DRAGONS : Le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse

coquillage



Autres textes relatifs aux dragons
: Présentation générale 1. Ovide, Les Métamorphoses (le dragon de Cadmos) - 2. Tristan et Iseult (le dragon combattu par Tristan en Irlande) - 3. Le Roman de la Table Ronde (les dragons de Merlin) - 4. La Légende dorée, Jacques de Voragine (le dragon de saint Georges). 5. Ray Bradbury, Le Dragon (nouvelle de 1948) - 6. Un extrait de bande dessinée : le dragon Gril-Gril - 7. Le Berger vainqueur du dragon (conte chinois) - 8. Le dragon de Troyes - 9. La tarasque (Tarascon) - 10. L'Enchanteur, Barjavel (où se mêlent terreur et comique)





DRAGON : animal fabuleux représenté généralement avec des griffes de lion, des ailes d'aigle, et la queue d'un serpent.

[suit une liste d'exemples d'emplois du terme, puis les expressions figurées : "a. surveillant incommode et vigilant ; b. puissant préservatif (sous entendu contre le mal) ; c. personne rigide, intraitable sur quelque point ; d. personne terrible, turbulente, acariâtre. Le mot est aussi employé comme adj. Il répertorie ensuite les divers domaines dans lesquels le mot est employé et fournit, enfin, une liste d'épithètes: « ailé, tortueux, sifflant, fier, superbe, venimeux, menaçant, irrité, furieux, impétueux, indomptable, horrible, terrible, épouvantable, effroyable, affreux, immense, monstrueux. — Surveillant. Incommode, importun, jaloux, vigilant, attentif, incorruptible, furieux, indomptable."]

ENCYCLOP. Linguist[ique]. Le regard du serpent, dit Pictet, a joué de tout temps un grand rôle dans les superstitions populaires, et les traditions mythiques relatives aux dragons gardiens vigilants des trésors sont très répandues chez les peuples aryens. En sanscrit, le serpent est appelé [...] oeil-poison, et [...] celui dont l'oeil­ est oreille, expression énergique pour indiquer que toute la vigilance du serpent se concentre dans le sens de la vue. C'est de la même liaison d'idées et de la même racine drç, grec derkô, je vois, que dérive le grec drakôn, drakonios, littéralement le voyant [...]. Ce nom grec a passé dans toutes les langues européennes par l'intermédiaire du latin draco [...].
Superst[ition]. Le dragon est un animal fantastique, produit de la peur et de l'imagination. On le trouve dans la croyance de presque tous les peuples, et le caprice des artistes qui l'ont représenté et des poëtes qui l'ont décrit a pu se donner libre carrière. C'est généralement une sorte de reptile aux replis tortueux, armé de griffes puissantes, hérissé de crêtes aiguillonnées, fascinant et foudroyant du regard, vomissant des flammes  ou empestant l'air de son haleine. Le plus souvent, il est armé d'ailes membraneuses que terminent des griffes. Comme Argus, il était supposé ne jamais prendre de sommeil. Les Grecs l'avaient consacré à Minerve, pour indiquer que la véritable sagesse ne dort jamais, et à Bacchus, pour exprimer les fureurs de l'ivresse. Dans les traditions de ce peuple, les dragons gardaient la toison d'or, le jardin des Hespérides, la fontaine de Castalie, etc. En Chine et au Mexique, on a cru que les éclipses étaient causées par un dragon qui menaçait de  dévorer le soleil ou la lune, et que l'on mettait en fuite par le bruit des instruments de cuivre. D'arpès les fables scandinaves, un dragon noir dévorera les corps des condamnés au dernier jugement.
On retrouve le dragon dans les monuments de l'époque romano-byzantine ; il y était l'emblème de la peste, de la famine et du poison. On le rencontre également dans les légendes chrétiennes, où il personnifie l'esprit du mal, la puissance du démon ; c'est dans ce sens que certains peintres ou sculpteurs lui font écraser la tête sous les pieds de la Vierge. Saint Jean l'Evangéliste porte souvent un calice d'où s'échappe un dragon. Saint-Michel et quelquefois saint Georges sont représentés comme terrassant le dragon. C'est encore l'attribut de sainte Marthe, de l'apôtre saint Philippe, de saint Jacques le Majeur, de saint Patrice et de sainte Marguerite. A la procession des Rogations figurait autrefois une bannière sur laquelle était « pourtraict » un horrible dragon, symbole de la famine, que les prières étaient destinées à conjurer.
Le moyen-âge introduisit le dragon dans ses féeries ; le chevalier l'adopta comme symbole de l'obstacle à vaincre ; les sculpteurs le répandirent à profusion aux clés de voûte ou sur les porches des églises. Quelques villes ont même leur dragon particulier : ce sont le Graouilly à Metz ; la Lézarde, à Provins ; la Gargouille à Rouen ; la Bonne-Sainte-Vermine ou la Grande-Gueule, à Poitiers ; la Tarasque à Tarascon, etc.
Le dragon joue un rôle très important dans le cycle épique, héroïque et légendaire des peuples germains. Ce monstre, qui prend des formes si diverses, est toujours, dans les légendes de l'Allemagne, représenté comme un serpent ailé. Un des premiers nommés dans cette série est celui dont Beowulf délivra son pays. Siegfried et tous les héros mythiques et historiques ont fait des exploits dans le même genre ; les saints, les archanges et les chevaliers pieux et croyants terrassent à leur tour des dragons avec l'aide de Dieu. Schiller, dans une de ses plus belles ballades, nous a décrit, avec cette imagination et ce sentiment poétique qui sont les meilleures qualités de son talent, une lutte de ce genre. C'est la légende de saint Georges terrassant le dragon au moment où il allait dévorer la princesse Aïa. Les dragons germains sont vieux comme les géants et méchants comme eux, de leur bouche et de leurs naseaux sortent des flammes ou des flots de poison. Les deux mots eit (feu) et eiser (poison), en vieux allemand sont presque identiques. En mangeant leur coeur, on apprenait à comprendre le langage des bêtes, et en se frottant la peau avec leur sang, on devenait invulnérable*.
Les romans de chevalerie français, allemands, espagnols, italiens, ont usé et abusé des dragons. Quand la lance d'un héros est inoccupée, c'est un géant ou un dragon qu'un ordre d'en haut lui fait combattre; c'est ainsi un dragon qui garde les avenues du palais enchanté où languit la belle princesse prisonnière. L'orca, le terrible monstre dont Roland, monté sur l'hippogriffe, vient délivrer la blonde Angélique**, rivée par les poignets au rocher, n'est autre chose qu'un dragon.

Pierre Larousse, Le Grand dictionnaire universel du XIXe, tome 6, p. 1177

*C'est ce qui arrive à Siegfried, conseillé par la Walkyrie, lorsqu'il tue le dragon, gardien du trésor des "Nibelungen". La Chanson des Nibelung (Nibelungenlied) est une épopée germanique du XIIIe siècle en 39 chants. Son noyau primitif remonte au VIe siècle et on en trouve des traces dans les Sagas scandinaves. Les Romantiques, au XIXe siècle, se passionneront pour ces récits et Wagner en tire sa tétralogie Das Ring des Nibelungen (L'anneau du Niebelung) constituée de L'Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried, et Le Crépuscule des dieux.

** Roland furieux, épopée italienne de l'Arioste, poète du XVIe siècle. Le dragon de Roland est l'interprétation modernisée du monstre marin que tuait Persée pour délivrer Andromède.




le dragon des Nibelungen

Le dragon gardien des trésors des Nibelungen. Dessin d'Arthur Rackham (1867 - 1939)


combat de Siegfried et du dragon

Le combat de Siegfried et du dragon



A voir : d'autres illustrations (1911) d'Arthur Rackham de la tétralogie de Wagner : Der Ring des Nibelungen (L'anneau du Nibelung)
A découvrir : Pierre Larousse et son oeuvre à travers Concordance des temps, 12 mai 2019, où Jean-Noël Jeanneney converse avec Pascal Ory.
            


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