paru ainsi.
Il aborde tous les genres dans le domaine artistique : recensions de livres, comptes-rendus de théâtre, ce qui inclut aussi les spectacles, ballets, opéras (cette critique dramatique fournit les articles les plus nombreux), la peinture (il "couvre" les Salons depuis 1833 et le fera régulièrement jusqu'en 1853).
C'est encore l'année où est publié le second volume de Mademoiselle de Maupin qui lui vaut l'animosité des critiques en place (en raison de la préface), mais l'admiration de Hugo et celle de Balzac qui devient son ami.
C'est aussi en 1836 qu'il devient père d'un fils (Charles Marie Théophile) que la famille de sa maîtresse, Eugénie Fort, le contraint de reconnaître puisqu'il refuse de se marier. Les liaisons de Gautier ont été très nombreuses, plus ou moins durables, mais elles semblent le plus souvent se transformer en amitié. Ses maîtresses cessent de l'être, se marient même, mais restent ses amies. C'est le cas d'Emilie comme d'autres, par exemple l'actrice Alice Ozy qui sera la marraine de sa seconde fille, Estelle. Parmi ces liaisons, la plus durable est avec Ernesta Grisi, cantatrice, et soeur de la danseuse Carlotta Grisi "la dame aux cheveux d'or et aux yeux de violette". Il fait la connaissance de Carlotta d'abord, qu'il admire, qu'il aime peut-être et qui restera toute sa vie sa plus proche amie avec Eugénie Fort. Il rencontre ensuite Ernesta avec laquelle il aura deux filles, Judith, née en 1845 et Estelle née en 1847. Ils vivront ensemble de 1843, quand ils se connaissent, jusqu'en 1866. Ils se séparent l'année du mariage de Judith avec Catulle-Mendès, sans doute en raison de leurs positions antagonistes sur ce mariage; Gautier y était extrêmement opposé.




Gautier et sa famille

La famille Gautier : Estelle, Théophile, Ernesta Grisi et Judith (Richebourg photographe, vers 1857.)


Gautier n'était sans doute pas très fidèle (c'est un euphémisme !) en amour, mais il l'était totalement en amitié et il a été un père tendre et attentif pour ses trois enfants.
En 1836 encore se déroule le premier des nombreux voyages que fait Gautier dans sa vie. Lui et Nerval vont faire une excursion en Belgique et poussent un peu vers la Hollande, du 24 juillet au 24 août pour Gautier. Il n'aura de cesse de recommencer.
Tout se passe comme si cette année 1836 mettait en place les dominantes de cette vie affairée dont le projet ne cesse pourtant jamais d'être celui de rendre un culte de la beauté. La beauté des êtres, des choses, des paysages, et la beauté magnifiée dans la création artistique, seule raison de vivre.



La vie, rien que la vie

Une vie de journaliste

De 1836 à 1872, année de sa mort, Gautier suit "la voie où le sort a voulu [l']appeler", selon la formule de Vigny. Astreint à la copie quotidienne, il collabore à de nombreux journaux mais en particulier avec La Presse jusqu'en 1855, année où il passe au Moniteur universel. Il va écrire au cours de sa vie plus de 3000 articles.
Il a écrit des recensions littéraires, assuré un travail de critique dans tous les domaines artistiques, publié nombre de relations de voyages, jusqu'à des chroniques sur le Paris assiégé de 1870, publiées en volume en 1871, sous le titre Tableaux de siège.
Fidèle à lui-même, il est peu sensible aux variations politiques, sauf à s'inquiéter des répercussions sur sa vie quotidienne ; les revenus d'un journaliste sont précaires et il a charge de famille, non seulement ses trois enfants et leurs mères, mais encore ses deux soeurs cadettes, restées célibataires, que la mort des parents laisse démunies. Ni la révolution de 1830, ni celle de 1848 ne le voient prendre parti. il se coule dans le moule du Second Empire sans aucune gêne, et d'ailleurs sa fiche à la préfecture de police, datant de 1854, le définit comme suit :
"En politique Gautier n'a pas d'opinion ; il ne s'occupe pas de si peu ; une jambe de danseuse, un vers de Victor Hugo, une phrase de Méry ont bien plus de mérite et d'importance pour cet esprit tout à la fois sceptique et très crédule, plein de fantaisies et de réalités [...] Gautier aime peu la démocratie, les prolétaires, tout ce qui peut avoir les mains ou du linge sale."
Ce qui n'était pas mal vu. Mais, nul parmi ses amis ne semble lui reprocher cette indifférence, et d'ailleurs, il leur reste profondément fidèle, y compris aux plus engagés dans l'opposition comme Hugo.
Cette vie matérielle peu facile, que la moindre perturbation socio-politique vient déstabiliser, est le terreau dans lequel s'enracine une oeuvre toute de fantaisie qui pour paraître souvent légère, n'en est pas moins hantée par de lourdes interrogations sur la mort, la séparation, la perte, l'au-delà.
Parfois, la situation s'améliore, ainsi quand, à partir de 1863, lui est octroyée une pension par le ministre d'Etat (équivalent alors d'un ministre de la culture) de 3000 francs par an; plus tard, la Princesse Mathilde, qui a tenté de lui faire donner la responsabilité de la bibliothèque impériale sans y parvenir l'appointe comme son bilbiothécaire personnel, ce dont Gautier lui est profondément reconnaissant. La chute de l'Empire ayant fait disparaître ces sources de revenus, Hugo s'entremettra pour lui faire rendre une pension sans laquelle il aurait fini ses jours dans la misère.

Une vie de poète

En 1845, il fait partie du "club des hachichins": des fumeurs de haschich se réunissant dans l'hôtel Pimodan qui s'intéressent aux effets de cette drogue aussi bien en termes médicaux (participe aux séances le docteur Moreau, aliéniste), qu'en termes artistiques (quelles conséquences pour la création). Il en tire un texte publié dans la Revue des deux Mondes, en février 1846. C'est à l'hôtel Pimodan qu'il fait la connaissance de Baudelaire, dont on sait l'admiration qu'il lui voue. Ne lui dédicace-t-il pas ses Fleurs du mal en 1857, par ces mots "Au poète impeccable, au parfait magicien es lettres françaises, à mon très cher et très vénéré maître et ami". Baudelaire n'est pas le seul dans la nouvelle génération des lettres à admirer Gautier, Flaubert, Maxime du Camp, et tant d'autres, Hérédia, Leconte de Lisle, ceux qui se diront Parnassiens, lui rendent presque un culte. Il est le Maître, comme le dit Baudelaire, le maître et non un chef d'Ecole. Car s'il y a des Parnassiens, il n'en est pas, comme disent tous ceux qui inventent des sentiers personnels que d'autres s'empressent, ensuite, de suivre.




caricature de Nadar

Gautier et ses chats, caricature de Nadar, 1860

"On a souvent fait notre caricature: habillé à la turque, accroupi sur des coussins, entouré de chats dont la familiarité ne craint pas de nous monter sur les épaules et même sur la tête. La caricature n'est que l'exagération de la vérité ; et nous devons avouer que nous avons eu de tout temps pour les chats en particulier, et pour les animaux en général, une tendresse de brahmane ou de vieille fille... »
(Ménagerie intime, 1869)


Emaux et Camées, publiés pour la première fois en 1852, va devenir la Bible de cette jeune génération, à la fois pétrie de romantisme et désireuse de s'en émanciper.  Le titre, à lui seul, en définit le projet en inscrivant le recueil poétique dans le domaine de l'orfèvrerie, ce que le premier poème intitulé "Préface" confirme, en reprenant l'idée déjà exposée dans celle d'Albertus..., puis de Mademoiselle de Maupin: l'art se suffit à lui-même. Gautier ne cesse d'enrichir son recueil pendant vingt ans. Six éditions se succèdent qui font passer le recueil des 18 pièces initiales à 47.
La prose n'est pas pour autant négligée et il publie de nombreuses nouvelles et quelques romans qui ont obtenu, longtemps, un grand succès : Le Roman de la momie (en feuilleton en 1857, en volume en 1858), Le Capitaine Fracasse (en feuilleton de 1861 à 1863, et en volume en 1863) qu'il aura mis vingt-cinq ans à parachever (la première mention date de 1836), Spirite (en feuilleton en 1865, en volume 1866).
Parmi ses nouvelles on retiendra la rêverie d'Arria Marcella sur Pompéi (1852, Revue de Paris), La Morte amoureuse (1836) qui est une jolie variation sur le thème du vampire tout autant qu'un récit qui, comme celui des Fleurs bleues de Queneau, pourrait se mettre sous l'égide de Zhuang Zi "Zhuang Zi rêve qu'il est un papillon mais n'est-ce point le papillon qui rêve qu'il est Zhuang Zi ?" puisque son héros ne sait s'il rêve, étant prêtre, qu'il est un gentilhomme de Venise ou si gentilhomme de Venise il se rêve prêtre. Tout lecteur a ses préférences, mais toutes les nouvelles de Gautier méritent l'intérêt.



Si Gautier, comme la majorité de ses contemporains, a aussi écrit pour le théâtre, sans beaucoup de succès, il faut en convenir, il a, plus surprenant, écrit des livrets de ballets qui ont connu un grand succès, Giselle ou les willis imaginé pour Carlotta Grisi comme La Péri, et Gemma, 1854. Si Giselle est resté, les autres pantomimes-ballets sont tombées dans l'oubli. Il n'en reste pas moins que ces incursions dans un autre domaine de la beauté, celui des corps en mouvement, dont la maîtrise s'inscrit dans une discipline et une rigueur, que le poète connaissait bien pour son compte, apportent des lumières sur le créateur.
Puis, il y a les voyages, source de plaisirs très grands et source littéraire aussi, soit qu'ils alimentent l'oeuvre poétique, soit qu'ils fournissent matière à des récits de voyage à commencer par le voyage en Espagne (six mois en 1840) : Espana, Tra los montes (1843) qui deviendra Voyage en Espagne ensuite; L'Algérie (1845) ; L'Italie (1850) la Russie (1858 et 1861) ; Constantinople ou encore la Grèce et l'Egypte. Les préférences de Gautier vont aux pays du Sud dont la lumière et les couleurs lui sont fascination.
L'oeuvre entière est sous ce signe. Exaltation des splendeurs du monde autant que des mots, les plus exacts, les plus précis possibles qui en conservent et transmettent les chatoiements. L'appétit du poète pour la beauté était insatiable.

Gautier a certes eu une vie très occupée que l'on pourrait juger globalement heureuse, malgré ses perpétuels tracas financiers. Il a aimé et a été aimé. Il a écrit de magnifiques poèmes. Il a été le maître d'une génération féconde, Flaubert, Baudelaire, Heredia et tant d'autres.
84 poètes lui rendent hommage, après sa mort (le 23 octobre 1872), dans un Tombeau de Théophile Gautier (Lemerre, 1873) qui s'ouvre sur un poème de Hugo, où Mallarmé mêle sa voix à celle de Théodore Banville, où Algernon Swinburne paie un tribut de 6 poèmes en anglais, mais aussi en français, en latin et en grec, où des voix allemandes s'associent à des voix provençales (dont Frédéric Mistral) ou italienne pour célébrer la grandeur d'une oeuvre qui a marqué son temps presque à l'égal de celle de Hugo.

la tombe de Gautier

Au cimetière Montmartre (Paris), sur la tombe du poète, la muse, portant plume et lyre, s'appuie sur un bouclier où le visage sculpté de Gautier fait penser au bouclier d'Athéna orné de la tête de Méduse. Le poète y apparaît donc comme le garant suprème de la Poésie, capable de pétrifier tous ses ennemis.

Sculpture de Cyprien Godebsky (1835-1909).









caricature gautier

L'Eclipse, 7 mai 1869, caricature de Gill

Comme un certain nombre de ses contemporains, Théophile Gautier a été aussi tenté d'entrer à l'Académie française. Son premier acte de candidature date de janvier 1867, il va réitérer en 1868, puis en 1869, mais il n'eut pas l'heur de plaire, peut-être pour les raisons qu'en donne François Coppée dans ses Souvenirs d'un Parisien, publication posthume, 1910.


     C'est un vers de la tragédie sacrée de Racine qui a fermé à Théophile Gautier les portes de l'Académie française.
     L'excellent poète venait de de poser sa candidature pour la deuxième ou troisième fois. Tous les obstacles étaient à peu près levés, toutes les hésitations étaient presque vaincues ; il ne restait plus à corrompre que deux ou trois classiques endurcis, que le légendaire gilet rouge de la première d'Hernani, agité dans leurs souvenirs, affolait comme des taureaux de combat. L'un des "quarante" invita ces derniers récalcitrants à dîner avec Théophile Gautier, les assurant qu'ils trouveraient en lui, malgré sa chevelure mérovingienne, un lettré savant et délicat, un érudit capable, en un mot, de combler à lui seul le puits sans fond du Dictionnaire.
     Or Gautier, parfait homme du monde quand il le voulait, laissait quelquefois reparaître le rapin qu'il avait été jadis. Quelque chose restait en lui de l'ancien élève de Rioult, et il ne résistait pas toujours au plaisir innocent d'une charge d'atelier, d'une farce même rabelaisienne.
     Le dîner eut lieu et se passa d'abord à merveille. Gautier éblouit les convives par cette conversation aussi brillante, aussi imagée, aussi correcte que le style de ses livres, et qui lui faisait dire par ses intimes, l'invitant à la causerie :
     "Théo fais-nous un article."
     Mais, en prenant le café, entre hommes, l'un des Immortels entreprit le pauvre Gautier ; il lui reprocha son passé, lui récita des pages entières du Cours de littérature de La Harpe, et le traita un peu en petit garçon. Le poète, très bénévole de sa nature, le laissait dire.
     Enfin, le vieillard s'exalta :
     "Comment, monsieur Gautier, vous avez osé attaquer Racine !... Racine, l'Euripide français, l'auteur d'Athalie, de ces vers admirables...
     Et il déclama la première scène de la pièce jusqu'au distique :
Du temple orné partout de festons magnifiques
Le peuple saint en foule inondait les portiques.
     Gautier était impatienté ; il n'y put tenir.
     "Oh ! les malpropres ! dit-il avec son flegme olympien... Inonder les portiques... Cela prouve, monsieur, que la police du temps était bien mal faite."
     Cette plaisanterie, que le bon Gautier aurait peut-être dû réserver pour le Carnaval, indigna l'académicien ; il s'en souvint au jour de l'élection. Et c'est pourquoi l'un des plus grands écrivains de ce temps ne s'est assis, comme Balzac et comme Dumas père, que sur le quarante et unième fauteuil.


Ce qui n'empêcha pas la même Académie de constituer, en 1969, un prix "Théophile Gautier" en mémoire du poète pour récompenser un auteur de poésie lyrique.





A lire : Histoire des oeuvres de Théophile Gautier, Charles de Lovenjoul (Charpentier, 1887), tome 1 (1830-1851) ; tome 2 (1852-1872)
Un article de Madame Gosselin Schick sur Gautier et la danse "L'invitation à la danse" sur Persée.
Un article sur Gautier journaliste littéraire.
A consulter : le site du bicentenaire de la naissance (2011) qui propose informations, documents, présentation des textes et bibliographie complète.



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