La
Chair salée, Troyes (Champagne)
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Autres textes relatifs aux dragons : Présentation générale 1. Ovide, Les Métamorphoses (le dragon de Cadmos) - 2. Tristan et Iseult (le dragon combattu par Tristan en Irlande) - 3. Un extrait de l'article "Dragon" dans le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse - 4. La Légende dorée, Jacques de Voragine (le dragon de Saint Georges). 5. Ray Bradbury, Le Dragon (nouvelle de 1948). 6. Le Roman de la table ronde (les dragons de Merlin). 7. Le Berger vainqueur du dragon (conte chinois). - 8. La tarasque (Tarascon) - 9. Julio Ribera, le dragon Gri-grill. 10. L'Enchanteur, Barjavel (où se mêlent terreur et comique) - |
Dans ce court récit est évoqué l'un des nombreux dragons associés à des villes en France (Paris possède un dragon vaincu par saint Marcel ; Metz en possède un aussi, répondant au nom de Graouilly; Poitiers a le Grand'Goule comme Tarascon, la tarasque.) La liste en est nombreuse et le processus est souvent le même, la victoire du saint sur le monstre permet à la ville de se développer. Mais le plus souvent des cérémonies commémoratives apparaissent, assez proches d'un rituel lié à un mythe, jusqu'à ce qu'elles soient totalement interdites par l'Eglise, sans doute en raison de l'ambiguité de ces cérémonies-rituels, comme en témoigne d'ailleurs ce récit racontant l'abolition d'une telle procession à Troyes, en Champagne. Son intérêt est double puisqu'il raconte à la fois la procession et son abolition. Les personnages dont il est question sont importants dans l'histoire de la ville de Troyes (l'abbaye de l'abbé Forjot est l'abbaye de Saint-Loup dont il assura une grande partie de la restauration), y compris Bossuet qui n'est pas, comme on pourrait le croire "l'Aigle de Meaux", mort en 1704, mais un de ses neveux portant exactement les mêmes prénoms et nom (1716-1742). Il introduit, par ailleurs, une rationalisation à la légende puisqu'il fait du dragon un symbole, celui du mal terrestre : les hordes d'Attila, la guerre, le pillage ; celui du mal spirituel, puisqu'il pourrait être aussi le symbole d'une hérésie, celle des pélagiens, lesquels considéraient, en particulier, qu'il n'y avait pas de péché originel. |
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Tous les ans aux Rogations, la procession de l'abbaye de l'abbé Forjot
promenait dans les rues de Troyes un dragon qu'on appelait la Chair salée.
Diverses traditions se disputaient l'explication de ce nom singulier.
Les uns disaient que la bête promenée dans la ville à cette époque
était la figure d'un monstre dont saint Loup avait réellement délivré
le pays et dont on avait dû saler la carcasse. Les autres n'y voyaient
qu'un emblème d'Attila, dont le saint évêque avait fléchi le courroux,
ou plutôt le symbole de l'hérésie pélagienne qu'il avait terrassée dans
la Grande-Bretagne. La Chair salée devait être gâtée du temps de Forjot, car ce célèbre abbé fit faire un beau dragon tout neuf, en bronze léger. Ce monstre avait un corps couvert d'écailles, une tête hideuse, des yeux rouges et enflammés qui semblaient sortir de leurs orbites, une gueule démesurément grande, de longues ailes et une queue recroquevillée. Il ouvrait la gueule, battait des ailes et agitait la queue au moyen de ficelles passées dans l'intérieur du bâton sur lequel il était fixé. La premier jour des Rogations, couronnée de fleurs, ornée de guirlandes, la Chair salée traversait la ville comme une fiancée. Ses ailes battaient, sa queue s'agitait, sa mâchoire surtout s'ouvrait pour recevoir les échaudées et les craquelins que lui jetaient les bambins à son passage, et que mangeait naïvement le porteur. Le deuxième jour, elle se mariait et marchait en tête des bannières, parée de rubans et de pompons. Le troisième, elle s'avançait dépouillée de ses ornements, les yeux éteints, la gueule béante, les ailes et la queue pendantes. Ce jour-là, c'étaient réellement ses funérailles, la veille de sa salaison pour l'année suivante. Le mardi 20 mai 1727, les religieux de Saint-Loup, qui, le lundi, avaient porté le dragon séculaire à la station de Saint-Nicolas, se présentèrent à Saint-Pantaléon, M. François, prêtre du diocèse de Châlons, récemment curé de cette paroisse, attendait la procession à la porte de son église, pour présenter l'eau bénite à chacun des chanoines. Il entendit les battements des ailes du monstre et les cris des enfants qui lui jetaient des échaudés. A la vue de la Chair salée et de ce tumulte, il proteste contre l'usage et veut interdire même l'entrée du cimetière au porteur. Le père Copin, qui représentait alors les religieux de l'abbaye, s'avance, alléguant la coutume, et ordonne au porteur de poursuivre son chemin. Mais le curé François résiste et, soutenu par quelques chanoines, force le monstre inoffensif à se retirer dans le charnier de l'église. Deux mois après ce sanglant outrage, le chapitre s'assembla. La Chair salée fut solennellement proscrite par Mgr Jacques-Bénigne Bossuet, et vendue quelque temps après à un chaudronnier qui la détruisit et en employa les débris pour les ouvrages de son art. Alexandre Assier, Légendes, curiosités et traditions de la
Champagne, Paris 1860
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A consulter : la liste de saints tueurs ou dompteurs de dragons sur Wikipédia. |