Comme
il vous plaira, William Shakespeare, vers 1598-1600
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A propos de Shakespeare ce site contient : 1. La structure de Roméo et Juliette - 2. La conception du théâtre de Shakespeare - 3. Un extrait de Shakespeare, dramaturge élisabéthain, Henri Fluchère, 1966 (la scène élisabéthaine) - 4. Un extrait de Shakespeare et le théâtre élisabéthain, Robert Payne, 1983 - 5. Shakespeare comme modèle littéraire - 6. Roméo et Juliette : tragédie politique ? - 7. Un extrait de William Shakespeare, Victor Hugo, 1864 - 8. Quelques mots de l'auteur et du théâtre à son époque - 9. Hamlet - |
Une comédie ensoleilléeC'est du moins ainsi que la critique shakespearienne caractérise As you like it (Comme il vous plaira), par opposition aux comédies noires. Et de fait, même pour la conception française de la comédie façonnée par le classicisme, son dénouement heureux — la présence de tous les personnages sur la scène in fine, les "méchants" subissant une conversion ; les couples se mariant — invite à l'inscrire dans ce genre.Elle n'apparaît imprimée que dans l' in-folio de 1623 réunissant, après la mort de Shakespeare, ses oeuvres complètes. Il semble toutefois que l'on puisse dater la pièce, rédaction et représentation, d'une période située entre 1598 et 1600. Comme il en est coutumier (cf. Roméo et Juliette), selon les usages de son temps, Shakespeare puise son intrigue dans la littérature, le récit de Thomas Lodge, publié en 1598, Rosalynde : Euphues Golden Legacie, dont le succès se mesure aux trois éditions qu'il connaît avant 1600. La pièce, telle que nous la lisons aujourd'hui, est proposée dans une structuration copiée tardivement sur le théâtre classique français qui s'était généralisée au cours du XVIIe siècle aussi bien en Angleterre qu'en Allemagne. Elle est donc distribuée en cinq actes, quoique la découpage des scènes obéisse davantage à une unité thématique qu'à l'entrée ou sortie de personnages, comme il est traditionnel dans le théâtre français. La pièce se clôt sur un épilogue, dit par Rosalinde, en appelant (c'est l'habitude) aux applaudissements des spectateurs. L'action s'en déroule sur un temps relativement indéterminé et dans deux lieux antagoniques : la cour du duc Frédéric et la forêt d'Ardenne, que François Victor Hugo traduit les Ardennes, lui donnant ainsi une localisation précise dans le nord de la France. Mais, comme le fait remarquer Victor Bourgy dans son introduction à la pièce pour l'édition Laffont, coll. Bouquins, "Bien avant ce roman [Rosalynde, Lodge], le nom était déjà consacré pour désigner une forêt fabuleuse, peuplée de bandits et de bêtes sauvages et riche en sources aux propriétés étonnantes." La forêt étant le décor dominant où tous les protagonistes finissent par aboutir, même le duc Frédéric comme l'apprend aux personnages, comme au spectateur, un récit, dans la dernière scène. Comme dans la majorité des pièces shakespeariennes, les personnages sont nombreux. La didascalie initiale en recense 21, sans compter les figurants ("Seigneurs, pages et autres suivants"). La pièce mêle, comme souvent chez Shakespeare, la prose, les vers blancs, les vers rimés, mais elle compte aussi de nombreuses chansons et des poèmes parodiques (ceux qu'Orlando compose à la gloire de la beauté de Rosalinde, et dont le bouffon dénonce la platitude). La première traduction en français date de 1781, revue et republiée en 1821, suivent deux nouvelles traductions en 1839. Elles se multiplieront ensuite. |
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Daniel Maclise (1806-1870), la scène du combat, huile sur toile, 1854. Au centre le duc Frédéric, les deux jeunes filles, Rosalinde et Célia, à gauche le champion du duc, Charles, à droite le jeune Orlando. Assis sur la marche, en habit bariolé, marque de son état, le bouffon Touchstone (Pierre de Touche). |
Déroulement de la pièceL'action est supposée se dérouler en France d'où les noms des personnages.
1. Le personnage dominant de la pièce est Rosalinde. Elle est présente dans dix scènes sur 22 et assure un quart des répliques. Elle est aussi la meneuse de jeu et prend les décisions essentielles : se déguiser en garçon, acheter la chaumière, organiser les mariages et les retrouvailles avec son père ; enfin, restant en scène pour l'épilogue, elle assume la responsabilité de réclamer l'approbation du public. 2. La pièce joue sur le redoublement : deux ducs, l'usurpateur, Frédéric, et son frère aîné, le duc exilé, qu'il a dépouillé de ses biens et de son pouvoir ; deux frères, dans une situation inversée, puisque c'est l'aîné, Olivier, qui dénie à son cadet sa part d'héritage, c'est-à-dire son droit à vivre en gentilhomme ; deux jeunes filles, cousines mais vivant sur le pied de deux soeurs, partageant la bonne comme la mauvaise fortune ; deux "fous", l'un patenté et officiel sous son habit bariolé, Pierre de Touche, le second, Jaques, que sa mélancolie et ses remarques désabusées rangent dans la même catégorie, tous deux exprimant des "vérités" sous le même signe de l'excès ; deux bergers, l'un vieux, Corin, prenant en charge la réalité de la vie de berger qui n'a rien d'idyllique, l'autre, jeune, Silvius, personnage de pastorale (ne pense qu'à ses amours) plutôt niais ; deux paysannes, Audrey et Phébé assurant la même opposition que Corin et Silvius. 3. Le comique de la pièce est pour l'essentiel un comique de mots, dans lequel les sous-entendus grivois (y compris dans les répliques des jeunes filles) jouent leur partie. Ce qui n'interdit pas le comique de situation, ainsi d'Orlando faisant sa cour à Ganymède comme si elle était Rosalinde, ou au début de la pièce le pugilat qui oppose Charles à Orlando, Goliath contre David, le faible abattant le fort est toujours source de plaisir. Le comique s'appuie aussi, bien sûr, sur les thèmes rebattus de l'inconstance des femmes et des cornes portées par les maris. Mais il joue aussi de réflexions plaisantes sur des questions philosophiques, par exemple sur les 4 variétés de temps (III, 2), sur les 7 degrés de démentis, tels que les expose Pierre de Touche (V, 4), etc. Mais ce comique s'inscrit dans un prélude tragique puisqu'il s'agit de haine fratricide : Olivier veut tuer son frère (et le dit sur tous les tons, directement au lutteur Charles, et indirectement via ce que rapporte Adam), et si le duc Frédéric n'a pas tué physiquement son frère, il l'a tué symboliquement en le contraignant à se réfugier dans la forêt, c'est-à-dire dans l'espace de la sauvagerie (au point qu'il est même dépouillé d'un nom propre), comme le dit Orlando en voulant attaquer le duc et ses proches dans la forêt (II, 7). 4. La forêt est un lieu "magique" comme le dit Rosalinde, en affirmant à Orlando y avoir été élevée par un magicien dont elle a hérité les pouvoirs. Pour chacun des personnages, elle est une sorte de lieu de régénération : on y arrive épuisé, affamé, en guenilles (comme Olivier menacé d'abord par un serpent, puis par un lion) pour y rencontrer sa vérité, comme le dit le duc (II, 1). Olivier y a soudain ses yeux dessillés et découvre l'amour, à la fois l'amour fraternel et celui d'une femme ; le duc Frédéric (comme Perceval) y croise un ermite et trouve le chemin de Dieu. "La forêt d'Ardenne, lieu à la fois lointain et proche, est le vrai monde dans une sorte de surcroît de présence, le monde de l'entre-deux où l'on sent néanmoins que quelque chose se passe et que la comédie y prend la mesure du mal. On y cherche le merry*, et plus loin que le merry, dans une profusion de formes allègrement, étrangement artificielles." (Michael Edwards, Shakespeare et la comédie de l'émerveillement, Desclée de Brouwer, 2003) [* merry : l'allégresse] 5. Comme dans Roméo et Juliette, la pièce oppose la haine (comme point de départ, vision assez pessimiste de l'être humain) et l'amour, toujours à construire, à inventer qui, seul, peut rendre le monde vivable pour le peu de temps que les hommes s'y démènent. |
Deux lectures romantiques de la pièceDans Mademoiselle de Maupin (Théophile Gautier, 1835-36), le héros masculin, d'Albert, fait l'éloge du théâtre de Shakespeare en général et de Comme il vous plaira, en particulier.
George Sand, en 1856, adapte la pièce et dans une lettre-préface adressée à M. Régnier de la Comédie française, elle explique ses choix (adapter et non traduire) et présente la pièce :
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Edward William Godwin (1833-1886), maquette pour le costume de Rosalinde (pour une mise en scène de 1874, non utilisé), dessin, mine de plomb et aquarelle, Paris, BnF. |
A lire : la pièce dans la traduction de François-Victor Hugo, Oeuvres complètes de W. Shakespeare, tome VIII. |